Zakia (34 ans, assistante sociale), a hébergé des dizaines de migrant·es et passé deux mois en prison
Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Au moment de l’arrestation, il y avait un énorme mouvement citoyen au parc Maximilien. Je pense que l’acharnement judiciaire qu’on a vécu et qu’on vit encore vient de là. Bien sûr que c’est un procès pour l’exemple, bien sûr que certain·es citoyen·nes ont pris peur en voyant ce qu’il nous est arrivé.« J’étais, selon eux, à la tête d’une entreprise criminelle. »
Cette affaire dure depuis quatre ans et elle n’est pas sans conséquence sur mon quotidien. Je suis en arrêt maladie depuis plus de deux ans. Quand je suis finalement sortie de prison, j’ai dû retourner travailler, car j’étais toujours sous contrat. Sauf que le choc post-traumatique prenait trop de place. En tant qu’assistante sociale, j’étais confrontée quotidiennement aux problèmes des autres. Dès que j’étais face à des papiers administratifs barrés du logo de la police ou de celui de la justice, ça me provoquait des nausées et des crises d’angoisse. Cette période a été terrible.« Cette affaire est une épée de Damoclès constante au-dessus de nos têtes. »
Myriam (55 ans, journaliste), a hébergé une cinquantaine de personnes
Quand je suis rentrée à Bruxelles, Hassan (l’un des migrant·es également sur le banc des accusé·es) m’a contactée car il n’avait nulle part où aller et je l’ai hébergé. Ça a commencé comme ça. Quand il a débarqué de Calais à Bruxelles, il était dans un état déplorable. Mais ce n’était rien comparé à sa situation après sa détention en préventive. Mais il s’en est sorti, et il l’a fait seul. Je n’ai fait que le soutenir. La justice n’a jamais perçu à quel point c’était quelqu’un de bien. Le réel objectif de ce procès, c’est de créer une jurisprudence pour condamner les hébergeur·ses. Il nous arrive souvent de rire avec Zakia en imaginant qu’une loi horrible portant nos noms serve à punir la solidarité. Finalement, tout est rocambolesque dans cette histoire. Vous savez, par nature, les hébergeur·ses font confiance, iels ouvrent leur porte à des personnes qui ne parlent pas leur langue et viennent des quatre coins du monde. Il n’y a pas d’autres vérités que celle-là. Depuis le premier procès, j’ai épousé Hassan. Ensemble, on a décidé de reconstruire ce qui avait été saccagé. Grâce au regroupement familial, il a pu obtenir un titre de séjour et trouver un travail ici. Il a fait un parcours incroyable ces deux dernières années. Il a appris le français, trouvé un travail dans une maison de repos pendant le confinement et on a commencé à se reconstruire.« Si on traitait les animaux comme on traite les migrant·es, une importante partie de la population se soulèverait, même la justice monterait au créneau. »
Aujourd’hui, j’ai 55 ans et tout ce qui constituait ma vie d’avant n’existe plus. Si l’on fait l’état des lieux, financièrement c’est une catastrophe. J’ai entre 30 000 et 40 000 euros de dettes et les huissiers me rendent visite en permanence. J’ai dû quitter mon appartement, suivre une thérapie et je vis aujourd’hui dans un appartement de vingt mètres carrés. Mais l’important finalement, c’est l’ambiance que l’on y met, non ? Malgré tout ça, je n’ai jamais été aussi bien qu’aujourd’hui. »« Les hébergeur·ses font confiance, ouvrent leur porte à des personnes qui ne parlent pas leur langue et viennent des quatre coins du monde. Il n’y a pas d’autres vérités que celle-là. »
Walid, (45 ans, sans emploi), a accueilli un migrant et passé huit mois et demi en prison
Avant que cette affaire n’éclate, j’étais déjà en dépression suite au décès de mes parents. Et depuis le 20 octobre 2017, je suis détruit moralement et physiquement. J’ai fait des cauchemars pendant des mois dans lesquels je me voyais retourner en prison, aujourd’hui ces pensées continuent de me hanter. Je n’ai rien fait, je ne connais pas de passeur, je n’ai jamais aidé personne à se rendre en Angleterre et je n’ai jamais gagné d’argent pour avoir hébergé. Au contraire, j’ai tout perdu à cause de ces huit mois et demi de prison. Mon logement, mes meubles, tout. En prison, j’ai reçu des dizaines de courriers de soutien. Cette affaire est politique et remplie d’injustices. Tout ce qu’iels ont voulu faire, c’est donner une bonne leçon aux personnes solidaires. Aujourd’hui, je me reconstruis petit à petit. J’ai retrouvé un appartement dans lequel je suis bien installé. Je touche le CPAS, mais je suis toujours inapte au travail. Je veux rester positif. Je remercie infiniment les personnes qui nous soutiennent depuis le début. Mon avocate, Selma Benkhelifa, et Thomas Prédour de Solidarity is not a crime, qui est devenu comme un frère pour moi. J’ai aussi encore souvent des nouvelles de Mahmoud qui a trouvé du boulot et commence à aller mieux. S’il y a une seule leçon positive à retirer de cette horrible histoire, c’est l’amour qu’elle a engendré. »« La solidarité m’a conduit à passer plus de huit mois dans une prison à Dendermonde. Mais si c’était à refaire, je referais tout pareil. »
Anouk, (à la tête d’une asbl), a hébergé plus d’une trentaine de personne et continue encore aujourd’hui
Aujourd’hui, j’oscille toujours entre sérénité et colère. Sérénité parce que le Parquet a demandé mon acquittement à deux reprises et parce que le procureur général m’a présenté publiquement ses excuses. Colère, parce que j’ai l’impression d’être instrumentalisée, d’être la bonne petite hébergeuse qui n’a jamais dépassé leur fameuse ligne rouge et parce qu’on a tout de même pris trois ans de ma vie. Ça me sidère quand le Parquet de Bruxelles reconnaît le manque probant de preuves dans le dossier de Walid, mais continue à insister sur cette « intime conviction » qu’iels ont de sa culpabilité. Je n’accepterai leurs excuses que s’iels les présentent aux trois autres. Des trafiquant·es d’êtres humains ? Jamais de la vie ! Le racisme dans cette histoire est indéniable.Je ne m’en sors pas indemne pour autant, certaines conséquences et autres dégâts collatéraux ont été terribles. Ma vie a changé radicalement depuis cette fameuse arrestation d’octobre. J’ai démissionné, créé une asbl pour continuer le combat d’une autre manière et je n’ai surtout pas cessé une seule seconde d’accueillir des personnes migrantes.« Le procureur général m’a présenté publiquement ses excuses, mais je ne les accepterai que s’il les présente aux trois autres. »
Et puis il y a aussi les commentaires racistes et les menaces qu’on reçoit. J’ai parfois vacillé, mais je crois en cette solidarité qui existe bel et bien en Belgique, et en tou·tes ces citoyen·nes qui se bougent sans cesse pour faire le travail du gouvernement. Enfin, il y a le coût de ce procès. Entre les arrestations, les frais de prison, de justice, les traducteurs, les perquisitions, le renvoi en appel : on dépasse le million d’euros. De l’argent qui vient des contribuables. Et tout ça pour quoi ? Pour rien. Personnellement, je suis passée de Zara aux Petits Riens, de ma BMW à une Citroën, de vacances dans de beaux hôtels à pas de vacances du tout. Mais quelle importance ? Reste que de belles choses ont découlé de ce procès : la solidarité citoyenne, la création de Solidarity is not a crime, la Plateforme d’hébergement qui vient en aide aux réfugié·es, etc. Toutes ces personnes qui, depuis des années, mettent leur vie entre parenthèses pour se dévouer à un accueil digne. Tout ça m’aide à tenir. Une chose est sûre : ces gens n’auront jamais ma peur. »Vous pouvez soutenir ces onze personnes en faisant un don ici.VICE Belgique est sur Instagram et Facebook. VICE France est sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.« Je suis passée de Zara aux Petits Riens, de ma BMW à une Citroën, de vacances dans de beaux hôtels à pas de vacances du tout. Mais quelle importance ? »