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Illustrations : Carlos Vergara pour VICE FR

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santé mentale

Les antidépresseurs peuvent ruiner votre vie sexuelle

« Je n’ai plus du tout envie, ma libido est à zéro. Normalement, le matin, au réveil, les hommes bandent. Moi, pas toujours. »

Si l’on en croit le dernier rapport de l'Agence santé publique France dans son bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), un français sur dix déclare avoir souffert d’une dépression au cours des douze derniers mois. Chômeurs, jeunes actifs et étudiants, les 18-44 ans ont vu leur taux de tristesse croître considérablement en seulement quelques années. Pour pallier cette épidémie, le recours aux antidépresseurs (AD) s’est démocratisé – faisant de la France un pays très consommateur de psychotropes. Résultat pour les patients : il ne baisent plus. Si la dépression peut déjà être un facteur déterminant sur votre vie sexuelle, « les antidépresseurs ont en plus des effets plutôt péjoratifs sur la sexualité des patients. », explique le docteur Sébastien Garnero, psychologue et sexologue parisien. Autrement dit, un trouble de l’humeur qui peut engendrer une vie sexuelle proche d’une randonnée dans le désert.

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Jérôme*, 35 ans, prend des AD depuis plus d’un an pour soigner un état dépressif qui l’a conduit trois fois en hôpital psychiatrique. Si ses envies étaient auparavant régulières, c’est aujourd'hui le néant. « Je n’ai plus du tout envie, ma libido est à zéro. Normalement, le matin, au réveil, les hommes bandent, moi pas toujours. C’est même de plus en plus rare. Heureusement que je n’ai personne dans ma vie en ce moment. »

Les femmes ne sont pas exemptées. La vie sexuelle de Léa*, 23 ans est beaucoup moins grivoise qu’avant les médicaments. Malgré sa dépression, elle avait des fringales démesurées et drainait son homme de toute son énergie plusieurs fois par jour. Elle admet que « c’est pas terrible, parfois c’est même très nul. Je prends du plaisir, mais j’ai du mal à atteindre l’orgasme. On le fait beaucoup moins qu’avant avec mon copain, parce que, parfois, ça me décourage ». Selon une étude, 10% des femmes sous antidépresseurs n'ont plus d'orgasme. Une situation qui met en péril l’alchimie de son couple et qui est loin d’être un cas isolé. Chez la gente féminine, le phénomène se traduit par une absence de désir ainsi qu’une incapacité à atteindre l’orgasme. Et quand on sait que les femmes sont déjà assez longues à venir, autant dire que se confronter à une anorgasmie, c’est embêtant.

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Si l’absence de désir s’installe et vient à poser problème, il existe des alternatives pour la contourner : d’autres antidépresseurs. Sébastien Garnero les énumère « comme le bupropion, la moclobémide, la réboxétine ou la trazodone qui sont moins nocifs pour la sexualité ». En marge de ces alternatives plus « sex friendly », le médecin peut choisir de vous diriger vers « une sexothérapie ». Le docteur Anne Marie Lazartigues, psychiatre et sexologue qui pratique aussi l’hypnose, n’est pas convaincue par ces solutions : « Je préfère m’en tenir à un certain nombre d’antidépresseurs, potentiellement nocifs à ce niveau-là, auxquels je suis habituée et qui marchent très bien. Le reste est trop expérimental. »

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Mais il possible que les antidépresseurs redonnent un coup de boost à l’humeur. Or qui dit joie de vivre dit joie de copuler (presque) retrouvée. « Si on prescrit bien l’antidépresseur la personne récupère sa pêche mais au bout d’un moment elle va dire y a un truc qu'elle n'a pas totalement récupéré, c’est l’envie de faire l’amour. Elle récupère seulement un peu de son désir par rapport à ce qui lui manquait quand elle était déprimée ». Le docteur Garnero, lui, affirme qu’au contraire « le fait d’avoir un mieux-être permet de relancer entièrement la libido. La dépression entraîne souvent une anhédonie, une perte de plaisir un peu générale. Donc dès qu’on va mieux il y a une reprise de l’activité sexuelle. »

« Une simple vidéo Snapchat d’un sex friend faisant un clin d’œil assez explicite m’a fait péter un câble et j’ai débarqué chez lui en pleine nuit en tambourinant à la porte de son appart » – Fanny

Fanny, 25 ans a vécu cette expérience grâce à son passage à la venlafaxine (Effexor) à l’automne 2017. En début de traitement elle a connu ce qu’on appelle une phase maniaque (ou « manie »). Pendant près de deux semaines elle avait « le feu au cul », et tout le monde autour d’elle en a pâti. « Une simple vidéo Snapchat d’un sex friend faisant un clin d’œil assez explicite m’a fait péter un câble et j’ai débarqué chez lui en pleine nuit en tambourinant à la porte de son appart. Il n’avait pas le droit de me laisser comme ça ! » Incapable de contrôler ses pulsions, elle confesse même avoir mis sa sécurité sur la sellette en sortant « un soir en robe sans culotte, exprès pour essayer de pécho n’importe qui dans un bar, avant de me raisonner et de rentrer chez moi pour éviter de me mettre bêtement en danger ».

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Outre les cas de dépressions sévères, les antidépresseurs peuvent également avoir un effet positif dans les cas d’éjaculation précoce. Selon le docteur Lazartigues « ça n’a donc pas que des inconvénients. Certains antidépresseurs sont curatifs de certains troubles sexuels comme celui-ci, c’est le cas des sérotoninergiques, et ça marche très bien ». Elle rajoute que « ça réactive le désir de ces hommes, puisqu’ils n’ont plus cette peur d’éjaculer trop vite, et que leurs rapports sexuels soient un échec. Ils reprennent confiance en eux. J’ai un monsieur que je vois très régulièrement qui est super content des résultats. Il a recommencé à avoir des relations sexuelles satisfaisantes, fréquentes, et sa femme est très contente ».

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Le docteur Garnero cite des antidépresseurs comme « par exemple le prozac, le deroxat, ou la paroxétine qui fonctionnent le mieux pour retarder l’éjaculation précoce, phénomène qui touche tout de même 1/3 des hommes. Ça peut être un palliatif intéressant bien que pas suffisant puisque cet effet s’arrête avec l’arrêt de la prescription ». Pour ceux qui avaient commencé à faire le deuil de leur vie sexuelle, rassurez-vous les effets des AD sur votre rapport au coït sont totalement réversibles.

Mais comme souvent dans la vie, tout est affaire de choix. Le docteur Lazartigues, déclare qu’il « vaut mieux ne plus être déprimé sous antidépresseurs et avoir moins de désir pendant quelques temps que d’être déprimé et ne pas avoir ces problèmes de désir. C’est un choix à faire ». Elle ajoute que les gens ne sont plus aussi disposés qu’avant à s’adonner à des séances de psychanalyse à n’en plus finir comme ils l’étaient il y a de cela vingt ans. Il faut réagir vite et efficacement. « Il faut leur proposer un certain nombre de séances, 15 séances ou 10 séances et après si ça ne marche pas, passer à un traitement médicamenteux. L’essentiel est de ne pas attendre que la personne s’enfonce dans la dépression pour ensuite risquer de faire une tentative de suicide en ayant l’impression qu’on ne l’a pas assez aidée ».

Les effets secondaires liés à la prise d’antidépresseurs varient d’un individu à l’autre, ce qui rend presque impossible d’établir une vérité générale. « C’est pas si blanc et noir que ça. Il y a des gens chez qui ça va avoir plus d’effets secondaires sur le désir que chez d’autres, c’est comme tous les effets secondaires. Ils n’existent pas chez tout le monde, ni avec la même intensité. C’est variable ». Pourtant une grande partie des consommateurs se plaignent de voir leur libido chuter en réaction directe à un traitement contre la dépression. Malheureusement, il existe trop peu de statistiques sur les problématiques liées aux antidépresseurs et leur prescription relève souvent de la cuisine. Le traitement idéal diffère selon les patients et très souvent on trouve le bon à force de tâtonnements. Mais Anne-Marie Lazartigues insiste : « Ce serait dommage d’induire une méfiance vis-à-vis des antidépresseurs », parce que dans la majorité des cas leur usage s’est révélé bénéfique. Alors entre libido déchaînée et dépression atténuée faut-il choisir ?

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver leur anonymat.

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