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Red Star FC

Les papas poules du Red Star

Depuis dix ans, Alain et Christian forment un duo indispensable au bon fonctionnement de l’équipe pro audonnienne. Les deux intendants évoquent cette décennie passée dans les entrailles de Bauer et les spécificités d’un métier de l’ombre.
Photo Paul Ducassou / Red Star

VICE et le Red Star se sont associés pour vous faire vivre de l’intérieur la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen. Nous serons présents sur les terrains et dans les vestiaires, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français. Aujourd'hui, on se pose aux côtés d'Alain et Christian, les intendants.


À chaque match du Red Star, Alain Giry et Christian Dubo s’affairent dans les vestiaires. Les deux intendants de l’équipe première audonnienne sont focus sur leurs préparatifs, afin que les joueurs soient dans les meilleurs conditions avant de pénétrer sur la pelouse. Le 8 décembre, en marge de la réception de Dunkerque [le Red Star s’est incliné 2-1, ndlr], Alain et Christian se sont posés une petite heure pour nous confier ce qui fait le sel de leur métier et de leur duo. Ils ont aussi évoqué leur rapport aux joueurs et leurs petits souvenirs de plus de 10 ans de vie commune au Red Star.

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VICE : Depuis quand êtes-vous au Red Star ?
Alain : Je suis intendant au club depuis la saison 2002-2003. Mon premier fils est né à Saint-Ouen et dans les années 1990, je passais très régulièrement devant le stade. Un jour, j’y suis entré. Puis avec des collègues, on a commencé à assister à quelques matches. Ce qui m’a donné envie de m’engager dans une association de supporters, « Les amis du Red Star ». On était un peu à la marge des autres supporters, on n’aimait pas trop la direction. Un dimanche matin, j'ai été contacté par un ancien du club. Il n'y avait pas suffisamment de voitures pour convoyer l'équipe première lors d’un déplacement de coupe de France. On était en DH à l'époque. En servant de chauffeur, j'ai donné un coup de main à l'intendant. Il était tout seul, le pauvre… Il devait acheter l'eau, les sandwiches… Il m'a mis le pied à l'étrier en me montrant comment remplir la feuille de match, en quoi consistait son métier… et c'est comme ça que tout a commencé.

Christian : Et moi, je suis arrivé en 2005. J'étais responsable des jeunes du club de Bobigny depuis vingt ans, et le directeur sportif du Red Star m'a fait venir.

Comment vous abordez votre métier d'intendant ?
Alain : Avec beaucoup d'humilité. Depuis la DH et la CFA2 jusqu'à aujourd'hui, je regarde toujours comment se préparent les équipes adverses et m'en inspire.

Christian : Quand on a reçu Marseille, Lille, et d'autres grandes équipes qu'on a eu la chance de rencontrer en amical et en coupe de France, on a pu observer le très haut niveau, où tout est plus structuré.

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Alain : Bon après, eux, ils avaient 15 000 intendants [sourire]. Mais on voit ce qu'on peut pomper et appliquer chez nous. Ça marche aussi pour les joueurs qui viennent de grands clubs parce qu'ils ont eu affaire à de grosses structures.

(Il s'interrompt, une responsable du Red Star entre dans le vestiaire et l'informe du résultat de l'amical du personnel du club contre l'école Polytechnique, victoire 3-2).

Christian : Les grands joueurs se remarquent tout de suite. Dans leur préparation, leur concentration. Paradoxalement, ils sont moins exigeants.

Alain : Prenons David Bellion par exemple. Ça se voit tout de suite qu'il est pro. Dans la manière d'aborder les matches, de s'habiller. Il va aller au médical, penser à tout, il garde des habitudes, on sent tout de suite une discipline. Ludovic Sylvestre, c'est pareil, il est carré parce qu'il est passé par le Barça et la Premier League.

Christian : On trouve ça chez les joueurs déterminés à devenir pros aussi. Ceux qui sortent de centre de formation, par exemple, sont plus concentrés que les amateurs. Ils sont aussi plus habitués au fonctionnement des intendants.

Christian Dubo à gauche, Alain Giry à droite. Photo Paul Ducassou / Red Star

Et cela se retrouve aussi avec de bons entraîneurs ?
Alain : Oui, clairement. Rui Almeida, qu'on a eu pendant la première saison de Ligue 2 [en 2015-2016, ndlr], a apporté beaucoup de professionnalisme et de rigueur. Il observait tout.

Alain : Rui Almeida était à l'écoute. Par exemple, ce ballon [il pointe un ballon qui traîne, ndlr], il était capable de le prendre et de vérifier s'il était à la bonne pression. Après, il y a des entraîneurs qui nous ont marqués négativement aussi. Notamment deux coaches, oh la la… c’était compliqué.

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Christian : Surtout avec moi !

Pourquoi avec toi ?
Christian : Parce que je suis très direct.

Alain : Moi je suis plus… conciliant. S'il se passe quelque chose je passe sous la porte. Mais pour reprendre ce que l'on disait, il y a des coaches pour qui on n’existe pas. On n'a aucune relation avec eux. À l'époque, il y avait de mauvais résultats, donc il cherchait des boucs émissaires. Il remettait la faute sur son adjoint, le staff, nous et d'autres…

Comment fonctionne votre duo ?
Alain : Il n'y a pas besoin de dire « fais ceci » ou « fais cela ». Chacun sait ce qu'il a à faire. Christian s'occupe de préparer la collation, moi je floque les maillots. On se marche pas sur les pieds. Ça se fait naturellement.

Christian : On est complémentaires. On travaille toujours à deux. Après, ça ne nous empêche pas d'avoir des petites tensions.

« De façon générale, les joueurs sont reconnaissants envers nous : ils mesurent la valeur de notre travail. » – Christian Dubo, intendant du Red Star

Votre métier est compliqué dans le sens où si vous faites bien votre boulot, on ne parle pas de vous, mais à la moindre erreur, c'est vous qui prenez.
Alain : C'est exactement ça. On se fait remarquer par le fait de ne pas faire d'erreur. S'il y a quelque chose qui cloche, le joueur va se plaindre tout de suite.

Christian : Donc on essaie de tout anticiper.

Alain : Par exemple, hier un joueur a laissé ses affaires au vestiaire. Naturellement, je les ai mises dans le véhicule de liaison. Il est passé ce matin et ne les a pas retrouvées. Mais il s'est dit « Oh, Alain doit les avoir ». Les joueurs ont entièrement confiance en nous. Après, on est humains, on peut se tromper de taille de short. On oublie des choses. Mais on doit faire en sorte de ne jamais le montrer.

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Vous vous souvenez de petits soucis ou de demandes incongrues ?
Alain : Pas vraiment, mais tout à l'heure un joueur m'a envoyé un texto : « J'ai eu un accident, est-ce que tu peux venir prendre des photos de mes phares ». Ce genre de trucs. Sinon, on a parfois des soucis avec les maillots. Par exemple, à Béziers on s'est retrouvés à jouer avec les couleurs de l'équipe réserve parce que l'arbitre trouvait nos couleurs trop proches de celles de l'adversaire.

Christian : À Bauer, le délégué nous embête tout le temps avec le local antidopage. Il devrait se situer dans les vestiaires et il est à l'autre bout du stade.

Alain : Autre chose : ça peut arriver que des équipes nous accueillent mal, volontairement. Par exemple, l'an dernier lors d'un déplacement, on nous avait mis la clim d'air chaud à fond dans les vestiaires. Impossible de la baisser. Il faisait 30 degrés. J'en ai parlé à l'intendant. Il a tripoté un boîtier, mais rien n'a changé.

Christian : Quand on va en Corse, c'est pareil. On vient avec notre eau, donc on a droit à la remarque « Ah, ça veut dire que notre eau n'est pas bonne ? ». Mais il y a un passif là-bas. Mieux vaut prévenir que guérir.

Quel rapport entretenez-vous avec les joueurs ?
Christian : Alain est là tous les jours, moi deux jours par semaine en plus du match. Le reste du temps, je suis moniteur d'auto-école. Du coup, il a un lien plus intime avec eux.

Alain : Je joue un peu un rôle de confident auprès des joueurs. Mais seulement quand eux viennent vers moi pour me raconter leur vie. Pour tout ce qui est du football, on ne fait jamais de commentaire, ce n'est pas à nous de le faire. Il faut savoir garder une distance.

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Christian : On peut parler du match avec un joueur, mais il ne faut pas donner de conseils tactiques à la place du coach. Beaucoup de joueurs viennent se plaindre en nous disant par exemple, « Je devais rentrer à tel moment, pourquoi on m’a sorti », etc. Si tu réponds et que tu rentres dans ce jeu-là, t'es mort. J’encourage juste les joueurs à travailler à l'entraînement.

Alain : Après, on connaît par coeur leurs petites habitudes. Je sais qu'untel va découper ses chaussettes, l’autre va mettre ses affaires dans un sens particulier pour que je les lave, un autre va essuyer ses crampons pleins de boue avec une serviette blanche faite pour le corps… du coup on s'adapte.

Christian : On fait les papas, quoi.

Alain : Je ne vois peu ou pas les joueurs en dehors. Sauf les anciens, avec qui on conserve de bonnes relations. Quand on les croise avec une autre équipe on se fait la bise. Il y en a certains qu'on appelle ou avec qui on échange sur Facebook. Christian, tu gardes plus le lien que moi.

Christian : Oui, je suis en contact avec Samuel Allegro, Naïm Sliti ou Jonathan Mexique, le petit prêté de Monaco… C’est toujours un plaisir. De façon générale, les joueurs sont reconnaissants envers nous : ils mesurent la valeur de notre travail.