Stoya veut que vous piratiez du porno

Stoya veut que vous téléchargiez ses films. Gratuitement.

La star du porno, également entrepreneuse et écrivaine, l'a clairement affirmé dans un article posté sur son blog. Elle critique vertement les « tubes » - ces sites façon YouTube où des utilisateurs uploadent allègrement tout un tas de scènes et de films gratuitement sans se soucier des lois sur le copyright – et émet l'idée que si vous voulez du porn gratuit, alors vous devriez au moins le télécharger en torrent (et soutenir ainsi la liberté de l'information) au lieu de vous précipiter sur les tubes et de générer des revenus publicitaires pour ces sites pour le moins douteux.

L'actrice exprime également son souhait d'obtenir une licence Creative Commons spécifique pour ses films porno, ce qui les rendrait disponibles uniquement via torrent. Creative Commons est une organisation à but non lucratif qui délivre des licences de droits d'auteur permettant de partager gratuitement des œuvres avec le public. Avec une licence share-alike, par exemple, une œuvre ne peut être repostée que sous la même licence. Avec une licence non-commercial, elle peut être reproduite et diffusée à la condition que ce ne soit pas à des fins lucratives.

Les tubes se sont bâti une très mauvaise réputation depuis quelques années. En 2014, un article de Slate consacré à MindGeek – le plus grand propriétaire de tubes d'Amérique du Nord – accusait la société de « monopole » en raison de sa tendance à racheter tous ses concurrents, que ce soit dans la production ou la distribution des contenus. MindGeek est aussi l'une des cibles de choix de Stoya.

Quand elle ne fricote pas avec les pires acteurs du monde du divertissement pour adultes, Stoya se consacre à son nouveau site pay-per-scene, TRENCHCOATx. Le site présente quelques innovations, comme par exemple des vidéos financées par le placement de produits, une nouveauté dans le secteur. Le premier film, dirigé par Kayden Kross, la co-fondatrice de TRENCHCOATx, fera de la pub pour ArrangementFinders – un site de rencontres pour sugar daddy. Le film est intitulé Screwing Wall Street : The ArrangementFinders IPO.

Défendre le droit au piratage alors qu'elle est elle-même en train de bâtir sa propre entreprise est assez étonnant de la part de Stoya. On a donc décidé de l'appeler pour écouter ce qu'elle avait à dire sur le copyright, le capitalisme, et l'importance de l'accès de tous au porno.

Motherboard : Qu'est-ce qui vous motive à inciter les gens à télécharger vos films en torrent ?

Stoya : J'ai conscience que ça peut étonner. Bien sûr qu'il faut de l'argent pour produire quoique ce soit. Et cela coûte encore plus cher de produire quelque chose de bonne qualité. Par exemple, on voulait que Graphic Depictions (une série consacrée à la vie sexuelle d'un protagoniste queer) ait sa propre bande originale. Le mec qui a enregistré la BO mérite évidemment d'être rémunéré, alors comment on le paye ? C'est de plus en plus compliqué, surtout avec Internet.

Imaginons que TRENCHCOATx soit une boutique à Brooklyn, où vous pourriez flâner, toucher un peu tout, et acheter des objets physiques – un DVD ou une clé USB avec un petit fascicule, par exemple. Imaginons maintenant que quelqu'un entre dans la boutique, prenne quelque chose, le mette dans sa poche, et reparte sans un mot. Ce serait absurde !

Mais les contenus numériques sont différents. Le contenu se trouve sur un disque, un serveur quelque part. Le regarder grâce à un torrent ne revient pas vraiment à le voler, il ne disparaît pas. Il y a eu de nombreux débats au sein du secteur concernant l'idée de rendre nos contenus gratuits. D'un côté, ce serait très beau. Mais de l'autre, cela poserait plusieurs problèmes. Ce qui est certain, c'est que le piratage existe de toute façon.

Vous semblez penser que le torrenting est plus « éthique » que d'autres formes de distribution. Vous pensez que la diffusion du porno par des torrents peut avoir des bénéfices sociaux ?

Le truc, c'est que si un mec de 18 ans qui a deux jobs différents pour pouvoir payer son loyer et qui n'a pas un sou en poche a envie de regarder du porno pour se détendre et/ou se masturber, je préfère qu'il regarde ce que je produis plutôt que des très vieux trucs ou des saloperies trouvées sur des tubes. Où tout se ressemble, en plus.

D'un côté, c'est vrai que l'objectif, c'est de faire en sorte que nos productions génèrent assez d'argent pour qu'on puisse vivre, Kayden et moi. Mais en même temps, ce qui me pousse à créer quoique ce soit, qu'il s'agisse d'un blog ou d'un film porno, c'est une volonté d'expression et de partage, de montrer une forme de pluralité sexuelle. Alors ok, je veux bien que mes œuvres soient disponibles pour ceux qui n'ont pas d'argent. Et j'aimerais que cela fasse partie du discours de l'industrie.

Vous pensez que diffuser du porno en Creative Commons est vraiment faisable pour une société comme la vôtre ?

Quand j'ai dit « J'espère que Creative Commons créera une licence spécifique pour Stoya », c'était un peu une blague. Mais celle que j'ai demandée spécifie clairement que mes œuvres sont sous les régimes non-commercial et share-alike. Et je suis à 100% pour. Je pense que tout est faisable ; il est encore tout à fait possible de faire une carrière dans le divertissement sur Internet sans se comporter comme un enfoiré avec les producteurs. Je pense que la bonne façon de faire, c'est le non-commercial. Prends ce que tu veux, et ne te fais pas d'argent avec. Par contre, si tu t'en fais, nous avons droit à une part. C'est comme ça que devraient fonctionner tous les projets collaboratifs et commerciaux. On en est encore loin, qu'il s'agisse de l'industrie en général ou de TRENCHCOATx en particulier, mais c'est vers ça que je veux aller.

Est-ce qu'un véritable « YouTube du porno », 100% légal, pourrait exister un jour ? Seriez-vous d'accord avec ça ?

Je pense que c'est une question très épineuse. On pourrait écrire un livre entier sur le sujet. Mais il existe déjà des tubes – WoodRocket ou PornTube, par exemple – qui sont indépendants, et qui sont bien plus réglos et plus éthiques. S'ils diffusent quelque chose, ils s'assurent d'abord qu'ils ont le droit de le faire, ce qui me paraît éthique.

Quand je dis « pas de tubes, que des torrents », j'ignore l'existence des quelques tubes respectables, mais c'était nécessaire pour que le message passe. De la même manière que l'éducation sexuelle se résume bien souvent à « Mettez un préservatif ! ». Si vous n'avez que 20 secondes pour enfoncer un message dans le cerveau de quelqu'un, ok, parlez-lui de préservatifs. Mais les choses sont un peu plus complexes. Les préservatifs ne sont pas 100% sûrs, il y a d'autres méthodes que vous pouvez utiliser. Vous pouvez par exemple mettre une capote, mais aussi parler de vos relations passées et faire un test rapidement. Vous ne serez jamais « sûrs » à 100%, mais vous pouvez réduire vos chances d'avoir une mauvaise surprise.

Ok, je me suis un peu laissée embarquer par cette histoire de capotes, mais ce que je voulais dire, c'est que parfois il faut renoncer à la nuance pour mieux faire passer un message. C'est tout l'art de la propagande.

Comment fonctionne un « bon » tube ?

Déjà, ils sont de bonne foi. Ils obtiennent des licences. Par exemple, quand il s'agit d'une vieille vidéo dont les propriétaires ne tirent plus de revenus, ils se débrouillent pour récupérer les droits contre une poignée de dollars. Ça peut aussi d'être d'autres types de deals – je ne suis pas experte – mais ils s'assurent toujours que le propriétaire du contenu est au courant de sa diffusion, et ils lui demandent son autorisation. Il reçoit aussi une certaine compensation. C'est cool.

L'un des problèmes, c'est que certains ont bâti un énorme réseau de tubes qui dévalue toute l'industrie – rachetant tellement d'acteurs que Slate a qualifié MindGeek de "monopole" – et se sont mis à tout homogénéiser. Quand une seule personne ou société a presque tout le pouvoir dans un secteur ou un groupe donné, cela pose problème. Et quand ils utilisent ce pouvoir pour tout homogénéiser, c'est un gros, gros problème.

Étant donné que l'éducation sexuelle n'éduque finalement à rien, les gens se tournent vers le porno. Il est donc très inquiétant de voir qu'une entreprise impose ainsi sa vision du sexe et des femmes, qui se répand dans la société. C'est un putain de cauchemar.

Tous ceux qui téléchargeront vos films en torrent ne seront pas de bonne foi. Où se trouve la limite entre le fait d'être payée et celui de se laisser exploiter par d'autres, si je puis dire ?

Le fond du problème, c'est : comment survivre dans ce système de merde qu'est le capitalisme ? Il suffit de regarder autour de nous à n'importe quel moment pour voir que des choses horribles se produisent dans le monde et que tout est lié au capitalisme. Les gens font des choses atroces au nom du capital ou au nom du pouvoir. Par exemple, au Pakistan, les gens refusent désormais de se faire vacciner contre la polio parce que la CIA s'est servie de fausses campagnes de vaccination comme couverture pour opérer là-bas. Du coup, la polio explose là-bas. Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Des atrocités sont commises en permanence au nom du capitalisme.

Comment vivre dans un tel contexte ? On ne peut pas simplement demander aux gens de renoncer à leurs comptes bancaires et d'arrêter d'être des enfoirés. Alors comment on fait pour non seulement survivre, mais réussir à dormir la nuit ? C'est un processus, une expérience, et je ne pense pas que quiconque ait une réponse à cette question, sauf peut-être un sociopathe qui s'en fout et dort très bien sur ses deux oreilles pendant que des gens commettent des crimes pour de l'argent.

Que diriez-vous à quelqu'un qui s'apprête à uploader une vidéo sur son tube préféré, et qui ne sait pas qui possède les droits ?

Dans ce cas, même moi j'aurais du mal à savoir qui possède le tube en question, ça demanderait beaucoup de recherches. C'est pour ça que je conseillerais plutôt de diffuser la vidéo en torrent. Arrêtez d'utiliser les tubes. Préférez les torrents, sérieux.