Rachid, l'ange gardien de Bauer
Photo : redstar.fr

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Rachid, l'ange gardien de Bauer

Depuis 11 ans, Rachid Oudjoudi est le gardien du stade mythique du Red Star. Aujourd'hui, il est une véritable institution dans l'univers du club de Saint-Ouen.

VICE et le Red Star se sont associés pour suivre la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen sur et hors des terrains, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français qui joue en National, la troisième division française. Aujourd'hui, nous vous présentons Rachid Oudjoudi, gardien du mythique stade du Red Star depuis plus de 10 ans.

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« Entre ! Ne ferme pas la porte. Ici, on ne les ferme jamais, c'est un principe. » Lorsqu'on parvient enfin à intercepter Rachid Oudjoudi dans un couloir, le gardien du mythique stade Bauer nous invite à pénétrer dans son antre. Un modeste bureau en bois, juste en face de l'entrée principale, où l'on aperçoit rarement sa silhouette râblée derrière la vitre transparente, tant il se démène aux quatre coins du stade audonien. Aux murs, des photos de liesse des montées successives du Red Star, des billets de matches mémorables, un autographe de Bernard Menez et un échantillon unique du parfum du club à l'étoile rouge. Les souvenirs de onze ans de gardiennage à Bauer qui ont fait de Rachid une institution du côté de Saint-Ouen.

Nous débarquons sur le coup de 17 heures, l'heure de pointe pour Rachid. Les entraînements débutent, les parents affluent et les cliquetis des clés des vestiaires résonnent dans tout l'édifice. Notre entretien est sans cesse interrompu par les coups de fil et requêtes diverses. Aucune n'est accessoire pour lui. Le gardien n'est jamais tranquille. Mais, « par amour des gens », il a un jour accepté de faire ce métier. Onze ans plus tard, il en est toujours ravi.

Tout a commencé par une candidature auprès de la mairie de Saint-Ouen en 2006. Rachid a connu mille boulots, de chauffeur-livreur à peintre en bâtiment, avant de s'occuper, longtemps, de l'intendance de la piscine municipale audonienne. L'offre de Bauer l'attire. « Pourtant, à la base, je n'aime pas trop le foot », lance-t-il, comme un tir à contre-pied. « En plus, je suis mauvais, je recule quand il faut accélérer… Je préfère le judo et les sports individuels. » Mais la polyvalence et la sociabilité de Rachid, vanneur invétéré, en font l'homme idéal pour le job.

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Rachid Oudjoudi en pleine action dans les couloirs de Bauer, qu'il connaît mieux que personne car il y habite depuis onze ans. Photo : redstar.fr

Un job qui a tout de même une particularité : le gardien de Bauer se doit d'habiter dans le stade. Au cœur même d'une tribune, pour être précis. Rachid accepte et emménage avec sa femme, ses deux enfants et Loulou, son chien, souvent de passage sur le pré en plein entraînement. Il préfère garder le lieu exact secret pour limiter les visites intempestives. « Chez moi, ça sonne tout le temps le dimanche. On me demande : "T'as pas les maillots ? Les licences ?" Le seul moment où je ne travaille pas, c'est quand je m'en vais. Je connais des gardiens de stade qui habitent dans des pavillons, moi non, mais je l'ai choisi. »

Mis à part cette spécificité, ses journées ressemblent à celles de n'importe quel gardien de stade. Même ceux qui habitent dans un pavillon. « Le matin, je remets à niveau tout ce qui a été fait la veille : je fais le nettoyage, je sors les poubelles, je remplace les ampoules ou je répare les filets, détaille Rachid. Mon boulot est varié. Ce n'est pas juste "je donne les clés" et "je les récupère". »

Sauf que Bauer n'est pas un bâtiment lambda. Pour s'en assurer, nous profitons d'une énième pause du gardien pour visiter les lieux. Surprise : tout est ouvert. Même le terrain, ensoleillé en cette fin d'après-midi, où trois gamins du coin tapent une qualif dans une cage vide. Autre singularité : des U7 aux seniors, des parents aux éducateurs en passant par – évidemment – Rachid, tous les visiteurs se serrent la main. Même les inconnus. On fait part de notre étonnement au maître des lieux. « Peut-être que vous habitez une planète différente que la nôtre, charrie Rachid, avant de verser dans la poésie : Bauer, c'est une île. Il y a un portemanteau devant, et tout le monde y dépose ses petits soucis avant de rentrer. »

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La loge de Rachid, où tout le monde vient lui demander un service ou simplement le saluer. Photo : Bartolomé Simon

Plusieurs grands noms ont accroché leurs petits soucis à l'entrée de la rue du docteur Bauer. Il y a les joueurs avec qui Rachid garde contact : Marlet, Allegro, Doukantié… et ceux qui l'ont simplement marqué, comme Lee Yong-jae – « le seul asiatique de l'histoire du Red Star, il pouvait traverser l'immeuble d'en face en courant, inarrêtable ». Ou Youcef Touati, tragiquement parti dans un accident de voiture début 2017, qu'il évoque le regard fuyant. « Il a fait ses classes ici. Il arrivait en mobylette, déconnait tout le temps avec ses potes… C'était un gamin, il avait une partie de lui qui s'échappait. Mais c'était un mec bien, paix à son âme. »

À 54 ans, Rachid a vu grandir le Red Star, de la CFA à la Ligue 2. Son souvenir préféré ? « La montée en Ligue 2. Le stade était rempli, le public magnifique… Ça me fait frissonner rien que d'en parler. Regarde, j'ai les poils », s'exclame-t-il en retroussant sa manche gauche. « J'ai déjà vu des matches avec 80 000 personnes. Ici, avec 3 000, ça a un meilleur rendu. À la mi-temps, la buvette est un spectacle à elle seule. Tout le monde est collé… Pire que dans le métro ! L'architecture crée une proximité incroyable entre les spectateurs, et entre le public et les joueurs. »

Dans le coin photo de Rachid, une photo de lui, mais aussi le portrait de Lee Yong-jae, le seul joueur asiatique passé par le Red Star. Photo : Bartolomé Simon

Les deux dernières saisons, faute de disposer d'un stade aux normes pour la Ligue 2, le club rouge et vert a été délocalisé à Beauvais puis au stade Jean-Bouin, à Paris. Rachid, lui, est resté coincé à Bauer. Sans Red Star. « Je l'ai vécu comme une déchirure. Tu te rends compte ? Mon équipe monte dans son stade, et elle s'en va… J'avais presque envie qu'elle reste en National ! » Deux déplacements dans les stades fantoches ont fait regretter à Rachid la saveur unique de Bauer. Personne ne semblait vraiment la retrouver. « Même en milieu de saison, du public venait à Bauer en demandant à voir le match du Red Star, se souvient Rachid, sourire angélique jusqu'aux oreilles. De toute façon, Bauer, il faut le vivre pour le comprendre. » Le vivre, comme les supporters ont la chance de le faire depuis le retour en National cette saison, c'est bien, mais y vivre, c'est mieux. Et ça, seul Rachid peut s'en targuer.

Bartolomé Simon est sur Twitter.