Music

À quoi ressembleront les festivals cet été ?

En France, on n’a pas de masques, mais on a des idées.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
festival coronavirus
Illustration de Vincent Vallon.

C’était à prévoir, mais les annonces d’Emmanuel Macron du 13 avril dernier n’ont fait qu’entériner les craintes pour les festivals de l’été. À partir du 11 mai, malgré un déconfinement progressif esquissé par Édouard Philippe le dimanche suivant, ces derniers resteraient à l’arrêt – annonce qui a entraîné toute une série d’annulations, en plus d’incertitudes concernant le statut des intermittents.

Mais au milieu de cette sinistrose, un petit îlot d’espoir a surnagé. Interrogé lors d’une audition au Sénat, le ministre de la Culture Franck Riester s’est fendu d’une déclaration lunaire pour les petits festivals exemptés, qu’on reproduit donc ici en intégralité :

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« Un grand rassemblement, avec une foule de 3 000 personnes les uns sur les autres, ce n’est pas imaginable. Par contre, un petit festival rural, avec une scène, un musicien et 50 personnes, qui sont à un mètre les unes des autres, sur des chaises, et qui ont un masque et en ayant la possibilité de bien se laver les mains avec des produits spécifiques, on pourra tenir ces festivals-là. »

Si on s’en tient à ce seul discours, doit-on penser que l’horizon des festivals français s’articulera désormais autour d’un grand écart inédit entre le solidaire et l’ultra-sécuritaire ? On a tenté d’y voir plus clair, tout en gardant en tête ce mot d’ordre qui semble guider notre gouvernement depuis le début des festivités : en France, on n’a pas de masques, mais on a des idées.

Pour continuer à exister, un festival devra apprendre à être convivial

On nous bassine depuis tellement longtemps avec des festivals à « taille humaine », au
« supplément d’âme » ou à l’esprit « DIY et familial » qu’on a oublié depuis longtemps ce que ça voulait dire. Mais rassurez-vous, grâce au coronavirus, ces expressions de cadre sup qui n’ont jamais mis les pieds dans la boue ou eu de descente d’organe en sortant de leur tente Quechua le matin de la fête de l’Huma n’auront bientôt plus de secret pour vous. Quatre pauvres chaises de jardin postées devant un soundsystem qui grésille et qui fait dangereusement trembler le groupe électrogène, le voilà enfin, le festival garanti « sans prises de tête » de vos rêves. Les nuits de l’accordéon de Cavan comme si vous y étiez.

Pour continuer à exister, un festival devra apprendre à être autonome

Si le DIY aura bientôt retrouvé de sa superbe et ne servira plus uniquement à vendre des perceuses sur Amazon, attendez-vous même à commencer à prendre l’expression au pied de la lettre. Bientôt, We Love Green ne sera plus « le festival dont vous êtes la tireuse à bière », mais plutôt « le festival dont vous portez la tireuse à bière, en plus de la payer ». Mais si vous allez rester dans l’incapacité de vous réunir en groupe pendant un certain temps – certains experts repoussent jusqu’à l'automne 2021 la possibilité de tenir des concerts –, rien ne dit que vous allez continuer d’être dans l’incapacité de prendre les choses en main vous-mêmes, comme par exemple aller chercher de la bibine chez l’épicerie d’en bas de chez vous. Car désormais, le festival, c’est vous, et uniquement vous. Et puis sans catering, ça permet de se débarrasser de pas mal de main-d’œuvre superflue.

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Tout seul comme un grand, vous serez encouragés à vous taper ces packs de 20 bières dans vos escaliers, pour vous coller ensuite devant votre ordi devant un set de Bob « so funky » Sinclar ou des Rolling Stones en playback – mais il fait de la air batterie, c’est génial ! –, le tout pour payer la somme modique de 9,99 euros le concert. Alors d’accord, la plupart des concerts en ligne sont aujourd’hui gratuits, mais ne vous faites pas trop d’illusions quant à la suite, sinon comment David Guetta pourra-t-il continuer à se payer ses traces de coke entre deux réflexions philosophiques sur la vie et tout le reste depuis sa chambre d’hôtel à Miami ? Là encore, vous pourrez enfin mettre en œuvre tous les idéaux dont vous avez toujours rêvé : le festival du futur sera tellement non-binaire, tellement non-mixte, tellement exclusif qu’il n’y aura plus que vous dedans. Personne ne se touche, personne ne se rencontre, ou comment réconcilier à la fois les rêves mouillés de Civitas et des Indigènes de la République.

Pour continuer à exister, un festival devra apprendre à être créatif

Si vous tenez absolument à la promiscuité avec des tas d’êtres humains avec qui vous n’auriez probablement échangé aucun fluide si vous n’aviez pas gobé ce para mal dosé, il vous faudra être inventif. Pour ça, on peut tabler sur des solutions à la fois vintage et hygiénistes, comme organiser un improbable retour des soirées mousse, avec de l’eau de javel dans la mousse et de l’alcool ménager en spray qu’on s’envoie dans la gueule pour bien tuer tous les microbes. Revival Aqualand de Gif-sur-Yvette, anyone ?

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Mais si on veut être un brin tatillon, il va falloir renforcer les règles sanitaires de sécurité. En Chine, on applique déjà la règle des codes QR à l’entrée des bâtiments publics par exemple, lesquels mesurent directement sur votre smartphone votre degré de risque de contamination avant même que vous ne pouviez passer la porte d’entrée. Pourquoi ne pas appliquer cette règle aux bars, aux clubs, aux festivals ? Allez hop, dehors les gens malades. Et pourquoi ne pas aller plus loin, et exclure les gens « pas cool » de vos rassemblements préférés ? Les chemises à fleurs ? Les bobs ? Les bottes en caoutchouc ? Encore mieux, pourquoi ne pas créer un Battle Royale du déconfinement ? Il suffirait juste de réunir tous les cas suspects sur une île (l’île de Ré par exemple), les laisser s’entretuer pour réguler un peu la population, puis donner au vainqueur (il faut tout de même une carotte) un prix spécial : un test de dépistage et une plaquette de Plaquénil.

En moins radical, on peut imaginer des évènements ultra-sécuritaires, à l’allure de forteresses résidentielles avec des barbelés, des enceintes de 20 mètres de haut qui ne passent uniquement que « J’lai pas touchée » de Christophe (RIP), et des miradors avec des snipers pour voir si « tout se passe bien ». En un claquement de doigts, vous aurez l'impression d'être en Cisjordanie.

Pour continuer à exister, un festival devra apprendre à être dans l’illégalité

Les ravers entêtés qui voudraient passer outre ces règles sanitaires élémentaires ne sont pas des gros débiles qui ne pensent qu'à leur gueule, disons plutôt que ce sont juste des gens très fortement attachés à la notion d’immunité collective. Quelle autre explication pour ces intrépides de la déglingue, à l'image de ces malandrins de Loire-Atlantique prêts à ouvrir un bar clandestin, et donc de tomber malade et de contaminer tout le monde autour pour servir la cause ?

Car pour recréer cette douce ambiance de fin du monde du bien nommé « Festival du bout du monde », les festivaliers devront apprendre à slalomer entre les pylônes de la légalité. Et surtout prendre leur mal en patience. Car si vous tenez absolument à organiser coûte que coûte cette bamboche que vous attendez depuis des mois comme s'il ne s'était absolument rien passé entre temps, et goûter ainsi à ce doux nectar de l'intempérance, il vous faudra d'abord commencer par choper toutes les IST possibles et imaginables pour pouvoir accéder ensuite au deuxième stade de l'immunité - car oui, dans ce sous-sol de l'enfer qu'on appelle désormais « fêtes clandestines », il faut que vous sachiez que vous ne tomberez sans doute que sur des petits cracras. Mais au moins on vous aura prévenus.

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