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J'ai goûté aux spécialités du programme de propagande culinaire nord-coréen

La Corée du Nord passe son temps à vouloir convaincre la terre entière que la vie dans le royaume ermite n’est pas si mal qu’on le croit. Est-ce un hasard si lors de mon dernier voyage organisé dans la patrie de Kim Jong-un, j'ai passé mon temps à...

La Corée du Nord passe son temps à vouloir convaincre la terre entière que la vie dans le royaume ermite n'est pas si mal qu'on le croit. À cette fin, des projets de parcs aquatiques, de cinémas 4D, et même de delphinarium, sont en cours de développement à Pyongyang. Comme si les autorités de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) voulaient exposer désormais à la face du monde une sorte de paradis de l'ouvrier moderne — plutôt que de continuer à souffrir de l'image d'une société dystopique ravagée par la famine et les sècheresses. Paradoxalement, la bouffe semble toujours occuper une place centrale dans la stratégie de propagande mise en place par le pouvoir, pendant que des millions de Nord-Coréens continuent de crever littéralement la dalle.

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C'est du moins l'impression laissée à Andrew Nowlan, un Canadien de 36 ans, au retour d'un voyage en Corée du Nord dans le cadre d'un séjour « encadré par l'État ». Le but avoué du voyage : célébrer « la victoire épique » de la RPDC contre les agresseurs impérialistes américains et leurs marionnettes de Corée du Sud. Une opportunité d'embarquer pour un « Tour de la Victoire » organisé — et encadré de très près — par le gouvernement de Pyongyang, que ce professeur de Cultural Studies qui enseigne à Osaka, au Japon, ne pouvait pas laisser passer.

Au cours de ce périple qui a duré cinq jours, le régime du pays le plus isolé du monde n'a pas seulement montré toute l'étendue de sa puissance militaire, mais a aussi proposé à ses invités de goûter à toute la richesse de sa culture culinaire. Et ce, semble-t-il toujours, dans l'effort continu de prouver que la nourriture est disponible en abondance dans l'empire de Kim Jong-un.

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Andrew Nowlan en compagnie du père et du grand-père de Kim Jong-un.

MUNCHIES : Salut Andrew, tu peux nous expliquer comment tu as fait pour obtenir la permission d'entrer en Corée du Nord ?

Andrew Nolan : C'était assez simple, en vrai. J'ai payé quelques milliers de dollars à une agence touristique de Pékin qui a tout géré. Tout était inclus : l'hôtel, le « Tour de la Victoire » et les trois repas par jour.

Qu'est-ce qui t'a motivé à partir en Corée du Nord ?

C'est un endroit qui m'intéressait depuis longtemps. C'est un pays intriguant, mystérieux. Ça m'attirait et je voulais voir de mes propres yeux de quoi ça avait l'air. Mais j'étais conscient que ce voyage organisé ne me présenterait qu'une image très édulcorée de la Corée du Nord.

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À quoi tu t'attendais avant d'arriver ?

Je m'attendais à voir uniquement le bon visage du régime, la richesse de façade du pays et la réussite du gouvernement de Kim Jong-un. Avec tous les films que l'on voit sur la Corée du Nord, on finit par se persuader que c'est la réalité de ce qu'il se passe sur place. Moi, je suis parti avec l'envie d'aller un peu plus loin dans mon cheminement et je m'attendais donc à trouver une société ravagée par la pauvreté, encore minée par la famine des années 90. En fait, je suis parti avec une certaine ouverture d'esprit.

Où est-ce que tu étais logé là-bas ?

Quatre nuits sur cinq, j'ai dormi au Deluxe Hotel de Pyongyang qui se trouvait sur une petite île. C'était assez austère comme endroit. Il y avait des coupures de courant assez fréquemment et à un moment, il me semble même que j'ai pris le jus.

Le petit-déj des champions : un bouillon de légumes et une bière.

À quoi ressemble le petit-déjeuner dans un hôtel nord-coréen ?

C'est un truc assez classique. Les repas ne sont pas toujours de très bonne qualité, mais c'est copieux et ça vous remplit l'estomac. En général, on avait droit à un bouillon de légumes, de la viande frite, un peu de soupe, du tofu et des omelettes. Mais au petit-déj, certains petits détails trahissaient le fait que la nourriture n'était pas aussi abondante que ça. Par exemple, j'ai vu des serveurs ré-utiliser la même pochette de thé pour servir trois clients différents. Une personne de mon groupe disait qu'il avait vu des membres du personnel de l'hôtel manger les restes de bouffe que les clients avaient laissé dans leurs assiettes.

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Est-ce que tu avais l'impression que les Nord-Coréens essayaient de t'en foutre plein la vue avec leur bouffe ?

Ils insistent pour que tu goûtes tout ce qu'ils ont à te proposer. Je pense qu'ils mettent un point d'honneur à ce que les étrangers puissent manger à volonté. Je crois aussi que les Nord-Coréens voient les touristes comme une manière de communiquer avec le monde extérieur et un bon moyen de répandre l'idée que la Corée du Nord est une société prospère, un paradis ouvrier dans lequel les gens sont épanouis. C'est l'image qu'ils veulent véhiculer. Mais en réalité, si vous creusez et faites une peu de recherches, c'est assez facile de comprendre que c'est exactement le contraire.

Il y a un repas en particulier qui t'a marqué ?

Le meilleur repas, c'était de la viande grillée façon barbecue coréen. Il y avait du poulet, du boeuf et du canard. L'une des bases de la cuisine là-bas, que l'on retrouve à tous les repas, c'est les nouilles froides. Ça ressemble aux nouilles soba japonais, mais c'est servi dans un bouillon avec du porc, quelques légumes et de la sauce gochujang. C'est plutôt bon.

Ça a l'air délicieux. Est-ce que tu t'es déjà retrouvé face à un plat qui t'a laissé perplexe ?

Je dirais que la soupe de chien était un plat assez intrigant. Elle était proposée en option lors d'un repas pour 5 euros de plus. Habituellement, on nous proposait du canard, mais cette fois-ci, c'était du chien et il était servi dans un bouillon légèrement épicé aux piments. Il y avait des morceaux de viande, du foie et des intestins. Ici, ils ne jettent rien. Un soir quelqu'un a mangé un pénis de chien à la ciboulette. Il a fallu que je le goûte, par curiosité.

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Dog soup and beer.

De la soupe au chien et une bouteille de bière locale.

Et c'était comment le pénis de chien ?

C'était tendre et moelleux avec goût très prononcé de viande. Ça ressemblait un peu à de l'agneau mais avec une texture très différente. Quand j'en avalais une bouchée, ça laissait une fine pellicule étrange dans ma bouche et c'était assez perturbant. Je faisais descendre avec de la bière après chaque bouchée parce que je sentais littéralement mes tripes remonter le long de ma gorge. J'étais à deux doigts de vomir. Et le jour suivant, mon estomac m'a fait la misère.

Tout le monde aurait eu besoin de quelques verres pour faire passer ça. Est-ce que tu as beaucoup picolé en Corée du Nord ?

Ouais, grave. Là-bas, la bière c'est comme de l'eau. La plupart des restaurants dans lesquels l'on s'est rendu possédaient d'énormes fûts remplis de bière locale nord-coréenne. Chaque repas était systématiquement accompagné de bière. Et si on voulait du rabe, la grande bouteille de bière coûtait à peine 1,30€.

On vous laissait vous bourrer la gueule ?

Tous les soirs on retournait à l'hôtel avec l'interdiction de quitter les lieux. L'hôtel dans lequel nous étions fonctionnait comme une mini-ville : il y avait un casino, des bars, et même un restaurant tournant panoramique tout en haut du bâtiment. En rentrant, la plupart des gens allaient au bar pour boire des coups. On a même pu visiter un genre de micro-brasserie dans l'enceinte de l'hôtel. Finalement, on s'asseyait un peu où l'on pouvait et on picolait, mais toujours sous l'œil de nos guides ou de nos accompagnateurs qui restaient toujours dans les parages. D'ailleurs, ils buvaient souvent avec nous.

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Les restaurants tournants, ça défonce. T'as eu l'occasion de tester celui-là ?

En fait, chaque grand building de Pyongyang possède un restaurant tournant au dernier étage. C'est un peu la capitale mondiale des restaurants tournants. On n'a jamais eu l'occasion d'aller déjeuner dans l'un deux, du coup je ne suis pas certain que ces restaurants servent vraiment à manger.

C'est fou. En même temps, si leurs restaurants tournants étaient opérationnels, ils auraient forcément voulu frimer avec, non ?

Exactement. Le Tour consistait essentiellement à nous emmener dans des lieux dont ils sont fiers. Je pense que s'ils fonctionnaient vraiment, on serait allés y manger.

Un barbecue nord-coréen.

Est-ce que la bouffe de Corée du Nord est aussi épicée que celle de Corée du Sud ?

Pour avoir habité en Corée du Sud, je sais que la bouffe arrache vraiment. Mais en Corée du Nord, ça va encore. Ça m'a vraiment surpris. Le kimchi, leur pâte à base de piment appelée gochujang : tout est assez fade. Je ne sais pas si c'est parce qu'ils avaient peur que les touristes ne supportent pas la nourriture épicée, mais même quand je demandais à ce que l'on rajoute du piment dans mes plats pour animer un peu mon repas, ça restait assez fadasse.

Est-ce qu'on t'a forcé à manger de la nourriture ?

Non ! Tous les jours on nous interrogeait sur nos restrictions alimentaires ou nos régimes particuliers. S'il y avait un végétarien dans le groupe, les restaurants s'adaptaient. On ne nous a jamais forcés à manger quoi que ce soit. Les gens étaient super-accueillants.

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Est-ce que cela t'est arrivé de te sentir coupable de manger comme un porc dans un pays où tout le monde crève la dalle ?

On ressent forcément un peu de culpabilité quand on se gave autant et qu'on sait que des millions de personnes subissent la famine et survivent en se rationnant. Pendant la famine des années 90, les gens se nourrissaient de racines qu'ils faisaient bouillir jusqu'à ce qu'elles soient à moitié digestibles. Ils grattaient les cuvettes des toilettes et utilisaient les excréments humains pour faire du fertilisant.Tout ça est très bien documenté.

Tu serais prêt à repartir en RDPC ?

Si ça s'ouvrait vraiment au tourisme, ça pourrait être intéressant. L'interview que j'ai faite pour CBC a eu quelques répercussions sur le tourisme. Une rumeur dit que l'argent du tourisme sert au développement des armes nucléaires et qu'en visitant le pays on contribue à la nature belliqueuse de ces régimes.

Donc tu penses que ce genre de voyages organisés peut devenir problématique ?

L'Etat nord coréen bourre le crâne de ses habitants en permanence : à longueur de journée on leur rabâche que les Occidentaux sont les méchants et que les « marionettes sud-coréennes » vont les attaquer à la première occasion. Mais d'un autre côté, le régime facilite de plus en plus le tourisme qui, d'une certaine façon, leur fait quand même pas mal de tort. Plus il y aura de touristes en Corée du Nord, plus les populations locales pourront rentrer en contact avec des étrangers et découvrir qu'ils sont finalement assez différents de ce qu'ils s'imaginent.

Merci Andrew. C'était vraiment très intéressant.