Mise au point sur la cuisine polonaise

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Mise au point sur la cuisine polonaise

La cuisine polonaise n’est pas que beurre, viande et féculents. Si on connaît les bons plans, c'est aussi un monde merveilleux où l’on trouve des fruits délicieux, du poisson extra-frais et tout un tas de produits locaux qui suivent le rythme des...

Peu de temps après mon installation à Cracovie, un ami m'a invité à un déjeuner traditionnel polonais pour la fête de Pâques. J'ai tout de suite accepté : c'était l'occasion de vivre à la fois mon premier Pâques et mon premier repas familial typiquement polonais. J'ai tout de suite inondé mon ami de questions. Est-ce que la barrière de la langue n'allait pas être un frein ? Est-ce qu'il y a une tenue vestimentaire particulière à arborer ? Devais-je apporter du chardonnay hongrois ou était-ce vraiment mal vu ?

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Mais la question de ce que j'allais trouver dans mon assiette, étrangement, ne m'a même pas traversé l'esprit. Ayant grandi dans une famille juive polonaise un peu maniaque sur la bouffe, j'ai acquis très tôt quelques techniques de survie essentielles, comme par exemple feindre un haut-le-cœur quand votre père vous ordonne avec insistance : « Mange ! Mange ! ». Mais rien (pas même le fait de mentir sur le fait que je hais la carpe farcie) n'aurait pu me préparer à l'énorme cuillère de mayonnaise qu'une amie de ma mère a un jour fourrée dans ma bouche sans mon consentement, comme pour me donner un avant-goût de la cuisine locale, qui fait la fierté des gens de l'Est.

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Toutes les photos sont de l'auteur.

Je me suis demandé pourquoi la bouffe polonaise avait si mauvaise réputation. Donc, j'ai commencé par mener l'enquête.

« L'idée que je m'en faisais datait en fait de l'ère communiste : des trucs superbourratifs avec des pierogis à n'en plus finir et des saucisses et du choux à toutes les sauces », écrit Paul Richardson en 2013 dans un article du Financial Times consacré au paysage culinaire de la Poméranie. Il s'avère que les cuisines polonaises dépendent beaucoup des saisons, des régions et de l'histoire du pays.

Dans un pays où le quart du territoire est recouvert de forêts, il n'est pas surprenant que les produits naturels et les gibiers sauvages occupent une place importante au menu. La Pologne actuelle a subi de nombreuses invasions menées par divers empires et pays voisins et a été divisée un bon nombre de fois ; ce qui peut expliquer les diverses influences culinaires que l'on retrouve dans la cuisine polonaise. Dans les grandes villes comme Cracovie et Varsovie notamment, le gouvernement subventionne les bar mleczny (littéralement, les bars à lait), des cafétérias qui ont proliféré sous le régime communiste, quand la nourriture était rationnée. Elles sont présentées de manière humoristique dans le film culte polonais Miś (L'Ours) sorti en 1981 : on y voit des clients qui mangent de la bouillie avec des cuillères et dans des assiettes enchaînées à la table. Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir des hommes d'affaires déjeuner dans un bar mleczny : on y trouve des plats convenables et bon marché et on a le privilège de déjeuner aux côtés d'étudiants fauchés ou de SDF.

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Pour en revenir à mon dépaysement culturel : venir en Europe de l'Est en plein milieu de l'hiver, après avoir passé un été à Brooklyn au sein d'une coopérative alimentaire, était donc, pour faire simple, un véritable challenge. Aux États-Unis, « manger de saison » n'était plus une simple tendance ni le dernier nouveau truc à faire : c'était devenu un mode de vie à part entière et tout ne tournait plus qu'autour de ça. L'époque des salades bio et des bars à jus était pour moi révolue ; Bienvenue en Pologne, où manger à la fois sainement et sur le pouce est quelque chose d'impossible à concevoir. Enfin, c'était jusqu'à ce que je prenne mes marques avec le paysage culinaire du pays. Il fallait que je découvre les meilleurs endroits pour aller faire mes courses, le meilleur moment pour aller au marché et surtout, savoir quoi y acheter. En fait, j'étais effrayée à l'idée de ne trouver que des aliments et des spécialités que j'avais bien pris soin d'éviter pendant toute mon enfance ; j'imaginais que la bouffe polonaise était forcément pleine de beurre, de viande et très riche en féculents ou en spécialités mystères peu ragoûtantes.

Mes a priori ont vite éclaté en vol à mesure que je faisais la découverte d'une merveilleuse tradition : celle qui consiste à conserver des réminiscences de l'été tout au long de l'hiver. Voilà pourquoi, en Pologne, on consomme beaucoup de vodka infusée à la framboise, de confiture de rhubarbe, de prunes en pots ou encore de champignons déshydratés. J'ai appris aussi que les meilleurs pickles sont faits avec les cornichons qui poussent de juillet à septembre. Au début, j'avais envie d'acheter à peu près tout et ce quelle que soit la saison. Quand je ne trouvais pas local, je me rabattais de temps en temps sur des fruits importés, qui n'avaient jamais la fraîcheur dont j'avais terriblement envie. Puis, les premières fraises polonaises ont fait leur apparition. Elles étaient petites et de couleur rouge sang. Aux alentours de mai, je pense qu'à peu près tous les restaurants du pays les utilisent pour infuser leur limonade et garnir leurs pierogis. À peine disparues, elles ont été remplacées par les myrtilles et les framboises, elles-mêmes noyées à leur tour par les cerises, les groseilles rouges, les groseilles à maquereau, les nectarines et les pêches, toutes plus délicieuses les unes que les autres.

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Des tranches de pain industriel qui ne se dessèchent pas et restent miraculeusement comestibles pendant toute une semaine ? C'est presque la définition de l'horreur pour mes amis polonais qui ne comprennent pas que quelque chose de naturel puisse rester « frais » aussi longtemps.

Impossible de rendre visite à un ami en plein été sans tomber sur un énorme bol de fruits, bien en vue au milieu de la cuisine. Et il y a une bonne raison à cela : un kilo de fraises, par exemple, ne coûte même pas 4 zlotys (environ un euro) en pleine saison, contre 40 zlotys (10 euros) pour des fraises importées d'Espagne en hiver. Chaque produit correspond à une période précise de l'année.

Dès qu'il fait plus de 15 degrés, une longue queue se forme dans la rue Starowiślna, située dans le quartier juif historique Kazimierz, là où je vis, à Cracovie. Les clients attendent pour déguster l'un des produits locaux les plus réputés : la crème glacée. Uniquement fabriquée en saison, elle est tellement bonne que la boutique peut se contenter du nom le moins accrocheur du monde : Lody na Starowiślnej (Les Glaces de Starowiślna). La boutique prend le nom de Pączki les mois d'hiver et sert des beignets à la confiture de cynorrhodon sauvage. C'est quelque chose qui n'arrêtera pas de m'impressionner : le temps que les gens sont prêts à attendre et la proximité qui se crée entre les locaux et les étrangers. Il y a autre chose qui m'amuse toujours, c'est le nombre d'adultes sans enfants qui se promènent une glace à la main aux alentours de midi.

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« Les sucreries polonaises sont loin d'être aussi sucrées qu'aux Etats-Unis », me dit une amie Polono-américaine, Anna, qui a grandi entre ces deux pays. J'ai fini par piger que manger des bonbons ici est quelque chose qui s'appréhende avec la conscience libre, contrairement aux Etats-Unis ou dans la plupart des autres pays occidentaux. Je vis à deux pas de l'une des meilleures boulangeries de la ville, Vanilla, que j'ai très vite fini par adopter. Plusieurs fois par semaine, je croise les mêmes personnes assises à l'extérieur, qui se régalent de gâteaux recouverts de fruits. Et je suis fascinée par ces types qui commandent des tartes recouvertes de meringue et de crème fouettée après leur déjeuner. L'avantage, c'est qu'en jetant un coup d'œil rapide à cette vitrine colorée, je sais tout de suite quel est le dernier fruit de saison.

Des tranches de pain industriel qui ne se dessèchent pas et restent miraculeusement comestibles pendant toute une semaine ? C'est presque la définition de l'horreur pour mes amis polonais qui ne comprennent pas que quelque chose de naturel puisse rester « frais » aussi longtemps. En Pologne, les baies commencent à moisir au bout de deux jours ; et le pain sert à nourrir les pigeons dès qu'il a passé les trois jours.

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Il y a quelques semaines, j'ai eu l'opportunité de visiter la Tricité (Trójmiasto en polonais), située au nord du pays sur les côtes de la mer Baltique. Elle est formée par trois villes : Gdańsk, Sopot et Gdynia. J'ai pris un billet d'avion de la compagnie Ryanair au départ de Varsovie pour la somme ridicule de 3 euros et j'étais impatiente de dépenser les sous économisés sur le trajet pour découvrir la cuisine régionale Cachoube qui puise beaucoup dans les produits de la mer. Je savais déjà que j'aimais le traditionnel śledź avec la wódka (que j'avais pu goûter à Cracovie à mes heures perdues), mais je voulais manger des choses bien fraîches, qui venaient tout juste d'être pêchées et voir si les plages polonaises sont si belles qu'on le dit.

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Sur les conseils d'un local, j'ai flâné le long de la jetée de Gdańsk en direction du Fishmarkt Restaurant & Bar, appelé ainsi en souvenir du Targ Rybny (Marché aux Poissons) datant de 1343. Là-bas, on trouve des nappes à carreaux bleus, de vieilles photographies représentant des pêcheurs et une vue incroyable sur la mer. Et quand on m'a servi la bouillabaisse maison, ça a quelque peu chamboulé ma vision de la cuisine polonaise. Je me suis laissée séduire par les crevettes et les moules non décortiquées, par ces prises fraîches qui flottaient dans un bouillon couleur cramoisie.

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Le jour suivant, pour le dîner, j'ai mangé au Tawerna Mestwin. Ce restaurant n'est pas directement situé en front de mer, mais dans une rue pavée transversale. Au plafond, de l'orge et du blé sont suspendus. Les poteries Cachoubes traditionnelles et la disposition des tables sont typiquement polonaises. Mais si l'ambiance m'a paru familière, les motifs floraux qui décoraient les tables et les assiettes diffèraient de ceux que l'on trouve à Malopolska, la région où se situe Cracovie. Les fameuses galettes de pomme de terre étaient également différentes : le goulache était accompagné de saumon en lieu et place du porc ou du bœuf habituellement servis avec.

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« Je pense que dès que les gens commencent à manger dans des maisons polonaises, ils se rendent rapidement compte que ce n'est pas que du chou et des patates, explique Mark Bradshaw, qui a créé EatAway avec sa femme Marta, un site qui sert de plateforme pour ceux qui veulent apprécier de délicieux plats cuisinés par des locaux. Ironiquement, c'est un mythe essentiellement véhiculé par les restaurants polonais ! »

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Sur EatAway, les hôtes indiquent l'heure, le lieu, le menu et le prix ; les invités s'inscrivent, payent et viennent manger. L'idée de ce site leur est venue alors qu'ils étaient en voyage. Ils se sont rendu compte qu'un repas cuisiné par des gens du coin et partagé avec eux était une expérience beaucoup plus authentique et intéressante que d'aller manger dans n'importe quel restaurant. Et la grande majorité propose des repas sains qui reflètent le souci croissant de manger des choses saines en Pologne.

Voilà pourquoi aujourd'hui, des années plu tard, j'ai réalisé à quel point la bouffe polonaise méritait un peu plus de respect.