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Les tests de drogue pourraient être légalisés plus vite qu'on ne le pense

Des activistes comptent en faire leur prochain combat et Santé Canada n'est pas fermé à l'idée.
Photo : DEA/Wikimedia

Des acteurs du milieu communautaire et de la santé comptent bientôt amorcer une campagne pour légaliser les services d'analyse de drogue sur le terrain. La mesure permettrait de détecter la présence de substances dangereuses dans la drogue de rue, comme le fentanyl, qui fait des ravages dans l'Ouest canadien. Cette approche viendrait consacrer le virage amorcé avec l'ouverture de sites d'injection supervisée et la légalisation imminente de la marijuana.

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« C'est la prochaine bataille, dit la directrice clinique pour Cactus, Roxane Beauchemin. C'est tout simplement logique, surtout avec la crise du fentanyl. On n'a aucune idée de la dangerosité de ce qui se trouve sur le marché noir. »

VICE a d'ailleurs appris que Santé Canada, l'agence qui octroie les exemptions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, n'est pas fermée à l'idée de permettre l'analyse dans les centres d'injection supervisée.

« Sous réserve des exigences opérationnelles, Santé Canada examinera les demandes des candidats qui désirent modifier leur exemption dans le but d'inclure des services d'analyse de drogues, nous indique la porte-parole de l'organisme fédéral, Suzane Aboueid. Chaque demande sera évaluée individuellement et doit concilier les objectifs de santé et de sécurité publiques. »

Le gouvernement du Québec a annoncé en septembre dernier un financement de plus de 12 millions de dollars sur trois ans pour ces centres d'injection supervisée. Toutefois, la porte-parole du Ministère de la Santé et des Services sociaux, Marie-Claude Lacasse, affirme « que le MSSS n'envisage pas, à court terme, de mener des travaux sur les tests sur la drogue, et concentre pour le moment ses efforts sur l'implantation des sites d'injection supervisée ».

Cactus, un organisme communautaire de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang ouvrira ce printemps l'un des trois sites d'injection supervisée autorisés par Santé Canada. Dopamine et Spectre de rue offriront les mêmes services. La directrice nous confirme que Cactus n'a pas fait de demande d'exemption pour les analyses de drogue à ce jour.

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« Ce qu'on aimerait, c'est de pouvoir manipuler la drogue sans être criminalisé, dit Roxane Beauchemin. Ça se fait déjà en Europe et en Australie. La logistique est beaucoup moins complexe qu'un centre d'injection supervisée. Il n'y a pas de consommation sur place. Il s'agit de former les intervenants et d'acheter le matériel.»

L'analyse se fait actuellement de deux façons. Le test Marquis, que l'on trouve souvent en milieu festif, est une solution chimique qui change de couleur selon la composition de la drogue. On sait alors approximativement à quelle substance on a affaire, mais on en ignore la quantité. Cette méthode ne permet pas d'identifier le fentanyl.

Il existe aussi des spectromètres qui indiquent la composition moléculaire d'une substance donnée. Ces machines peuvent coûter plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Selon la chef médicale à la direction régionale de la santé publique de Montréal, Dre Carole Morissette, l'analyse de drogues est plus que jamais à l'ordre du jour avec la crise du fentanyl qui frappe l'ouest du pays, qui pourrait éventuellement toucher le Québec. La Colombie-Britannique a compté 914 décès par surdose de drogue en 2016, dont une grande partie aurait été causée par le médicament opioïde, qui serait 100 fois plus fort que la morphine.

« C'est une préoccupation, dit-elle. Le fentanyl est utilisé pour couper de la drogue, comme l'héroïne ou la cocaïne. Il est parfois vendu à l'insu des consommateurs. Il se retrouve aussi dans des médicaments contrefaits, dans des comprimés dont on ne connaît pas la dose. »

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L'analyse de drogues se fait aussi de plus en plus en milieu festif, dans le cadre de sites mobiles. Depuis 14 ans, les autorités britanno-colombiennes ont toléré cette pratique au festival de musique électronique Shambhala. Le gouvernement de la province a d'ailleurs annoncé en juin dernier un programme d'intervention contre la crise des opioïdes qui inclut notamment l'analyse de drogues.

Mais le fentanyl est loin d'être la seule raison d'analyser la drogue qui se consomme dans les raves et autres partys. Les drogues de synthèse comme les amphétamines ou les méthamphétamines peuvent éventuellement contenir des substances dangereuses qui gagneraient à être identifiées. À l'été 2015, une vague d'hospitalisation a frappé le milieu des festivals EDM à Toronto. Deux personnes sont décédées après avoir consommé ce qu'elles croyaient être de l'ecstasy.

« Dans le cas des drogues de synthèse, le "testing" nous permettrait aussi la  prévention de psychoses toxiques et de problèmes de santé mentale à plus ou moyen long terme », dit Roxane Beauchemin de Cactus.

Professeur à l'Université de Montréal spécialiste de la toxicomanie, Jean-Sébastien Fallu a fondé le Groupe de recherche et d'intervention psychosociale (Grip Montréal) il y a 20 ans dans le but précis de faire de l'analyse de drogues en milieu festif. Deux décennies plus tard, l'organisme n'a toujours pas obtenu d'exemption pour mener des tests dans les partys québécois.

« D'un point de vue politique, c'est plus facile de faire accepter les sites d'injections parce qu'on a affaire à des gens vraiment poqués, dit-il. C'est une intervention médicale et l'Organisation mondiale de la santé a endossé l'idée. Mais en réduction des méfaits, le "testing" est la prochaine étape. »

Questionné à savoir si Santé Canada compte octroyer des exemptions pour les sites mobiles d'analyses de drogues, notamment en milieu festif, l'organisme fédéral demeure vague. « Les demandes sont considérées au cas par cas et doivent refléter nos objectifs de santé publique et de sécurité », nous répond la porte-parole Suzane Aboueid.

À terme, l'analyse permettrait peut-être même d'améliorer la qualité de la drogue sur la rue, selon Roxane Beauchemin. « Si quelqu'un vend de la marde, on le saurait plus rapidement et les consommateurs n'auraient peut-être pas envie d'en faire ».

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