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La Dispute ont créé malgré eux le club des nouveaux gentlemen du post-hardcore

On a rencontré le chanteur du groupe de Grand Rapids, Michigan, pour parler de leur nouvel album, de voyages dans le temps et de blagues qui tournent mal.

Le dernier album de La Dispute est le genre de disque qui vous gifle froidement avant de vous prendre dans ses bras, en vous tapotant dans le dos. On en ressort un peu sonné, mais prêt à s’y frotter, encore et encore. Rooms of the House est un disque totalement passionannt et addictif, qui évoque des instants de la vie d’inconnus dont les histoires s’entrelacent, formant une fresque minutieuse, où il est difficile de démêler le vrai du faux. On imagine en effet sans peine la tornade de « Hudsonville, MI 1956 », le froid de « First Reaction After Falling Through the Ice », le malaise de « The Child We Lost 1963 » - tous inspirés d’évènements réels. Et cette sensation d’immersion, déjà présente dans les précédents albums du groupe, on la doit principalement à Jordan Dreyer, le chanteur du groupe. On l’a rencontré pour parler des paroles de Rooms Of The House, de la New Wave of Post-Hardcore et des voyages dans le temps.

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Noisey : Dans tes textes, on sent que tu t’es vraiment investi dans la création des personnages de Rooms of the House. Pourquoi ressens-tu le besoin d’utiliser des protagonistes ?
Jordan Dreyer : Je trouve que dans un sens, c’est restreignant de se limiter à parler à sa propre perspective. Je pense que ça fonctionne pour certaines choses, mais pour d’autres, tu dois prendre du recul et les approcher en étant plus détaché. Quand j’écris sur une situation qui me touche personnellement, c’est plus facile de me faire coincer par des réactions et des émotions impulsives, et du coup, de ne pas prendre en compte tous les tenants et aboutissants. Si je crée un personnage et que je le mets dans une situation, je dois vraiment m’immerger dedans et la considérer sous tous ses angles pour comprendre ce que le personnage ferait. Je pense que cet album en particulier demandait une absence de touche personnelle, en quelque sorte. Je crois que ça a rendu les personnages plus réels.

Comment leur donnes-tu forme ? Où trouves-tu l’inspiration ?
Partout, vraiment. Je veux dire, il doit tout de même y avoir une certaine part d’intime, parce que tu dois construire tous ces détails. Je n’ai pas pris des évènements que j’ai directement vécu, mais des détails, ou une période particulière de ma vie et je les ai changé, j’ai essayé de les reconfigurer. J’ai pris des éléments de ma vie, des gens qui m’entourent et je les ai recontextualisés. J’ai transformé une partie de la réalité en fiction.

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Un ami m’a récemment dit qu’il adorerait réaliser un film en utilisant cet album comme scénario. Est-ce que c’est quelque chose qui t’a déjà traversé l’esprit ?
Je n’y avais jamais pensé, non. C’est une bonne idée. Je pense que ça pourrait fonctionner, avec la bonne personne. C’est assez intéressant en fait, parce que quand j’écrivais l’album, j’avais des images des scènes et des personnages en tête, donc ça pourrait être intéressant de voir quelqu’un d’autre interpréter ça.

En parlant de réinterpréter ce que tu écris, justement ; qu’est-ce que ça fait de voir les gens se réapproprier cet album ?
Je crois que cet album, plus que les autres, est efficace parce que dans le dernier disque, Wildlife, il y avait beaucoup d’évènements catastrophiques et c’était donc un peu plus compliqué d’avoir de l’empathie. Tout le monde ne passe pas par là. Mais de façon assez universelle, tout le monde expérimente le fait qu’à un moment donné, tout semble aller de travers; la dissolution. C’est pour ça que je pense que celui-ci fonctionne assez bien, et c’est ce qui fait que les gens réagissent à ce qu’ils écoutent, à des détails spécifiques qui font que l’histoire les touche plus personnellement.

Qu’est-ce que tu penses des voyages dans le temps ?
Les voyages dans le temps ? Il y en a beaucoup dans le disque ! Donc c’est une chose à laquelle j’ai pas mal pensé. Ça a vraiment éclairé la création de l’album, en fait. On a un peu l’impression qu’on voyage dans le temps. Parfois, quand tu passes par un moment difficile, tu mets des choses dans une boite, tu les sors de ta vie, tu avances, et tu finis par les ressortir un jour. Ca te rappelle un instant précis, un lieu, une personne. Il y a tout ça dans l’album; c’est comme aller et venir dans le temps. Et puis il y a une narration plus large, avec ces évènements historiques. J’aimerais parfois remonter le temps. Je veux dire, tout le monde aimerait pouvoir faire certaines choses différemment. On fait tous des erreurs, même si on n’en est pas conscient sur le moment, mais si je pouvais revenir en arrière, je crois que je le ferais. Tu ne veux pas blesser les gens, et pourtant tu finis par le faire, tu sais.

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J’aime beaucoup les trois EP’s Here, Hear. C’est différent, beaucoup plus serein. Quel était le but de cette « trilogie » ?
On cherchait quelque chose qui puisse compléter un autre disque qu’on avait réalisé, et c’est l’idée qui nous est venue. Puis ça a fini par devenir un projet à part entière. C’était l’opportunité pour nous de donner un contexte plus large au disque. On pouvait s’isoler pour créer ces morceaux et enregistrer les instruments nous-même, chacun pouvait montrer ses talents. En ce qui me concerne, ça m’a permis de montrer ce que je lisais à l’époque. Au début, c’était juste une idée cool, et puis c’est devenu… quelque chose de différent.

Est-ce qu’il va y avoir un quatrième, voire même un cinquième Here, Hear ?
Je pense qu’il va y en avoir un autre. Je ne sais pas quand mais… on parle d’en faire un quatrième, tôt ou tard. Je ne devrais pas trop en parler, en fait.

Est-ce que tu as d’autres projets d’écriture, mis à part la musique ?
Pas pour l’instant, l’année dernière a été plutôt chargée, avec la sortie du disque et la tournée, mais j’aurai besoin de faire quelque chose qui me tiendra occupé quand je rentrerai chez moi. J’aimerais beaucoup faire quelque chose comme ça, dans le futur. Faire autre chose en rapport avec l’écriture. J’aime ce que je fais avec les gars, mais je crois que mon grand amour reste les mots. On verra.

Tu peux me parler de La Dispute, de Pierre de Marivaux ?
J’ai vu la pièce quand j’ai commencé à toucher à la musique, et je crois que les thèmes faisaient vraiment sens pour nos premiers morceaux. J’avais 16 ou 17 ans quand je l’ai vue pour une compétition. Et j’ai adoré. Je te conseille vraiment de la lire. Ou de la voir, même si je ne sais pas si elle est encore jouée très souvent. Et oui, c’est de là que vient le nom du groupe.

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Vous avez formé une espèce de « club » avec des artistes tels que Defeater, Touché Amoré et Piano Become The Teeth, qui s’appelle « The New Wave of Post-Hardcore ». Mais c’est quoi au juste, « The Wave » ?
The Wave, oh man. Ça a commencé comme une blague entre amis, et puis c’est devenu complètement autre chose pour les gens, on ne sait pas pourquoi. C’était juste un truc entre cinq potes qui jouent parfois ensemble, et c’était vraiment pour rire… Je pense que l’un d’entre nous est venu avec ce nom, une espèce de blague, et ça a été repris par les gens sur Internet pour devenir cette espèce de « club » qu’on n’aurait jamais imaginé !

« Conversations », ces interviews que vous avez enregistrées, les paroles incrustées dans vos vidéos sur YouTube, le fait que vous proposiez à vos fans de vous écrire… On dirait que vous voulez vraiment que les gens comprennent vos chansons. Ça fait quoi de te dire qu’il y a des personnes ici ce soir pour qui ça n’a pas d’importance ce que tu veux exprimer, qui aiment juste votre musique ?
Je ne pense pas que ce soit un problème. En tant qu’individus, on veut toujours comprendre plus en profondeur ces albums qu’on aime, nos livres préférés, nos films préférés. Avoir un contexte et plus d’informations pour mieux comprendre. Mais je ne crois pas non plus que ça soit quelque chose d’absolument nécessaire pour notre musique. Je pense que ces choses sont là pour ceux qui le veulent. Si des gens ne sont pas intéressés et veulent juste écouter la musique, c’est tout aussi génial.

Kevin [Whittemore, guitariste] vient de quitter le groupe. Qu’est-ce que ça fait ?
C’est bizarre. C’est bizarre qu’il ne soit pas là. C’est clairement l’un de mes meilleurs amis, et il fait partie du groupe depuis vraiment, vraiment longtemps. Aussi longtemps que nous tous. Donc c’est juste… C’est une période de transition. On a de très bons amis avec nous, et c’est génial de les avoir ici, c’est juste étrange de ne plus voir quelqu’un avec qui tu as autant d’habitudes. Je ne sais pas. On est à l’aéroport, on s’apprête à partir – c’est bête, mais c’est la meilleure façon de t’expliquer –, je veux aller aux toilettes et je cherche quelqu’un à qui confier mes bagages, et je me dis, « Oh, mais Kevin est au check-in », parce qu’il nous attend toujours aux check-in, et je me rends compte, « Attends, mais Kevin n’est pas là. » C’est bizarre. Vraiment. Ce sont plein de petites choses auxquelles on s’habitue mais… On est heureux pour lui.

Ce soir, c’est la première fois que je vous vois jouer, mais on m’a dit que tu donnais beaucoup de ta personne sur scène. Comment tu te sens après un concert où tu as tout donné ?
Parfois, j’ai l’impression que je pourrais recommencer encore une fois. Je ne sais pas… Je me sens trempé, je sens que j’ai besoin de changer de t-shirt ! En général, c’est vraiment agréable, cette sensation d’épuisement. Elisabeth Debourse est sur Twitter - @elisde