Huître Tarbouriech
Photos: Florian Domergue pour VICE FR

Les huîtres à marée solaire

Comment un système de marée artificielle a donné naissance à un produit d’exception et un Ovni dans l'univers des huîtres méditerranéennes.

Le soleil se lève à peine lorsqu’une barge vient troubler la quiétude matinale de l’étang de Thau, à Sète, dans l'Hérault. « On a une centaine de cordes à remonter ce matin », annonce le pilote de l’engin à fond plat. Ces cordes, ce sont celles sur lesquelles les huîtres de Florent Tarbouriech sont élevées en suivant la technique du « collage », typique de l’ostréiculture méditerranéenne.

Pourtant, les coquillages qui portent le nom de la famille de Florent n’ont rien à voir avec la Bouzigues, l’huître de Méditerranée à la réputation peu flatteuse. Grâce à sa fermeté, son iode rafraîchissant et son léger goût de noisette, la Tarbouriech a trouvé sa place sur les plus belles tables françaises et internationales.

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L'équipe, composée de trois personnes s'approche des tables.

La cheffe étoilée Anne-Sophie Pic la décrit ainsi : « L’huître Tarbouriech a une texture plus ferme que celles de l’Atlantique et impose un goût plus iodé. Mais ce qui personnellement me plaît le plus c’est vraiment sa couleur rose ».

L’huître et le bassin de Thau, c’est une histoire quasi-centenaire. Sur la lagune, l’eau est riche en phytoplanctons grâce à l'apport naturel d'eau douce provenant des rivières qui s’y jettent. L’étang accueille depuis 1925 les « tables » des ostréiculteurs du coin. « Le problème de la Bouzigues c’est qu’elle se développe trop vite. Parfois, au bout de huit mois, le mollusque est déjà prêt alors que la chair n’est pas assez ferme et que sa coquille est friable »

C’est l’absence de marée qui a fait naître ce système d’élevage typique. Ces assemblages de pilotis où sont suspendues les cordes d’huîtres s’étendent à perte de vue sur la lagune. On y élève chaque année 10% de la totalité de la production du parc ostréicole français.

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Pour récupérer les huîtres, on détache les cordes sur lesquelles elles sont collées.

L’huître du coin, c’est la Bouzigues. Nommée ainsi en référence au village qui a vu les premiers ostréiculteurs s’installer dans la région. Sa consommation est majoritairement locale car, pour le reste de la France, elle ne peut pas rivaliser avec ses cousines atlantiques. Trop salée, trop laiteuse, les critiques ne manquent pas.

« Le problème de la Bouzigues c’est qu’elle se développe trop vite. Elle est tout le temps immergée et la lagune est pleine de nutriments. Parfois, au bout de huit mois, le mollusque est déjà prêt alors que la chair n’est pas assez ferme et que sa coquille est friable », explique Florent.

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Fils d’ostréiculteur, il prend les commandes de l’entreprise, à la mort de son père, à 20 ans. Il possède quatre tables à cette époque. « Je pensais bosser dans un bureau d’études, mais en fait j’aimais trop mon territoire. La lagune, c’était chez moi. Et à Sète, soit t’es docker, soit t’es pêcheur. Moi, j’ai décidé de faire des huîtres. »

Dès les premières années, Florent voit les choses en grand. Il sait qu’il doit élargir sa clientèle pour survivre. « Mon père ne vendait ses huîtres qu’au marché d’Arles. Avec ma femme, on a commencé à chercher d’autres débouchés ».

Année après année, la production augmente, le couple enchaîne les animations en supermarché, achète de nouvelles tables et commence à travailler avec des centrales d’achat. « En 10 ans, on est passé d’une toute petite production à un statut d’acteur important du bassin », résume l’ostréiculteur avec un grand sourire.

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Une huître. La dentelle rosée qui la borde est la marque de fabrique des Tarbouriech.

Poussé par une volonté permanente d’innover, le patriarche décide dès le début des années 2000 de s’associer avec d’autres entreprises du bassin. Leur idée ? Créer une huître haut de gamme destinée à la restauration.

« Mon premier acheteur c’est Bocuse. Quand il voit les huîtres, il ne me demande même pas le prix et me dit : "Je veux ça !" »

« On l’a appelé "Exquise de Méditerranée". On a mis en place un cahier des charges dans lequel on s’obligeait à sortir les huîtres de l’eau plusieurs fois en fin d’élevage pour obtenir une meilleure qualité », décrit Florent. Cette technique, baptisée « exondation », consiste à recréer une fausse marée et ainsi obtenir des huîtres aux caractéristiques plus proches de celles de l’Atlantique.

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Les cordes sont ensuite passées dans une machine qui permet de décoller les huîtres.

« Malheureusement, nos efforts n'ont pas payé et les gens n'ont pas été convaincus. J'ai réalisé à ce moment-là que l’absence de marée naturelle était un véritable obstacle ». Qu’importe la réalité géographique, Florent décide de tenter un pari un peu fou : recréer une marée artificielle quotidienne.

Tous les jours, il se rend sur ses tables pour sortir une dizaine de cordes-test. Au bout de deux ans, ses huîtres sont transfigurées. La chair est ferme, la saveur est légèrement sucrée et la coquille présente un nacré rose aguichant.

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Les caisses qui vont accueillir les huîtres.

« Je savais que je tenais un truc. Mon premier acheteur c’est Bocuse. Quand il voit les huîtres, il ne me demande même pas le prix et me dit : ‘Je veux ça !’ ». Le pari qualitatif est largement remporté mais l’ostréiculteur se heurte à un problème de volume.

« J’avais à peine 100 kg d’huîtres à vendre, la question était donc de savoir : comment produire plus ? » Un travail d’exondation quotidien serait éreintant et ferait exploser les coûts. L’idée d’un système autonome germe donc dans l’esprit de Florent. Pourtant, le projet semble presque irréaliste.

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En rentrant, les huîtres sont nettoyées du ciment qui a servi à les coller.

« Il fallait être un peu fou pour penser qu’on allait réussir à rentrer dans les clous financièrement, heureusement qu’on avait notre activité ‘moule’ qui nous a permis de supporter les investissements. Sans moule, pas de Tarbouriech. D’ailleurs cette activité représente toujours 60 % des ventes de l’entreprise. »

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Les investissements sont conséquents et les premiers tests pas franchement concluants. Le doute s’installe. Comme un écho à l’aide que Florent a apporté à son père 40 ans plus tôt, son fils Romain rejoint alors l’aventure.

Breveté et installé sur une soixantaine de tables, ce système de marée artificielle fait de la famille Tarbouriech un OVNI dans l’univers des huîtres méditerranéennes.

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Florent Tarbouriech, le patriarche, et Romain Tarbouriech qui gère désormais la partie production de l'entreprise. Père et fils en plein dialogue, symbole d'une entreprise familiale.

« C’est lui qui met l’idée en place. C’est lui l’ostréiculteur qui plante les tables, qui teste, qui échoue et qui pleure. Il fallait être encore plus fou que moi pour mener ce projet. Je crois que si mon fils n’avait pas été là, il n’y aurait pas eu d'huîtres Tarbouriech. »

La détermination et la patience finissent par payer. Sous la houlette de Romain, le système prend forme. On installe sur chaque table un panneau solaire ainsi qu’une éolienne. Les cordes sont ensuite attachées à des tubes horizontaux reliés à un petit moteur. Les huîtres peuvent ainsi être exondées ou immergées à travers un système complètement autonome et automatisé. La marée solaire est née.

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Fabrication matinale des plots de béton qui permettent de tendre les cordes à huîtres.

Breveté et installé sur une soixantaine de tables, ce système de marée artificielle fait de la famille Tarbouriech un Ovni dans l’univers des huîtres méditerranéennes. Et une des raisons pour laquelle, aujourd'hui, les plus grands cuisiniers se les arrachent.

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