Life

Réveil brutal : je suis soudainement devenue allergique à l’alcool

Plaques rouges, démangeaisons, évanouissements… Après avoir développé une intolérance inexpliquée à l’alcool, j’ai dû apprendre à vivre sobre.
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RIP les nuits d'ivresse. Photo : avec l'aimable autorisation de Celine Enriquez 

C’est arrivé pour la première fois lors d’un apéro sur Zoom. Je sirotais une canette de chūhai (une boisson alcoolisée populaire au Japon à base d’un spiritueux, de jus de fruits et de soda, ndtr) pendant la « quiz night » et ce n’est qu’après 30 minutes de grattage involontaire que j’ai remarqué que mes jambes étaient couvertes de plaques rouges. Comme je venais à peine de guérir du COVID-19, j’ai pris ça comme un symptôme bizarre et inexpliqué de ce virus encore assez mystérieux. Mais aujourd’hui, environ 10 mois plus tard, je ne peux toujours pas boire de cocktail sans faire de l’urticaire. 

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Et non, ce n’est pas seulement le fameux « asian glow ».

Depuis que j’ai développé cette espèce d’intolérance à l’alcool, j’ai également perdu connaissance à trois reprises. La première fois, je n’avais bu qu’un demi-verre de vin rouge et un tiers de canette de chūhai. Je pensais que pour venir à bout de mes démangeaisons, il suffisait de me gratter un bon coup, mais mon visage a commencé à enfler et les parties de mon corps couvertes d’éruptions cutanées sont devenues brûlantes. J’ai sauté dans une douche froide pour soulager mes membres, mais en quelques minutes, je me suis retrouvée nue et inconsciente dans mon dressing, où ma sœur m’a enveloppée d’une serviette tout passant des coups de fil frénétiques à tous les médecins qu’elle pouvait joindre un vendredi soir. Mes lèvres étaient bleues et mes yeux grands ouverts. « C’était comme dans un film d’horreur », a raconté mon cousin, visiblement sans exagération.

La seconde fois, c’est arrivé en plein milieu de la nuit. Je me sentais bien, j’avais bu quelques canettes alcoolisées et j’étais allée me coucher à une heure raisonnable. Je me suis réveillée plus tard dans la salle de bains, le visage et le crâne couverts de bleus, sans aucun souvenir de la façon dont je m’étais retrouvée allongée sur le carrelage froid.

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J’ai évidemment consulté un médecin. Mais même après de multiples tests sanguins, ils ne comprennent toujours pas ce qui se passe. Sans avoir reçu la moindre indication définitive sur ce qui a bien pu arriver à mon corps, chaque gorgée d’alcool a maintenant un goût amer : j’anticipe les démangeaisons et la vision floue, la sensation de mon cœur qui ralentit juste avant l’évanouissement.

« Sans avoir reçu la moindre indication définitive sur ce qui a bien pu arriver à mon corps, chaque gorgée d’alcool a maintenant un goût amer. »

Mais ce qui me terrifie encore plus, c’est l’idée de ne plus jamais pouvoir revenir à ma vie d’avant — les soirées avec des potes autour d’une bouteille de vin, les Malibu Coca sur la plage, les shots de soju pour accompagner les BBQ coréens.

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Dans un bar de Kyoto avec des amis en 2018. Photo : avec l'aimable autorisation de Nikki Sunga

L’alcool est très ancré dans la culture philippine. Pendant le lunch, mes oncles descendent quotidiennement des bouteilles de bière San Miguel comme si c’était de l’eau. Je ne suis pas aussi hardcore, mais j’ai toujours été fière de ma tolérance à l’alcool. J’ai commencé à boire très jeune, et je n’ai jamais connu que des soirées qui incluaient de l’alcool. Mes potes aimaient me voir bourrée. Ça les amusait beaucoup de m’écouter me lancer dans mes grandes théories existentielles après quelques verres. J’étais heureuse de voir la fin de ces deux années de confinement arriver, sans me douter que je ne pourrais plus jamais vivre ça. 

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Des shots datant du lycée. Photo : avec l'aimable autorisation de Celine Enriquez​

Pour beaucoup, la pandémie a servi de bouton pause. Moi de mon côté, j’ai plutôt l’impression que quelqu’un a appuyé à mon insu sur le bouton avance rapide de la télécommande, et qu’il me faut maintenant essayer de comprendre ce qui s’est passé à partir de fragments de souvenirs flous. Mon cerveau pense toujours que commander de la sangria à volonté est un super plan et qu’il faut s’exciter à l’idée de futurs brunchs arrosés. En réalité, ces activités de base, celles qui m’apportaient autrefois du réconfort, sont maintenant à l’origine d’interactions sociales gênantes.

Chacune de mes soirées comprend aujourd’hui une conversation de 30 minutes où je dois expliquer en long et en large pourquoi je ne peux pas accepter ce shot gratuit au bar, tout en me convainquant que siroter un gin tonic hyper dilué est agréable. Si j’ai commencé à boire, c’était en premier lieu pour éviter ces interactions. Étant introvertie dans un monde d’extravertis, la seule confiance que j’avais en public était celle que me procurait l’alcool. Après un shot de tequila, mes pieds engourdis se sentaient enfin à l’aise dans leurs talons hauts. Après trois, ma vie ennuyeuse devenait soudainement plus intéressante, et au bout de cinq, mes insécurités disparaissaient. Je me transformais tout simplement en une autre version de moi-même, une version à laquelle je ne peux plus accéder maintenant. 

« Étant introvertie dans un monde d’extravertis, la seule confiance que j’avais en public était celle que me procurait l’alcool »

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Mais s’il y a une chose que j’ai apprise ces deux dernières années, c’est que la vie est trop courte — trop courte pour se préoccuper de ce que pensent les autres, et trop courte pour perdre son temps à se bourrer la gueule (si ça peut vous tuer). J’ai toujours besoin de réponses, mais j’apprends à vivre avec.

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Moi avec une bouteille de vin sans alcool non ouverte à côté d'une bouteille de vin blanc bien entamée à laquelle je n'ai pas touché. Photo : Angelica Reyes

J’ai découvert que si je prends un antihistaminique avant de boire, que je m’en tiens à un seul type d’alcool et que je bois lentement et avec modération, tout ira bien. Je ne vais certainement pas être saoule, mais au moins je peux siroter un truc. Ma mission maintenant, c’est de trouver des boissons non alcoolisées que je kiffe vraiment, mais c’est quitte ou double. Pour mon 30e anniversaire, j’ai acheté une bouteille de champagne sans alcool qui est restée à trois quarts pleine après une première coupe décevante. Mon réfrigérateur est actuellement rempli de canettes de La Croix que je me verse dans un verre les vendredis soir, comme s’il s’agissait d’un cocktail et non d’une eau gazeuse. Et finalement, après plus d’un an de (quasi) sobriété forcée, je réapprends enfin à sociabiliser.

Certaines personnes me regardent encore bizarrement lorsqu’elles découvrent la vérité à propos de mon état de santé — un parfait mélange de compassion (« je suis vraiment désolé pour toi ») et de soulagement (« ouf, ce n’est pas tombé sur moi ! »). De mon côté, je me contente d’intensifier les autres aspects que j’aime dans les sorties : oublier le taf, me déguiser, renverser du thé, me souvenir de toutes les conneries que j’ai faites au lycée. 

J’ai récemment franchi une étape. Lors d’un brunch avec deux potes, j’ai joyeusement skippé le cocktail tandis qu’elles sirotaient leurs Aperol Spritz. Elles ont quand même ri à mes vannes et à ce moment-là, je me suis sentie comblée. Ma vie est donc intéressante, et mes insécurités peuvent être surmontées, pas uniquement noyées temporairement. Je viens aussi de troquer mes talons contre une paire de Birkenstocks. Bien plus confortable. 

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