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Musique

Avec le chanteur français ex-producteur de metal et star dans l’est de la Hongrie

Les sexagénaires hongroises aiment encore plus la variété française que les Français.

Gérôme se prépare avant un concert. Toutes les photos sont de l'auteur.

On se croirait à un thé dansant. Dans le jardin d'une belle maison bourgeoise, une nuée de sexagénaires trépigne sur des chaises habilement disposées. Une reprise de Whitney Houston à la flûte de pan dompte les impatients. Des sièges en carton montés au fond du terrain compensent le manque de places assises. La star tant attendue sur l'estrade s'appelle Gérôme, et vit dans la ville de Nyíregyháza, Hongrie, depuis six ans.

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Difficile de savoir comment un Parisien métalleux comme lui a pu atterrir à 270 bornes de Budapest – qui plus est, dans une région industrielle où des entreprises françaises s'enrichissent depuis la chute du communisme et le krach de la sidérurgie. Selon Gérôme, c'est à cause d'une femme, même s'il refuse de s'étendre plus sur le sujet. À son arrivée, il s'est donné pour objectif de se mettre à chanter et d'étoffer son répertoire de classiques français – lesquels sont aussi populaires en Hongrie que la Tour Eiffel ou le supposé romantisme de la Ville Lumière. Gérôme fonce en studio, sort un premier EP et commence à enchaîner les concerts en Hongrie, avant de s'élever au rang de micro-célébrité locale.

Ce soir du 10 août, Gérôme se produit à la fameuse Bencs Villa – un lieu qui héberge des expositions, des conférences et des spectacles. C'est là que Gérôme s'est véritablement révélé. Au programme : 120 minutes de variété française et internationale avec son complice Granville, un binoclard nord-irlandais aux airs de pasteur anglican. Ensemble, ils forment le duo « Strangers In The Night » (en hommage à Sinatra) depuis le mois d'avril, face à un public qui dépasse allègrement la cinquantaine.

Le public attend l'arrivée de Gérôme.

Pendant que la foule s'impatiente, Gérôme revêt une chemise blanche et un nœud papillon carmin. « Quand je ne suis pas au micro, je démarche des clients français pour une boîte de transports afin de les amener en Hongrie. Du moment que les résultats suivent, mon chef est content », m'explique l'expatrié. « Je suis une curiosité par ici vu que je me produis dans ma langue natale. J'ai tenté des télécrochets comme X-Factor, sans succès. Avec Édith Piaf, j'ai eu un second tour au casting. Johnny Hallyday, personne ne connaissait. J'ai été recalé direct. » Le concert débute. Granville investit seul la scène et chauffe l'assemblée avec du Sinatra puis « I Believe In Music » de Mac Davis. Gérôme débarque sur « Le Téléphone Pleure » de Claude François. Granville joue la gosse mignonne au bout du fil. Le public est hilare. Gérôme s'éclate et claque des doigts sur « Somewhere Beyond The Sea », puis Granville enrobe « Le lion est mort ce soir » au tambourin. Gérôme déploie son organe sur « It's Now Or Never » d'Elvis.

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Gérôme et Granville, en pleins préparatifs.

Gérôme travaille son timbre à la Claude François depuis les années 1980, quand il était au lycée à Nanterre et qu'il passait son temps à suivre des cours de chant et à traîner avec des amis musiciens. Comme la majeure partie de ses pairs, il était obsédé par l'idée d'épater les filles et de suivre les traces de ses groupes préférés de l'époque – Trust, les Guns'N'Roses et Metallica. Mais la mayonnaise n'a pas pris, et Gérôme a arrêté les frais en 1995 pour se reconvertir dans la création de labels indépendants et l'aiguillage de talents, quelque part à Paris.

Sa première mission consistait à distribuer les albums de la maison de disques allemande AFM Records, orientée hard-rock/heavy metal. Il se chargeait aussi d'assurer la promotion et de planifier les interviews des groupes. Il a également traversé l'Europe sur 20 dates avec le groupe After Forever – découvrant à cette occasion Floor Jansen, la future voix de Nightwish.

Une époque dont il se délecte tout en évoquant sa longue diète du chant. « Je n'avais aucune envie de devenir le Klaus Meine (leader de Scorpions) des MJC peuplant les salles de quartier. Il me fallait de l'action ! J'ai vécu des moments magnifiques en dénichant et en soutenant des collectifs comme les Roumains de Magica. Du coup, le micro m'a happé à nouveau et je me suis remis au boulot en matant des vidéos YouTube. » Six mois de vocalises l'ont propulsé vers son baptême du feu magyar. En 2011, il s'est retrouvé à chanter « Belle », le tube de Garou, Patrick Fiori et Daniel Lavoie dans la mini-foire d'Örökösföld (un quartier de Nyiregyháza).

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Pendant ce temps, la soirée à la Bencs se déroule sans anicroche, jusqu'à ce qu'un orage cataclysmique s'abatte sur Nyiregyháza. Gérôme pressentait le désastre et fixait constamment le ciel menaçant. Il pleut des hallebardes. Certains spectateurs rentrent chez eux dépités, d'autres courent se réfugier à l'intérieur de la Bencs Villa et réclament un rappel. Maja, l'organisatrice, hésite fortement avant de céder. Les techniciens branchent deux micros et une enceinte à la va-vite, et le tandem désormais vêtu de noir achève son récital sous les vivats.

« Franchement, j'ai jamais vu une telle folie depuis que Maja me sollicite. Les gens se sont levés et ont dansé spontanément comme un seul homme », se réjouit Gérôme, posant volontiers avec une admiratrice à la fin de sa prestation. « Tu sais, les chansons françaises et italiennes étaient les seuls airs étrangers autorisés à la radio hongroise sous la domination soviétique. Au fond, ça leur remémore des souvenirs de jeunesse, et je suis heureux de leur donner la patate le temps d'un concert ».

Je m'entretiens brièvement avec Judit, une femme un peu moins âgée que son cœur de cible. Elle a apprécié le concert, à l'instar des 200 autres personnes présentes. Pour cette maman ayant vécu quelque temps à Bordeaux avant de regagner sa Hongrie natale, rien n'égale le son mélodieux du français. « Gérôme a une voix extraordinaire », renchérit sa petite amie Anikó, qui chante dans une chorale locale. « Il est très modeste malgré ses capacités évidentes. Il entend tutoyer la perfection et décortique ses concerts histoire de s'améliorer sans cesse. »

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Gérôme pose avec une de ses fans et sa petite amie Anikó (à droite).

En poursuivant le fil de son épopée magyare, Gérôme raconte joyeusement ses premières parties du légendaire ensemble trash-metal Moby Dick et de son escapade slovaquo-transylvanienne. Ou encore sa participation à un défilé de mode en juillet 2015, monté par l'unique autre Français de la localité, au cours duquel le Gérôme a illuminé le podium avec son groupe Milord.

« C'était une expérience fantastique. Gérôme transmet un super feeling et ce clin d'œil frenchie collait parfaitement à l'esprit de la mode » explique son pote Roch, le patron de l'atelier qui a présenté ses collections. « Il a vraiment un créneau à explorer ici. »

Gérôme a conscience qu'il ne rameutera jamais 500 000 jeunes en transe comme au Sziget, mais il se porte bien. Ses cachets arrondissent ses fins de mois et ça lui suffit amplement. Il trimbale son matériel en Kangoo, sourire aux lèvres à chaque invitation. Boit jusqu'au dernier « bravo » les applaudissements qu'il reçoit. Plaisante quand il remarque Granville en une du canard local. Cogite sur ses prochains passages. Tremblote avant de s'exécuter. Creuse son sillon au gré des galères et des répètes. La vie d'artiste, en somme.