Il était une fois la « Pizza Indienne » en Amérique
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Il était une fois la « Pizza Indienne » en Amérique

On vous raconte l'histoire de ces pionniers qui ont décidé de mettre du paneer, des épinard et du poulet tikka massala sur des piz' à San Francisco.

À San Francisco, on raconte que le Zante Pizza & Indian Cuisine, berceau d'un phénomène original baptisé « Pizza Indienne », est tenu par un certain « Monsieur Zante », homme aux cheveux bruns, sans âge, qui combine parfaitement la fougue du beau Shahrukh Khan et le calme légendaire d'Omar Sharif – jeune. Je suis à peu près sûr d'avoir inventé cette histoire et ce perso, mais ma version tient au moins autant la route que celle qu'un serveur me sert en même temps qu'une part de pizza poulet tikka masala, cet après-midi là.

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Il me raconte que l'association « pizza » et « Inde » – qui est absolument géniale en cas de gueule de bois (croyez-en mon expérience) – a été inventée par le livreur du resto, Singh, qui en fait tous les matins. Il revient habituellement à 17h. Quand je reviens donc plus tard dans la semaine pour le rencontrer, je me rends compte avec un certain soulagement que cette version est un gros mytho. Tony, le propriétaire des lieux, m'accueille en riant : « Qui t'a raconté un truc pareil ? Il n'y connaît rien ! »

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Plus qu'à Shahrukh Khan, c'est à James Gandolfini que mon interlocuteur me fait penser. Par contre, son âge est vraiment indéterminable. De son nom complet Dalvinder Multani, cet Indien du Nord me dit que tout le monde l'a toujours simplement appelé « Tony ».

« Je pense que le Multani s'est transformé en Tony ? Personne ne m'appelle autrement que Tony. »

Quand Tony est arrivé aux Etats-Unis, il a commencé comme commis de cuisine chez Gloria Pizza, une pizzeria légendaire du Queens qui a réouvert récemment dans Forest Hills. Il y pétrissait la pâte. Et puis, en 1986, Tony déménage à San Francisco dans l'espoir d'y ouvrir son propre restaurant. Plus tard dans l'année, il achète Zante. Les propriétaires cherchaient à céder le restaurant avant de partir à la retraite. C'est eux qui ont baptisé l'endroit d'après le nom d'une petite île grecque. Avant Tony, l'endroit servait de la cuisine italienne.

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Par respect et sens du business (les propriétaires sont grecs), Tony a décidé de garder le nom d'origine du restaurant. Au départ, Tony y servait de véritables pizzas new-yorkaises comme il avait appris à les faire chez Gloria. Mais rapidement, Tony s'est mis à faire des expériences. « J'ai commencé à faire des pizzas un peu différentes pour l'équipe, » m'explique-t-il. « Ils ne font pas la pâte comme moi je la fais. Ils ne savent pas. C'est mon secret. » Le ton de sa voix se fait confidentiel. « On peut vraiment mettre ce qu'on veut sur une pizza. »

La carte du Zante propose en général quatre pizzas différentes qu'on peut prendre à la part si on le souhaite mais vu le nombre de commandes des entreprises implantées dans le coin, c'est plus pratique pour tout le monde d'en prendre une entière. Les « Best Indian Veggie Pizza » et « Best Indian Meat Pizza » sont devenues de grands classiques dans le quartier. À côté, on trouve des déclinaisons au poulet et au paneer tikka masala, qui sont au menu depuis la fin des années 90. Sur une sauce épinard-curry qui sert de base, on trouve des morceaux de poulet tandoori d'un rouge brillant, des oignons nouveaux, des aubergines, de la coriandre et d'autres ingrédients caractéristiques de la cuisine indienne. C'est comme si un gentil bambin avait voulu aider en cuisine et avait balancé tout ce qu'il trouvait sur un disque de 45cm de diamètre. Et si vous avez eu assez de jugeote pour vous asseoir au comptoir, vous aurez accès aux petits ramequins en métal qui contiennent des sauces au tamarin et à la menthe.

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Aujourd'hui, Zante réalise l'essentiel de son chiffre d'affaire grâce aux commandes de gros morfale que lui font les employés des start-ups locales. Si tous ses cuisiniers sont présents et qu'il n'y a pas de demande particulièrement énorme à préparer, Tony ne cuisine plus qu'une seule pizza par semaine. Tous les mardis, il fait le point avec son équipe pour être sûr que tout va comme sur des roulettes.

La critique que le Zagat a écrit sur le restaurant en 2007 jaunit doucement, encadrée sur le mur d'entrée. Elle évoque « l'ambiance étrange » qui règne chez Zante. C'est vrai qu'il y a quelque chose d'une autre époque entre ces murs, avec ces ventilateurs en faux bois parfaitement nettoyés qui tournent au-dessus du comptoir à pizza où je suis assis pour tester quelques parts de la paneer-épinard.

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Tony tire beaucoup de fierté de la propreté impeccable de sa salle de restaurant. Autour de la pièce, six certificats de l'Inspection Sanitaire sont affichés aux yeux de tous (avec un score très rare car difficile à obtenir de 100). Le reste du décor décrit comme « kitch » par le Zagat risque de vous faire chaud au cœur – si vous avez plus de 16 ans. On se croirait à l'intérieur de ce qui aurait pu être une pizzeria indienne il y a quarante ans. Des sets de table bleus, des posters un poil ringards et des miroirs avec des publicités pour des bières indiennes comme la Kingfisher ou la Flying Horse.

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L'intérieur du restaurant est peut-être bloqué en 1986, mais pas le reste de Mission District. « Quand j'ai ouvert ici, la rue n'était pas très bien fréquentée, » se rappelle Tony. « Il y avait des bagarres, des coups de feu… Il n'est jamais rien arrivé ici mais juste à côté, ils ont eu un braquage et tout le monde s'est retrouvé attaché à l'arrière du magasin. On a dû passer par l'arrière du restaurant pour les détacher. »

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Si Tony était le Michael Corleone de la pizza indienne, alors Sukha G. serait son Fredo. Sukha, c'est le propriétaire du Golden Gate Indian Cuisine & Pizza qu'on trouve dans le quartier qu'on appelle à présent Little Santa Cruz. Autrefois, on disait simplement « le coin près de la mer ». La vie de Sukha est une véritable success-story d'immigré, le genre de baratin facile à raconter à l'entrée d'un restaurant ethnique. Sukha se fait appeler soit Sukha soit Singh, un nom qu'on entend souvent chez les Sikhs qui veulent souligner leur appartenance religieuse. Alors que nous discutons de son divorce (« ça reste entre nous »), il s'arrête un moment pour réfléchir.

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Avant d'arriver à San Francisco, Sukha a vécu en Allemagne. Dans un restaurant italien, il a gravi les échelons de plongeur à cuisinier. C'est là qu'il a appris à faire des pizzas, des tiramisus et d'autres spécialités italiennes. Il est arrivé sans visa aux Etats-Unis où il a commencé à faire des pizzas clandestinement sur Taraval Street jusqu'à son mariage (maintenant terminé, donc). C'est là qu'il a commencé à travailler au Golden Gate Pizza. Lui aussi voulait avoir un restaurant à lui donc il rapidement fait une offre au propriétaire.

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« J'ai travaillé là un mois et puis je lui ai dit 'Si tu veux vendre, dis-le-moi' », se souvient-il. Déjà à l'époque, le Golden Gate s'essayait à la pizza indienne, avec une base de sauce épinard agrémentée d'aubergines pas assez cuites. Mais quand Sukha a repris les rênes en 1996, il a imposé son propre style dans les cuisines. Depuis, lui et son équipe de quatre cuisiniers préparent ce que le menu du Golden Gate décrit en toute modestie comme « la meilleure pizza du monde ».

Quand je raconte à Tony ce que Sukha m'a dit, il rit de bon cœur : « Il t'a dit ça ? Il bossait là depuis un an et demi. »

Dans la région, on trouve des avatars de la pizza indienne de Zante jusque Sunnyvale et il y en a même à Seattle. Selon Tony, c'est en 2010 que le Zante a gagné sa renommée internationale, le jour où il est apparu dans l'émission de télé United Tastes of America.

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« Un Japonais est venu me demander 'Comment ça s'est fait ? Est-ce que vous en aviez rêvé ?'. Je me rappelle, il s'appelait M.Tanaka. »

Ce n'est pas le seul souvenir que Tony garde de sa gloire : « Une dame est venue d'Afrique du Sud. Elle m'avait vu à la télé et quand elle est arrivée à San Francisco, elle a pris un taxi et lui a dit 'amenez-moi chez Zante !' »

Mais ça fait trop longtemps que Tony est dans le business pour encore rêver d'ouvrir une franchise. Il me confie qu'il a l'impression d'avoir passé une vie entière à gérer le Zante. Pendant ce temps-là à l'autre bout de la ville, Ahmed, cuistot depuis quatre ans au Golden Gate Pizza, prépare une pizza tikka. Il attend que le téléphone sonne en surveillant ce qui se passe dans la rue du Preet Palace, Fillmore Street. Le quartier n'est pas très bien fréquenté.

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Tony sourit : « On me demande souvent si on fait des pizzas comme ça en Inde. Mais non. C'est un pur produit local. On n'en trouve pas ailleurs. »