Des difficultés d’être grosse dans une famille asiatique
Illustration : Grace Wilson

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Des difficultés d’être grosse dans une famille asiatique

Quand vient le Nouvel an chinois, nombre de femmes se préparent à traverser une tempête de merde émotionnelle – surtout celles en surpoids.

« Ah, fay mui », me dit ma mère quand elle tâte mes bourrelets d'un air moqueur. Si vous ne parlez pas cantonais, sachez que cette expression peut littéralement se traduire « rondouillarde », « potelée », « bouboule » – grosse, en somme.

Ça fait très longtemps que les cultures occidentales se moquent des personnes en surpoids et visent des idéaux de beauté impossibles à atteindre, mais la situation est très différente chez les familles d'Asie de l'est. Quand vient le Nouvel an chinois, la plupart des femmes se préparent à traverser une tempête de merde émotionnelle et à essuyer tout un tas de remarques désobligeantes sur leur poids.

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Ces festivités annuelles sont plus ou moins l'équivalent asiatique de Noël, où des millions de personnes reviennent chez leurs parents pour manger à profusion. C'est censé être la meilleure période de l'année, mais les femmes doivent souvent accepter de se faire vanner par le reste de leur famille et répondre à des questions type : « Pourquoi n'es-tu toujours pas mariée ? » Avant, je craignais sincèrement ces réunions familiales où je me faisais souvent ridiculiser. D'une certaine manière, je les appréhende toujours. Les membres de ma famille me jaugent encore du regard pour me dire que j'ai pris un peu de poids et qu'il faudrait que je mange un peu moins de riz. Le truc, c'est que je ne suis pas la seule à subir ce genre de quolibets.

De nombreuses Asiatiques souffrent des remarques de leur famille. Selina Tan, une assistante de production de 22 ans aux origines anglaises, malaisiennes et chinoises, ne le sait que trop bien. « Je subis souvent les commentaires blessants des autres filles de ma famille. Disons que si j'ai le malheur de m'asseoir sur les genoux de quelqu'un, elles vont feindre une expression très exagérée pour se moquer de mon poids. »

Il en va de même pour Fong Chau, 33 ans, une Thaïlandaise qui habite à Londres. Sa famille a même organisé une réunion secrète pour parler exclusivement de son poids. « J'ai suivi le régime Atkins pendant un an après cette intervention gênante. À chaque dîner, je refusais de manger du riz, ce qui a gêné tout le monde – refuser la nourriture de sa mère est perçu comme un gros manque de respect. Dans un sens, ça me permettait de me venger. »

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Les problèmes de poids ont toujours été très stigmatisés en Asie de l'est et dans les communautés de la diaspora. Dans un article pour le magazine Stylist, la journaliste pékinoise Yuan Ren montrait comment ce comportement familial fondé sur l'amour vache contribuait à créer un standard de beauté qui pousse les Asiatiques à avoir la peau pâle et une silhouette menue.

L'obsession de l'Asie pour la maigreur est due à plusieurs facteurs, mais surtout – comme dans l'Occident – à une culture régie par les médias où les filles apprennent à idolâtrer des pop stars parfaites et des célébrités maigrichonnes dès leur plus jeune âge. Parmi les figures asiatiques les plus connues, on peut citer l'actrice-mannequin hong-kongaise Angelababy, l'actrice chinoise Chrissie Chau et les huit membres du groupe de K-pop Girls' Generation.

Le groupe Girls' Generation en plein concert. Photo via Wikimedia Commons

Selon Terry Loong, 37 ans, une dermatologue malaisienne basée à Londres, « les Asiatiques cherchent désespérément à avoir la peau pâle, qui représente la jeunesse, la richesse, la fertilité et le succès. Des femmes asiatiques subissent parfois des opérations dangereuses pour affiner leur visage ou se rallonger les os afin d'être plus grandes. »

Le Dr Henry Chuen Choy Lim, qui travaille à l'hôpital de l'université de West Middlesex ajoute : « Ce n'est pas seulement une obsession pour la minceur – c'est la quête perpétuelle d'un physique parfaite. » Comme l'explique Jennifer Chen dans son essai pour The Bold Italic, ces normes sociales oppressantes sont tellement répandues et acceptées que de nombreux Européens ou Américains Blancs peinent à croire qu'il existe de « grosses asiatiques. »

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Personnellement, j'ai déjà eu recours à des méthodes draconiennes pour perdre du poids – des pilules miracles aux cures de fruits, en passant par le thé aux herbes laxatif. Je suis même allée jusqu'à m'affamer au point de m'évanouir.

Le Dr Loong avoue aussi avoir reçu des commentaires vexants qui l'ont poussée à changer radicalement son corps. « Je voulais absolument être fine comme les autres filles. J'étais un peu ronde, donc j'ai fait des régimes express au début de mon adolescence. J'ai fini par avoir un ulcère de l'estomac, j'avais constamment des crampes stomacales, mes cheveux se sont mis à tomber et j'ai commencé à avoir des pensées suicidaires. »

Mais cette pression n'est pas uniquement familiale. Shirley Lau, une Anglo-Chinoise de 22 ans, estime que les médias asiatiques, les amis et les petits amis peuvent aussi être mis en cause. « Les gens auront toujours des attentes particulières vis-à-vis d'une fille asiatique, sans tenir nécessairement compte de ce qu'elle pense. Je ne me rappelle pas avoir vu une publicité en Asie promouvant l'amour de soi. »

Selon le Dr Lim, il s'agit d'un problème culturel. « Ce que l'on perçoit comme une norme sociale en Asie est essentiellement déterminé par les médias et des publicités qui mettent en scène des mannequins très minces – sauf que la plupart des gens voient ça comme un objectif à atteindre. »

Photo : Goldmund Lukic via Flickr

Mais même les femmes asiatiques qui ont grandi dans un pays occidental ne sont pas à l'abri de ce genre d'attitudes. Quand j'étais jeune, on me disait constamment que si je continuais de manger autant, je courrais le risque de ne jamais me marier – et de finir grosse et seule. Mes propres idéaux de beauté sont toujours faussés par ces menaces subliminales.

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Le Dr Loong m'a raconté que dès son plus jeune âge, son père critiquait ouvertement les autres devant elle. « J'ai grandi en pensant que les gros étaient paresseux, en mauvaise santé, mal aimés et médiocres. J'ai très vite éprouvé le souhait de ne jamais grossir. »

De mon expérience, les familles asiatiques ont tendance à être plus frontales que celles des Occidentaux. Être trop gros ou trop maigre témoigne d'un style de vie malsain et indiscipliné, et quiconque ne se conforme pas à ces standards sera raillé jusqu'à ce qu'il daigne entrer dans la norme. C'est un cercle vicieux duquel personne ne sort vainqueur.

« Maintenant que j'ai perdu du poids, ma famille insiste sur le fait que je suis jolie aujourd'hui, m'explique Selina Tan. Je m'étais dit que ça leur ferait un sujet de discussion en moins, mais les tantes asiatiques trouveront toujours un commentaire désobligeant à faire ! »

L'Amérique et l'Europe ont encore pas mal de chemin à faire sur la question, mais il existe au moins quelques débats sur des sujets tabous tels que le poids, les règles et les poils. En comparaison, les cultures asiatiques sont sacrément à la masse. Néanmoins, des projets à la gloire des mannequins plus size – comme le magazine coréen 66100 – commencent à voir le jour.

Comme l'a déclaré Dr Loong, « il est important de discuter ouvertement d'amour-propre avec les jeunes filles et les garçons. » Je suis entièrement d'accord – parler de ce sujet – tout en continuant à nous servir allègrement en riz sans tenir compte de l'avis de notre famille – nous permettra probablement de sortir du statu quo. Kung hei fat choy à tous.

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