Sapé comme un Qatari : à la recherche du style de Doha
Sebastian Castelier pour Vice FR 

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Mode

Sapé comme un Qatari : à la recherche du style de Doha

Casquette flashy ou talons vertigineux, dans cette société strictement codifiée, la jeune génération contourne les règles pour affirmer sa différence.

C'est l'été, à Doha. Mais quelque soit la saison, toutes les femmes qataries portent, par-dessus leurs vêtements, une abaya - soit une imposante robe noire, généralement assortie d'un voile ou d'un hidjab. Les hommes, eux, revêtent une thobe - une robe blanche partant du cou et descendant jusqu'aux chevilles - ainsi qu'une ghutra - un foulard plié en deux couvrant le crâne.

Dans une société aussi strictement codifiée, la jeune génération trouve pourtant le moyen de jouer avec les règles pour se créer un style plus personnel. Tout, ici, se niche dans les détails : une casquette flashy, une montre vintage, une encolure de thobe plus ou moins longue ou de vertigineuses chaussures à talons s'échappant discrètement d'une abaya… Chacun à son truc pour affirmer sa différence.

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Six Qataris ont accepté de nous dévoiler leurs astuces pour être stylés - sans s'attirer les foudres des anciens.

Kholoud Al-Ali, 25 ans, influenceuse et photographe

« La tenue traditionnelle reste centrale »

« Quand je me suis lancée sur les réseaux sociaux en 2009, je n'imaginais pas l'ampleur que cela prendrai. A l'époque, j'étais photographe. Aujourd'hui, je vis en mettant en valeur des pièces de mode.

J'ai l'habitude de mélanger les vêtements et les styles, mais la tenue traditionnelle reste centrale. L'abaya est définitivement la tenue qui vibre au rythme de Doha. J'aime l'idée d'être sociale et antisociale à la fois. Mais attention, sur Instragram, je ne montre jamais mon visage.

Il y a dix ans, très peu de créateurs originaires du Golfe proposaient des abayas originales. Il fallait chercher l'inspiration ailleurs. Mon regard est toujours braqué sur l'étranger, mais de plus en plus de créations locales retiennent mon attention. Les marques ? J'en ai parce que j'en ai les moyens, mais en porter ne veut pas dire avoir du style. Les Qataris aiment le luxe… et ont parfois tendance à confondre tendance et élégance. »

Abdoulaziz Al-Ajail, 33 ans, influenceur

« Les coutures, les boutons, la taille du col sont autant de moyens de personnaliser sa thobe »

« La thobe est à la fois notre tenue formelle et informelle. Autant dire que notre choix de vêtements est un peu limité ! Les choses évoluent néanmoins et les gens osent de plus en plus. Il y a cinq ans, on ne portait que des sandales. Aujourd'hui, la mode est aux sneakers. Cette montre vient de mon grand-père, j'ai des boutons de manchettes vintages… Les accessoires jouent un rôle central dans la mode masculine qatarie.

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Les coutures, les boutons, la taille du col sont autant de moyens de personnaliser sa thobe et donc d’exprimer sa propre personnalité. Il faut trouver le bon tailleur capable de créer le vêtement qui vous va parfaitement. La manière de le porter compte aussi beaucoup. Porter la thobe avec deux boutons défaits fait bien sur Instagram, mais c'est impensable à une réunion familiale. »

Fahad Al-Obaidly, 33 ans, créateur, plasticien, et réalisateur

« Mon manteau est inspiré des tenues que nous portons pour la danse des sables »

« Le style traditionnel répond d'abord aux exigences du climat. La guhtra, par exemple, sert à se protéger des tempêtes de sable. Notre identité vestimentaire a aussi été très influencée par la culture bédouine, nos échanges avec l'Inde ou encore l'Afrique.

Les jeunes générations abandonnent peu à peu le style traditionnel. Pour un rendez-vous important, un événement familial ou un mariage, je porte la thobe pour montrer mon respect. Quand je m’installe au café pour travailler sur mes projets, j'ai une tenue occidentale.

Je développe des vêtements qui célèbrent nos tenues traditionnelles mais qui peuvent être porté par tous. Appelons ça la diplomatie de l'élégance ! Mon manteau du jour est inspiré des tenues que nous portons pour la danse du sable. C'est une double déclaration : s'inspirer de la tradition, c'est montrer que mon appartenance nationale supplante mon identité propre. Choisir d'en faire une pièce unique, un objet d'art, cela me permet de parler de moi.»

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Farah Al-Rasi, 23 ans, designeuse

« J'utilise des métaux et des pierres pour réinventer l'abaya. Ce n'est pas toujours bien vu… »

« Je fais cinq collections de dix à quinze abayas par an. Chaque soir, quand je m'endors, je pense à une future création. Tout m'inspire : les détails du quotidien, ce que je vois à la télé… J'ai été la première à fabriquer des abayas deux pièces, mais maintenant tout le Golfe s'y est mis.

À Doha, la norme reste l'abaya noire mais j'utilise de la fourrure, des métaux, des pierres pour réinventer tout ça. Ce n'est pas toujours bien vu : nous sommes dans une société musulmane, arabe et traditionaliste. Pour l'ancienne génération, l'abaya est censée couvrir les femmes, pas attirer le regard sur vous. C'est parfois difficile d'être fashion à Doha mais, honnêtement, je ne me préoccupe pas de ce genre de commentaires. »

Fatima Al-Thani, 40 ans, entrepreneuse

« J'ai été une des premières qataries à me montrer sur les réseaux sociaux sans voile, ni abaya »

« Je ne porte ni voile, ni abaya. Beaucoup de Qataris en font de même en dehors du pays. J'ai d'abord adopté ce style juste pour moi. Je voulais avoir une vie, pas deux, donc me vêtir à Doha comme je m'habille à l'étranger. Ma robe d'aujourd'hui, on la porte normalement pour le ramadan. Elle est surtout très confortable.

Evidemment, ça a été un grand choc quand j'ai commencé à être sur les réseaux sociaux. C'était en 2012 et j'étais une des premières à me monter comme ça. Il a fallu deux ans pour que les gens acceptent qu'une femme qatarie, qui plus est membre de la famille royale, assume de ne pas porter de voile. Le plus surprenant, c'est que les femmes qui me soutiennent sont souvent les plus couvertes. Elles me félicitent de l'exemple de liberté que je donne à leurs filles. J'espère être un modèle d'empowerment pour les femmes plus jeunes. »

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Khalifa Saleh Al Haroon, 31 ans, entrepreneur et youtubeur

« Je joue surtout sur les accessoires »

« Beaucoup de représentations qu'ont les étrangers des Qataris sont biaisées et j’essaie d'être le sympathique voisin qatari auprès de qui on peut se renseigner. Les gens veulent savoir ce que nous portons sous les thobes ? Évidemment, ils ne peuvent pas demander à un inconnu de montrer ses dessous ! Mais ils peuvent se renseigner sur ma chaîne YouTube…

Sous la thobe donc, nous portons généralement un sarouel et un linge de corps qui protège de la transpiration pour garder la thobe immaculée. Pendant longtemps, les Qataris ne portaient pas de sous vêtements mais les choses ont changé.

Pour le reste, je joue sur surtout sur les accessoires et le couvre-chef. Le parfum a aussi une importance capitale. Les grandes marques l'ont d'ailleurs bien compris : même si les flacons sont les mêmes en Europe et au Moyen-Orient, les produits qu'ils contiennent sentent plus fort dans notre partie du monde. »