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Internes en médecine au bord de la crise de nerfs

Idées suicidaires, pressions hiérarchiques et horaires impossibles : des jeunes étudiants et médecins expliquent pourquoi ils n’en peuvent plus.
Photo : Philippe Wojazer/Reuters

À l'hôpital, ce sont les premières personnes par qui les patients se font examiner. Pendant trois, quatre ou cinq ans selon leur spécialité, les internes enchaînent les consultations, les examens médicaux et les gardes dans le but de se former à leur métier. Mais les horaires à rallonge, la pression inhérente à leur métier et le contact quotidien avec la maladie en poussent certains à bout. En juin dernier, les syndicats d'étudiants et de jeunes médecins (Anemf, Isnar-IMG, ISNCCA et l'Isni) ont lancé une enquête sur le sujet. Sur les 22 000 internes ayant répondu, 66 % affirment souffrir d'anxiété, 27,7 % de dépression. Près d'un quart d'entre eux (23,7 %) déclarent avoir eu des idées suicidaires. Mais il reste difficile de parler de burn-out autour de soi. Seul un jeune médecin sur deux (49,3 %) dit se sentir soutenu par son supérieur hiérarchique. Il est parfois impossible d'en parler à la médecine du travail, et 54,7 % des personnes interrogées ont précisé n'avoir jamais eu l'occasion de consulter. Pour essayer de préserver ces jeunes internes qui travaillent parfois jusqu'à 110 heures par semaine, un décret du ministère de la Santé limite leur travail à 48 heures hebdomadaires. Promulgué en 2015, il n'est aujourd'hui encore que très peu appliqué. Dans l'objectif de comprendre pourquoi ces jeunes internes étaient au bord de la crise de nerfs, j'ai discuté avec plusieurs personnes, qui m'ont parlé de leurs crises de panique, de leurs galères quotidiennes et de ce qui leur permet de s'en sortir.

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Photo : Jean-Paul Pelissier/Reuters

Pierre, 30 ans, interne en santé publique à Lyon

J'ai commencé par faire de la médecine générale. Mais au bout de trois semestres, j'étais dans une telle souffrance morale que je me suis fait arrêter et suivre psychologiquement par des professionnels, avant de changer de voie. Aujourd'hui, en santé publique, je ne suis plus en contact avec les patients et ça va déjà beaucoup mieux.

En stage, on est confrontés à la maladie chaque jour. C'est une chose qui ne s'apprend pas en cours. La réalité quotidienne des internes en médecine est de voir des gens souffrir et mourir – il faut être sacrément costaud pour l'affronter. D'autant plus qu'on se retrouve avec énormément de responsabilités sans être prêt. Lors de mon premier stage, je travaillais aux urgences gynécologiques. Sauf qu'en arrivant, j'avais à peine deux examens gynéco à mon actif. Là, je me suis retrouvé tout seul devant des patientes, aux urgences. Je ne savais pas trop comment les examiner, et évidemment, elles s'en sont rendu compte. J'étais vraiment gêné. Plus tard, en neurologie, on m'a laissé seul avec un patient qui venait de faire un AVC. Son état se dégradait de minute en minute. Je n'ai pas réussi à prendre de décision tout seul, et j'étais trop tétanisé pour appeler le service de réanimation. Au final, le malade a quand même été transféré. Mais je m'en suis beaucoup voulu de ne pas avoir réagi plus tôt, pour maximiser ses chances de survie. J'y ai pensé tous les jours, pendant un bon moment.

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Louise*, 28 ans, interne en médecine, Île-de-France

Je craque à peu près tous les six mois. Malgré toute la distance que je mets avec les patients, je m'identifie parfois à certains d'entre eux. La dernière fois, j'ai reçu un homme de 65 ans atteint d'un cancer aux urgences. J'ai voulu le transférer en réanimation, mais ils m'ont dit qu'il était déjà trop mal en point et qu'on ne pouvait plus rien faire pour lui. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser que cet homme, qui allait bientôt mourir, était plus jeune que mon propre père.

Et pour être honnête, mon salaire me mine aussi. À Paris, sans garde, on est payés 1 700 euros par mois. À bac + 9 et avec des semaines à 65 heures, c'est beaucoup trop peu. Ça revient à peu près à 6 euros de l'heure, ce qui est nettement moins que le SMIC horaire. Et tout ça alors qu'on a des vies entre nos mains. De toute manière, on a nulle part où aller pour parler de ça. J'ai la chance d'avoir eu une consultation à la médecine du travail. J'ai expliqué que c'était dur, que je ne me sentais pas toujours bien. Mais la meuf m'a démontée – elle m'a dit que c'était comme ça, et que je devais arrêter de me plaindre.

« En garde, après avoir travaillé toute la nuit, je dois rédiger des ordonnances entre 5 et 8 heures du matin. Honnêtement, je m'endors parfois sur mes prescriptions. »

Mehdi, 29 ans, interne en médecine générale en Ile-de-France

J'ai su m'arrêter et changer de cursus juste avant le burn-out. J'avais pris 10 kg en deux ans, je ne me reconnaissais plus. J'avais du mal à me regarder dans le miroir. C'était devenu une souffrance. De l'anesthésie-réanimation, je suis passée à la médecine générale. Je suis venu en médecine animé par la passion, mais dès le premier jour de mon internat en anesthésie-réanimation, j'ai su que ça n'irait pas. J'ai tout de suite souffert du manque d'esprit d'équipe et de l'absence de soutien des plus anciens. Je sentais que je les dérangeais quand je demandais de l'aide. Et impossible de leur parler de mon mal-être, puisqu'ils estiment que c'était pire à leur époque. En plus de tout ça, je ne voyais jamais les malades. Sur une journée de onze heures de travail, je voyais mon patient un quart d'heure à tout casser. Le reste du temps, je faisais de la paperasse que mes chefs n'avaient pas envie de faire ou je passais mon temps à négocier dans d'autres services pour avoir des examens complémentaires, comme des radios. En deuxième année d'internat, je suis arrivé dans le service des grands brûlés à l'hôpital Saint-Louis à Paris. Avec trois gardes dès la première semaine, je me suis retrouvé à faire 100 heures de travail. C'est là que je me suis dit stop. Je me suis arrêté juste avant l'épuisement professionnel.

Paul, 27 ans, interne en pédiatrie

Ce qui me stresse, c'est qu'à côté de toutes les heures passées à l'hôpital, il faut encore travailler pour l'université en plus. Aujourd'hui, quand on veut trouver un poste après l'internat, les établissements nous demandent d'avoir un parcours toujours plus complet. À côté de notre doctorat de médecine, on est quasiment obligés de se lancer dans un master 2 de sciences, pour faire de la recherche clinique ou de la neuroscience, par exemple. Donc il faut s'inscrire, trouver une bourse, se trouver un master et un sujet de recherche qui va avec… Tout ça n'est pas compris dans le temps qu'on passe à l'hôpital. Je finis assez tard le soir et je travaille souvent les week-ends en garde ou en astreinte. Ça me laisse très peu de temps libre. Clairement, quand je rentre à 22 heures chez moi, je n'ai pas envie de m'occuper de ma carrière universitaire. Mais il faut le faire. C'est ce qui me rend le plus anxieux. Le décret qui limite notre travail à 48 heures est une bonne démarche qui nous laisserait plus de temps, mais je ne vois pas comment il pourrait être appliqué.

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Marine, 28 ans, interne en cardiologie

Il m'est arrivé d'avoir des idées noires. Mais je n'avais aucun moyen d'en parler. Mon mec essayait de prendre soin de moi quand je rentrais le soir, en me préparant des petits plats ou en passant du temps avec moi. La situation s'est améliorée quand j'ai changé d'hôpital à la fin de mon stage. Dans chaque service où j'ai officié, sur une équipe de 10, on trouve toujours une personne en dépression ou en burn-out. Partout. L'anxiété nous accompagne tous les jours. On nous laisse seul alors qu'il y a beaucoup de gestes qu'on ne sait pas faire. J'angoissais en permanence de tomber sur un patient qui en aurait besoin. En garde, je ne ferme presque pas l'œil tellement je suis stressée. Et il est impossible d'en discuter avec mes chefs. Ils se disent que je ne sais pas gérer et que je suis faible.

Paul, 27 ans, interne en anesthésie-réanimation

Certains jours, j'arrive le matin à l'hôpital et je sais déjà que je vais pleurer à un moment de la journée. Je ne saurais pas trop dire pourquoi je pleure. C'est une sorte de craquage pour évacuer. Ça m'est arrivé chez moi, aussi. Un soir, je me mettais en pyjama pour rejoindre ma copine au lit. Et là, devant l'armoire, j'ai explosé en sanglots sans raison. C'est sans doute lié à la fatigue. En garde, après avoir travaillé toute la journée, puis toute la nuit, je dois rédiger des ordonnances entre 5 et 8 heures du matin. Honnêtement, je m'endors parfois sur mes prescriptions. Je me réveille, assis à mon bureau, un stylo à la main et ma prescription toute gribouillée parce que je me suis assoupi. Je ne peux pas laisser ça de côté pour aller me coucher – sinon, je serai contraint de rester travailler après ma garde de 24 heures. Je m'en veux un peu parce que ce manque de temps se répercute sur les patients. Quand je fais des journées de consultation à l'hôpital, je dois voir au moins une vingtaine de malades. Pour les gens qui n'ont pas d'antécédents, c'est l'histoire d'une dizaine de minutes. Mais quand les cas sont plus compliqués, ça peut aller au-delà d'une demi-heure. Sauf que je n'ai pas tout ce temps. Je suis obligé de couper le patient pendant qu'il me parle, de lui poser directement les bonnes questions et d'aller droit au but. Je ne peux même pas me permettre de l'écouter jusqu'au bout.

*À la demande de notre interlocutrice, le prénom a été modifié.