Dans la dernière moutarderie indépendante de Bourgogne
Toutes les photos sont de l'auteur. Les grains de moutarde qui seront plus tard moulus, et intégrés au mélange de sel, d'eau et de vinaigre.

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Dans la dernière moutarderie indépendante de Bourgogne

À Beaune, la maison Fallot résiste encore et toujours aux géants de l’agroalimentaire avec une moutarde artisanale qui séduit les chefs.

La moutarderie Fallot est, comme qui dirait, paumée au milieu d’une région où le pinard est roi. L’entreprise familiale, installée depuis 1840 en plein cœur de Beaune, cité fortifiée, semble hors du temps. Les bâtiments datent du début XXe et aucun hangar ou pas de chargement n’est visible. Seul un parfum particulier se fait sentir.

La moutarderie Fallot vue de l'intérieur de la cour.

Après quelques mètres dans la fabrique, une odeur fine mais tenace prend au nez. Marc Désarménien, le patron et héritier de la moutarderie, a un peu de retard. « Un déjeuner d’affaire avec des clients américains » qui s’éternise et une visite qui commence donc sans lui.

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La Fallot a une particularité. Afin de faire reconnaître son savoir-faire en la matière, la moutarderie a milité pour qu’une indication géographique protégée (IGP) soit créée en 2009 – année où l'usine a aussi été refaite. L’appellation « moutarde de Bourgogne » a vu le jour et, comme un pied de nez à la « moutarde de Dijon », permet à l’entreprise de se démarquer de la concurrence et de mettre en valeur son côté « artisanal ».

Cet aspect-là de la production, on a eu envie d'aller le vérifier sur place. On traverse donc la cour de la moutarderie avant de déboucher sur une première salle baptisée « des étiquettes » puis celle de la « mise en pot » - le chemin inverse de la moutarde en somme. Dans un bureau attenant, on enfile charlotte, blouse et surchaussure. Hygiène et classe obligent.

À l’étage supérieur, Patrice et Michaël, les deux moutardiers qui pèsent et assemblent les ingrédients nous accueillent. Ici, tous les dosages sont faits à la main. En les voyant, je me demande surtout si leur odorat est toujours fonctionnel. L’odeur de moutarde est omniprésente. Elle est tellement forte qu’elle me pique les narines comme de la lacrymo.

Patrice et Michaël, les deux moutardiers, chargés de l'élaboration de toute les moutardes de l'entreprise.

Alors que ça discute recette et qu’on m’explique les différentes étapes de la fabrication, Marc Désarménien débarque enfin. En chemise fleurie, jean et chaussures de ville – sous la tenue réglementaire – il me salue avec un grand sourire, satisfait de pouvoir m’annoncer que ses produits sont convoités par une épicerie new-yorkaise.

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Pour faire de la moutarde de manière « traditionnelle », il faut suivre plusieurs étapes ; écraser lentement la graine à l’aide d’une meule en pierre, la séparer de la coque et mélanger les ingrédients (sel, sucre, miel ou vinaigre). La graine a son importance. Chez Fallot, elle est stockée au grenier. Une place de choix, sous la charpente presque bicentenaire.

Des cuves servant à entreposer les grains de moutarde dans le grenier de la fabrique.

Quand on lui parle de sa « méthode », Marc Désarménien insiste précisément sur la graine. La qualité de « sa » moutarde vient aussi du fait qu’elle contient « beaucoup plus de résidus secs » [ndlr : de graines de moutarde donc] que ses concurrents. « Là où la législation nous impose d’en avoir au minimum 22 % dans un pot, nous atteignons 33 % », précise-t-il.

Vue sur la "salle des machines"

Des grains de moutarde dans la centrifugeuse servant à séparer la gariane à proprement parlé de la coque. Une des étapes essentielle de l'élaboration du produit.

Fallot se fournit en grande partie auprès de producteurs locaux, là où les autres achètent principalement à l’étranger – notamment au Canada. « L’objectif est que, d’ici deux ans nous n’utilisions que des graines bourguignonnes », promet Désarménien. Évidemment, ce choix n’est pas simplement marketing, le climat influe sur la production. Là où les graines canadiennes sont par exemple récoltées au bout de six mois, celles cultivées en France disposent de six mois supplémentaires avant la moisson.

Détail d'une des cuves à grains de moutarde de la salle des machines.

La moutarde dans l'une des cuves mélangeant les ingrédients entre eux.

Si son patron a le sourire, c’est parce que la Fallot a bonne mine dans un secteur qui en a bavé – après la Seconde guerre mondiale - l’industrialisation faisant drastiquement baisser le nombre de fabricants de moutarde dans l’Hexagone. Ne subsiste que les poids lourds de la profession.

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Aujourd’hui, Fallot peut se targuer de sortir 7 millions de pots par an. Son chiffre d’affaires est en progression constante. En France, la PME de 25 salariés, représente 7 % du marché. Face à elle, des géants comme les Allemands Kühne et Develey ou bien encore Unilever, qui possède Amora-Maille.

Sur la chaîne d'empottage de la moutarde.

Des pots attendent d'être emballés sur une palette.

Même si les deux ne boxent pas dans la même catégorie, l’histoire d’Amora-Maille dans la région peut se lire comme un miroir déformant de la destinée de Fallot. La boîte qui produit la « moutarde de Dijon » que l’on trouve dans tous les supermarchés a fermé en 2009 son usine historique de Dijon pour transférer une partie de sa production en Pologne, après plusieurs mois de négociation avec les syndicats et les élus locaux.

Sur la chaîne d'empottage de la moutarde.

À l’époque, le groupe Unilever avait invoqué la baisse des ventes de condiments dans l’Hexagone – tout particulièrement de moutarde et de cornichons – pour justifier cette décision et supprimer au total 244 postes en Bourgogne. Chez Amora-Maille, une partie de la production est aujourd’hui assurée à Chevigny-Saint-Sauveur, un centre surtout dédié à la logistique, à quelques kilomètres de Dijon.

Comment je suis tombé dans le vinaigre

La moutarde fait partie de ces produits dont on peut avoir vite fait le tour une fois qu’on a goûté la fine, la forte ou « à l’ancienne » avec ses grains. La nouveauté se réduit assez vite au packaging ou au qualitatif. Fallot a voulu aller un poil plus loin en associant la moutarde à des ingrédients moins attendus. Au cassis, au poivre, en passant par du haut de gamme, à la truffe ou aux cèpes, ou des saveurs plus originales comme le yuzu.

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Des sachets de moutarde, destinés à terme aux analyses qualité.

Preuve de la qualité du produit, des chefs étoilés comme Eric Prat, Jean-François Piège ou Paul Bocuse ont fait de Fallot leur fournisseur attitré de moutarde. Une ligne de produits dédiés a même été créée en partenariat avec les restaurants étoilés Loiseau.

Surtout, plus de la moitié de la production est exportée, principalement en Amérique du Nord. Le classique « Oh tu viens de Dijon ? Comme la moutarde ? », que l’on me sort à chaque nouvelle rencontre et que je décline en plusieurs langues a encore de beaux jours devant lui.


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