Mais qu’est-ce que tu fais à poil Deborah de Robertis ?
Image de Une : Deborah de Robertis, Miroir de l'origine (série “Mémoire de l'origine”), 2014

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Sexe

Mais qu’est-ce que tu fais à poil Deborah de Robertis ?

À l’occasion de son récent procès à Paris, nous revenons sur le travail de celle qui se dénude pour confronter les institutions muséales.

Le 29 mai 2014, Deborah de Robertis naissait aux yeux du public, selon l'expression consacrée. La métaphore n'est peut-être pas superflue puisque c'est devant L'Origine du monde de Gustave Courbet que l'artiste luxembourgeoise se dévoilait — littéralement. Dans une démarche d'incarnation du « point de vue » du modèle représenté, elle s'asseyait, le sexe visible, sous le célèbre tableau exposé au musée d'Orsay. Des visiteurs surpris puis évacués par les agents de sécurité, une plainte déposée par l'institution pour exhibition sexuelle et restée sans suite, et surtout, beaucoup d'encre dans les médias. Depuis, et toujours avec le même aplomb, de Robertis a réitéré sa performance, adaptée à d'autres modèles, d'autres œuvres, d'autres musées. Deux de ces itérations ont fait date en cette année 2016, à Paris : à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) le 27 mars et au musée des Arts Décoratifs le 18 septembre.

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Et pour cause : elles ont valu à de Robertis d'être à nouveau accusée d'exhibition sexuelle. Elle a du en répondre devant le tribunal correctionnel de Paris le 13 décembre dernier. Rappel des faits. Le dernier jour de l'exposition « Bettina Rheims » à la MEP, alors que les salles déconseillées au jeune public sont bondées de visiteurs venus voir les « héroïnes » de la photographe de mode, de Robertis se met en scène devant une photographie de Monica Belluci en 1995, combinaison en skaï rouge, bouteille de ketchup à la main et pose on ne peut plus suggestive. L'artiste a singé la tenue de l'actrice italienne, se dénude progressivement et s'asperge de ketchup sur fond musical — « I want you to lick my ketchup » entend-on. Certains croient à un événement surprise du musée, avant que la sécurité ne rapplique fissa pour évacuer la performeuse non désirée.

Deborah de Robertis devant "Breakfast with Monica Bellucci" de Bettina Rheims, à la Maison Européenne de la Photographie, le 27 mars 2016. Photo : Guillaume Belvèze. Tous droits réservés à Deborah de Robertis.

Le 18 septembre, le scénario se répète peu ou prou. Ultime jour de visite de l'exposition « Barbie » aux Arts Décoratifs. De Robertis arrive cette fois moulée dans une combinaison couleur chair, avec des découpes au niveau des seins, une toison pubienne factice et une perruque blonde censée évoquer la célèbre figurine féminine, dont des répliques revisitées — appelées « Femi Barbie » — sont distribuées au public présent. L'artiste a une caméra GoPro vissée sur le crâne — filmer ses interventions fait partie de son processus créatif — et est à nouveau accompagnée de deux faux gardes du corps. Une visiteuse, choquée par les « poses suggestives » de la jeune femme, porte plainte. Aux policiers qui l'interrogent sur ce qu'elle entend par « suggestives », la victime répondra : « « des trucs qui sont quand même choquants pour des enfants ».

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C'est ainsi qu'est résumé le contexte du procès par la juge de la 16e chambre correctionnelle en ce mardi 13 décembre. Poursuivie pour exhibition sexuelle suite à la plainte de la visiteuse des Arts Décoratifs, de Robertis se voit priée de justifier sa démarche à la justice. Cette dernière, qui dit « ouvrir un nouvel espace d'expression à chaque performance » et à qui on demande de préciser ses moyens d'existence, son statut marital ou le montant de son loyer, exprime cependant à la barre le souhait que « son geste soit jugé à la lumière de son statut d'artiste ».

C'est sur ce point qu'insiste son avocat, Me Tewfik Bouzenoune — qui a également défendu l'ex-Femen Éloïse Bouton. Reprochant à l'article 222-32 du code pénal de ne pas caractériser l'exhibition sexuelle — il travaille d'ailleurs sur une réforme visant à corriger ce flou —, Me Bouzenoune plaide pour faire la « différence entre un acte sexuel et un acte artistique », estimant que « cette affaire n'a rien à faire dans un tribunal » et demandant à la procureure d'user de la « marge de la perception » dont dispose le tribunal pour délivrer une relaxe. Cette dernière, reconnaissant le caractère « atypique » de ce dossier, estimera pourtant que « l'infraction est constituée » — les deux performances ayant été « imposées » par l'artiste sans autorisation des institutions. Une amende de 2000 euros d'amende a été demandée comme peine à l'artiste, avec une délibération fixée le 1er février 2017.

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Si pour de Robertis, « ce n'est pas une question de 2000 euros ou pas 2000 euros », il est inquiétant de « nier sa position d'artiste », comme le fait cette condamnation. « Tout résumer à une question de nudité c'est invalider le discours », ajoute-t-elle lorsque nous l'interrogeons à l'issue de son procès. Elle précise aussi que si elle ne demande pas l'autorisation des musées qu'elle choisit spécifiquement pour ses performances, c'est justement car elle porte un regard critique sur ces derniers et qu'elle « ne [veut] pas pas donner ce pouvoir à l'institution ».

Deborah de Robertis à l'exposition "Barbie", au musée des Arts Décoratifs à Paris, le 18 septembre 2016. Photo : Guillaume Belvèze. Tous droits réservés à Deborah de Robertis.

Citant le musée d'Orsay, avec qui elle a de nombreux différents, de Robertis en profite pour souligner l'hypocrisie de l'institution parisienne, qui a porté plainte suite à sa performance sous L'Origine du monde en mai 2014 puis sous Olympia d'Édouard Manet en janvier 2016, mais qui n'a pas hésité à mettre en scène des modèles nus à l'occasion d'un événement pour ses trente ans. Pour Geneviève Fraisse, philosophe et militante féministe venue plusieurs fois au secours de l'artiste, le recours à l'argument moral « ne sert à rien et marche comme un cache-sexe » sur la question du nu dans l'espace public.

Le cas Deborah de Robertis laisse souvent perplexe, voire dubitatif. En cause peut-être, le peu d'exposition de l'artiste en dehors des remous relayés par les médias — cette dernière assume justement la restriction d'accès des traces de ses œuvres, à savoir les images de ses performances. Finalement, juger de ses interventions à l'aune de leur qualité artistique fausse sans doute un débat qui est, au fond, surtout politique — il est facile de rapprocher sa démarche d'un combat incarné par les Femen. « Ce qui dérange [l'institution], ce n'est pas la nudité, c'est qu'elle ne [la] sert pas », conclut de Robertis. Pour la justice française en tous cas, la question de la légitimité artistique de de Robertis a été tranchée : ses performances relèvent du délit.

Edit : Le tribunal correctionnel de Paris a décidé de relaxer Deborah de Robertis, mercredi 1er février 2017, estimant qu'il n'y a « pas d'éléments suffisants pour caractériser l'exhibition ». L'artiste écope seulement d'une amende de 2000 euros.

Quand elle ne rôde pas au tribunal, Marie est sur Twitter.

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