FYI.

This story is over 5 years old.

reportage

Alcool et musique traditionnelle en plein cœur du désert iranien

Ma soirée en compagnie des jeunes de gauche coincés au pays du Guide suprême.
Illustrations de Michael Dockery

« On t'aime bien. Tu veux venir avec nous dans le désert ? »

Les deux mecs à l'origine de cette proposition me sont quasi-inconnus. Je les ai rencontrés quelques heures auparavant dans le souk de Yazd – ils m'avaient conseillé un restaurant dans le coin. Notre brève conversation s'est donc rapidement transformée en une invitation au voyage dans le désert iranien – invitation que j'ai bien entendu acceptée.

Publicité

Un peu plus tard dans la soirée, je grimpe dans un gros 4x4. Huit jeunes iraniens, âgés de 25 à 35 ans, sont déjà à bord. Les femmes portent un foulard sur la tête, et tous sont élégamment habillés. Certains me parlent en anglais tandis que d'autres se contentent de me sourire en me donnant une tape amicale dans le dos.

Alors que nous traversons une route au beau milieu du désert, la radio diffuse de la musique à plein volume – tout le monde chante. Un sentiment de liberté anime le petit groupe – sentiment difficilement partagé par quelqu'un comme moi ayant grandi en Australie et n'ayant jamais vu son « droit de sortir » restreint.

Vous connaissez sans doute les lois strictes ayant cours en République islamique d'Iran. Celles-ci régissent les vêtements, les interactions avec le sexe opposé, les concerts, l'art, la créativité et les soirées. Il est impossible de se procurer de l'alcool de manière légale. En mai 2014, des Iraniens ont été arrêtés après avoir publié sur Youtube une vidéo dans laquelle ils dansent sur la chanson « Happy » de Pharrell Williams. Considéré par le gouvernement comme étant « vulgaire et néfaste à la chasteté du public », ce clip a abouti à la condamnation des responsables à six mois d'emprisonnement et 91 coups de fouet avec sursis.

Il est donc évident qu'aux yeux des jeunes iraniens, la possibilité d'échapper à la tutelle moralisatrice de l'État est considérée comme une bénédiction. C'est exactement ce que ce groupe d'amis est sur le point de faire – avec moi dans son sillon.

Publicité

La voiture finit par s'arrêter le long d'une étendue de dunes. Reza, le conducteur, scrute les crêtes sablonneuses avant d'appuyer sur l'accélérateur.

« Attention ! », me crie Sara.

La voiture heurte le monticule et débute sa difficile ascension. Ma tête est tirée vers l'arrière tandis que mon corps est propulsé vers l'avant. J'entends mon cou craquer. Les Iraniens crient dans un mélange de joie et de crainte. La lune est pleine et haute ; le ciel est teinté de rouge, d'orange et de violet. Nous continuons notre périple dans le désert jusqu'à atteindre un lac autour duquel volettent de nombreuses hirondelles. Le soleil se couche et la température ne tarde pas à chuter.

Alors que l'obscurité s'annonce, nous descendons de voiture et allumons un feu au cœur du désert. Les filles détachent leurs cheveux. Elles se changent pour arborer des vêtements sans manches. De l'arak fait maison et des bières sans alcool sont servis dans des verres en plastique. L'ivresse commence à envahir certains d'entre nous.

Sara et Reza sont en couple. Ils sont enthousiasmés à l'idée de me parler de leur pays.

« Mon père n'acceptera jamais que j'aie un copain, m'avoue Sara. J'ai rencontré Reza grâce à une amie. C'est son cousin et j'ai pu le croiser lors d'un repas de famille. Il est très difficile de "rencontrer" des gens en Iran. »

Ils sont tous les deux passionnés par l'histoire perse et sont fiers du maintien de cette culture au cours des siècles, malgré les soubresauts politiques qu'a connus le pays. Ils ne sont pourtant pas satisfaits de la tournure prise par l'État iranien depuis quelques décennies. Sara méprise le traitement réservé aux femmes, obligées de porter le voile.

Publicité

Reza évoque les deux années de service militaire, obligatoire pour les jeunes hommes iraniens après leurs 18 ans. « Tout le monde veut y échapper. Moi, je suis malade. Du moins, demande à mon docteur, il te le dira. » Il se cogne la tête avec la main, signifiant par là qu'il a réussi à se faire réformer pour maladie mentale. Il me montre des cicatrices présentes sur son avant-bras, qui font partie intégrante de son invention.

« Nous voulons quitter l'Iran et aller en Europe ou en Amérique, me dit Sara. Seuls les conservateurs ont un avenir dans ce pays. »

Reza acquiesce. « Nous voudrions voyager mais aucun pays ne souhaite octroyer un visa à un Iranien, précise-t-il. Tout le monde sait que nous ne rentrerons jamais chez nous. »

Ce n'est pas la première fois que je suis témoin d'un tel discours. Beaucoup d'Iraniens ont évoqué avec moi leur désir de s'expatrier. Sara et Reza étudient l'ingénierie et l'allemand dans l'espoir que leur éducation leur donnera la possibilité de partir à l'étranger.

Après quelques minutes, des lumières de phare émergent de l'obscurité. Je suis convaincu qu'il s'agit de la police religieuse. En fin de compte, ce sont d'autres fêtards. L'une des voitures possède un système stéréo puissant. Nous dansons sur des versions électroniques de chansons iraniennes traditionnelles. La plupart des gens n'ont pas l'habitude de boire ; il leur en faut peu pour être complètement ivres.

Alors que la soirée touche à sa fin, nous nous asseyons autour du feu de camp et buvons du café. Reza a la tête posée sur les genoux de Sara, qui lui caresse les cheveux. Il est évident que les Iraniens trouveront toujours des solutions pour contourner les lois et les traditions qui les empêchent d'être heureux.

On m'embrasse dans le cou et on me prend dans les bras. Tout le monde est satisfait d'être libre, dans le désert, loin d'une société opprimante. Je pense aux risques que ces jeunes iraniens prennent pour passer une simple soirée ensemble, et en quoi cela doit les pousser à apprécier encore plus les petits rien du quotidien.

Les illustrations sont de Michael Dockerty.