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littérature

Faïza Guène : ne l'appelez plus la « Sagan des banlieues »

« Pourquoi on s’attend à ce que je cite des morceaux de hip-hop et pas ABBA ou Gun’s & Roses ? »
Illustration : Vice Staff

Elle n’avait que 18 quand on lui a collé l’étiquette de « Sagan des banlieues ». Tout comme Françoise Sagan, dont le premier texte, Bonjour tristesse, publié à sa sortie du lycée, avait défrayé la chronique, Faïza Guène a vendu 400 000 exemplaires de Kiffe kiffe demain quand elle était étudiante. Mais le surnom l’a vite étouffé : « On cherchait à définir ma littérature par un territoire, ou une couleur de peau. Comme si j’écrivais intégralement en verlan… Alors que la littérature doit échapper à tout ça », explique-t-elle aujourd’hui. Cheveux tirés en queue-de-cheval, pull bleu uni, Faïza Guène, 32 ans, ne ressemble pas vraiment à un Joey Star littéraire. D’ailleurs, dans son nouveau roman, Millenium Blues, on ne sait jamais vraiment si l’on est en banlieue ou dans les quartiers périphériques de la capitale. On est quelque part entre Pantin et la Place des Fêtes, entre Malakoff et la porte de Vanves… « Je ne voulais pas marquer un territoire. Je voulais qu’on porte l’attention sur autre chose que sur cette étiquette d’écrivain de la banlieue qui m’a été accolée pour mes précédents romans. Après, si certains ont besoin de mettre les gens dans des cases, je n’y peux rien ».

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Millénium Blues est la chronique d’une génération qui a grandi entre la Coupe du monde 1998 et les attentats du Bataclan. Son titre fait référence à un forfait lancé par un opérateur de téléphonie mobile, à la fin du siècle dernier. « Le monde a changé à partir du forfait Millénium. Désormais, on se parlerait sans limites. On pourrait se dire autre chose que l’essentiel. La jeunesse devenait Millénium, le monde, sous nos yeux, était en train de devenir Millénium. J’ai le Millénium Blues. Vous l’avez aussi ? Est-ce qu’on en guérira un jour ? » écrit-elle, page 46. Elle observe : « il y avait quelque chose de poétique à l’idée de parler sans limite. Quand on change d’époque, la première chose qui change, c’est la communication ». Et la couverture du roman reprend le fil des casques d’iPod, symbole des 2000. Une autre nouveauté révolutionnaire déjà remisée au magasin des accessoires obsolètes…

« Pendant 5 ou 6 ans, j’ai vécu de ma plume. Après, il y a eu des années moins faciles… »

Zouzou, la narratrice, se souvient de Youri Djorkaeff, l’avant-centre de l’équipe de France championne du monde, mais aussi du 11 septembre 2001, de Le Pen au deuxième tour de la présidentielle en avril 2002… Et ce sont toutes ces années 2000 qui défilent : la meilleure amie « dans son Levi’s 501, ses Buffalo à plateforme et son bombers Schott bleu marine ». En fond sonore, la BO d’une époque : Demain, c’est loin, d’IAM, Nirvana, de Doc Gyneco ou Pas de temps pour les regrets, de Lunatic. Mais il est aussi question de Gun’s & Roses ou du groupe de disco suédois ABBA. On est surpris par cette référence, venue d’un autre âge : « Et alors ? Pourquoi on s’attend à ce que je cite des morceaux de hip-hop et pas du ABBA ou du Gun’s & Roses ? On peut avoir une multiplicité de références. Elles sont liées à ma génération. » Avant de revenir à son credo : « Je me reconnais d’avantage dans une époque que dans un territoire, un groupe social ou ethnique. »

« Le roman c’est du divertissement, on ne fait pas de la chirurgie cardiaque. »

Elle dit cela avec douceur, mais beaucoup de conviction. Clairement, une grande sagesse se dégage de la jeune femme qu’elle est devenue. Celle de quelqu’un qui a connu le succès - Kiffe Kiffe demain a été traduit dans 26 pays – et aussi de celle qui connu l’après : « ce sont les attentes des autres qui sont difficiles à gérer. Pendant 5 ou 6 ans, j’ai vécu de ma plume. Après, il y a eu des années moins faciles… Mais j’ai une vie familiale suffisamment structurante pour garder la tête sur les épaules ». Ses trois romans suivants - Du rêve pour les oufs, Les gens du Balto, Un homme, ça ne pleure pas - se sont vendus à 30 000 exemplaires chacun, ce qui est très honorable. Elle glisse : « Je travaille, je continue, il n’y a pas d’acquis. » Mais des « surprises » souvent, comme le démontre la liste, en forme d’inventaire à la Prévert, des pays qui continuent de la suivre : la Norvège, la Suède, l’Angleterre, Taïwan…

En vraie sage, elle conclut : « J’écris quand je vais bien. Ça ne m’est pas indispensable, mais nécessaire. Je pourrais vivre sans écrire. Les romanciers se prennent très au sérieux mais le roman c’est du divertissement, on ne fait pas de la chirurgie cardiaque. »

Millénium blues, Faïza Guène, Fayard, 234 pages.