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Vers la légalisation de la MDMA thérapeutique

L'utilisation de la MDMA dans le traitement du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) pourrait bientôt être autorisée au Canada.

L'utilisation de la MDMA dans le traitement du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) pourrait bientôt être autorisée au Canada. Montréal a été choisie comme site de recherche pour des essais cliniques de phase trois sur la psychothérapie assistée avec la drogue, selon l'Association multidisciplinaire des recherches psychédéliques (MAPS), qui chapeaute l'étude. L'ultime étape qui pourrait mener à la légalisation de la MDMA dans un contexte médical.

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« Nous allons avoir deux sites de recherche au Canada, indique le directeur des communications de la MAPS, Brad Burge. Celui de Montréal sera dirigé par le Dr Simon Amar. Mais nous ne pouvons toujours pas confirmer qui sera à la tête de celui de Vancouver. »

VICE a appris que les travaux pourraient être lancés aussi tôt que d'ici la fin de l'année ou le début de 2018. MAPS Canada nous indique avoir en mains une lettre de Santé Canada mentionnant qu'elle ne s'objectera pas à cette nouvelle recherche. L'agence refuse toutefois de nous confirmer cette information, puisque des pourparlers ont toujours lieu.

Cette nouvelle étude à grande échelle vise à confirmer les conclusions de la phase deux, menée à Vancouver, qui a débuté en 2013 sous la direction de la Dre Ingrid Pacey, du Centre de recherche sur les dépendances de la Colombie-Britannique, aujourd'hui retraitée. En tout, une centaine de personnes souffrant de SSPT ont pris part aux essais cliniques dirigés par la MAPS, qui ont eu lieu au Canada, aux États-Unis, en Israël, en Espagne et en Suisse. En Colombie-Britannique, six patients ont donc ingéré 125 milligrammes de MDMA ou un placebo pour ensuite participer à une psychothérapie de huit heures. Ils ont répété l'expérience une autre fois, mais cette fois, tous n'ont pris que l'amphétamine.*

L'étude de Montréal, la phase trois, est donc une dernière étape pour éventuellement prescrire de la MDMA aux patients souffrant de SSPT.

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Le spectre du Projet MKUltra

La MAPS, un organisme à but non lucratif basé en Californie qui milite pour plus d'accès aux drogues psychédéliques et au cannabis, autant sur un plan récréatif que thérapeutique, aurait souhaité qu'elle ait lieu à McGill, mais la direction de l'université aurait refusé. Elle aura donc lieu dans la clinique privée du Dr Amar.

L'institution a un caractère symbolique dans l'histoire des études psychédéliques. Entre 1956 et 1963, le docteur Ewen Cameron a effectué des traitements de « déprogrammation » au Allan Memorial Institute de Montréal, qui abrite le département de psychiatrie de l'hôpital et du Centre universitaire de santé McGill. Il utilisait notamment du LSD et des électrochocs pour l'élaboration de techniques de lavage de cerveau. Les patients étaient soumis à de longues périodes de sommeil provoqué durant lesquelles ils devaient écouter des bandes sonores à répétition.

En pleine guerre froide, la CIA a financé ces recherches qui faisaient partie du projet MKUltra. Ce n'est qu'en 1992 que le gouvernement canadien a consenti à dédommager certaines des victimes du docteur Cameron. CBC révélait hier qu'Ottawa a récemment accepté de verser 100 000 $ à la fille d'une femme qui a subi les expériences de lavage de cerveau du docteur Cameron, 60 ans plus tard.

Selon le fondateur de la MAPS, Rick Doblin, un militant de longue date en faveur de l'utilisation des psychédéliques dans un contexte médical, l'histoire du Allan Memorial Institute a été un traumatisme pour tout le milieu médical.

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« C'est la raison qui explique qu'il n'y a pas eu de recherches en ce sens à Montréal depuis 1963, dit-il. La ville est très symbolique puisque c'est à McGill qu'ont eu lieu les pires pratiques de la CIA avec les drogues psychédéliques. Réussir à faire cette étude avec la MDMA à Montréal contribue à une "renaissance" de cette branche de la médecine. »

La phase deux a été un franc succès

VICE a aussi appris que le 4 octobre dernier, Santé Canada a approuvé les résultats de la deuxième phase d'essais cliniques sur la psychothérapie assistée avec la drogue, qui ont eu lieu à Vancouver.

Ces données, qui devraient bientôt être rendues publiques par Santé Canada, sont impressionnantes. « Nos traitements du SSPT ont été efficaces à 66 % en trois mois, dit le directeur général de MAPS Canada, Mark Haden, qui est aussi professeur associé à la UBC School of Population and Public Health. Les traitements traditionnels pour le SSPT sont relativement inefficaces, soit de 10 à 25 % de succès selon les études, et ils s'étalent sur des années. »

Si la MAPS se réjouit de l'approbation des résultats par Santé Canada, la grande priorité est aujourd'hui de pouvoir lancer la phase trois au Canada.

« Nous discutons avec Santé Canada, et ça va très bien, ajoute M. Haden. À terme, on veut pouvoir prescrire de la MDMA à certains patients dans le cadre de psychothérapies. »

Les traitements à la MDMA sont aussi à l'étude aux États-Unis

Au mois d'août, la Food and Drug Administration, l'organisme américain qui approuve les médicaments, a qualifié la méthode de « thérapie novatrice » et a donné son aval à deux études de phase trois, si la MAPS est en mesure réunir les fonds nécessaires, soit environ 25 millions de dollars américains. Presque tout le financement de l'association provient de dons du public. Cette recherche pourrait être lancée dès ce printemps et se poursuivre jusqu'en 2021.

Du côté canadien, il reste quelques étapes à franchir avant de mener cette ultime phase de la recherche. « La section 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances permet des exemptions pour la recherche, et c'est ce qu'on demande au gouvernement, dit Mark Haden. Et nous avons besoin d'un permis pour importer la MDMA. Nous devons aussi installer une voûte où l'entreposer, qui devra être inspectée par Santé Canada. Il reste beaucoup de choses à faire. »

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MAPS Canada a d'ailleurs lancé une pétition le mois dernier demandant à la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, de reconnaître que « la recherche sur les substances psychédéliques [dont la MDMA ] génère de nouveaux traitements efficaces ». L'organisme veut qu'elle s'engage à verser un important financement pour les projets de recherche.

Du médical au récréatif

Il existe aujourd'hui une communauté marginale qui utilise la MDMA dans des thérapies « maison » (voir la vidéo), qui peuvent avoir un certain succès selon Mark Haden. Mais l'utilisation de l'ecstasy de rue dans un cadre récréatif n'est pas thérapeutique. « Les critères pour participer à nos études sont très stricts, dit-il. On travaille avec des gens qui ont de sérieux problèmes et qui vivent un choc post-traumatique chronique depuis des années. »

La MDMA, pour 3,4-méthylènedioxy-méthamphétamine, est un empathogène, ce qui veut dire qu'elle génère de l'empathie et de la confiance chez ses utilisateurs. La drogue réduit l'activité dans l'amygdale, la partie du cerveau qui traite la peur. Elle stimule aussi la production d'ocytocine et de prolactine, des hormones qui rendent les gens plus aimants, paisibles et connectés. Elles sont relâchées naturellement lors d'un accouchement, ou pendant l'orgasme, notamment.

« Lorsqu'une personne vit un choc post-traumatique, elle ne peut contrôler les images qui lui viennent en rêve, explique le fondateur de la MAPS, Rick Doblin. Tous les jours, la personne voit des choses qui lui rappellent des événements traumatisants. Sous l'effet de la MDMA, le patient peut donc plus facilement repasser ses souvenirs et séparer le passé du présent. C'est grâce à la reconsolidation des souvenirs dans un contexte de sécurité que les gens sont capables de se détacher de leurs peurs. »

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Rick Doblin a découvert les propriétés de la MDMA en 1982, alors qu'elle était toujours légale. À cette époque, elle était déjà utilisée dans un cadre médical. Mais la substance, qu'on appelle aussi ecstasy, était aussi consommée dans un contexte récréatif. Elle a été interdite en 1985, dans la foulée de la guerre contre la drogue du président Ronald Reagan aux États-Unis.

M. Doblin admet que son combat pour l'approche thérapeutique en cache un autre visant à légaliser la MDMA dans un cadre récréatif.

« Notre stratégie est de terminer la guerre contre la drogue et de bâtir une société plus en santé, dit-il. Nous reconnaissons que la médicalisation de la drogue est un premier pas vers la légalisation complète. Comme avec le cannabis, en faisant de la recherche médicale, on démontre au public que les drogues sont moins dangereuses que ce que toute la propagande a pu nous faire croire. »

Suivez Simon Coutu sur Twitter.

*Une version précédente de l'article était imprécise quant à la méthodologie empruntée par les chercheurs en Colombie-Britannique. Celle-ci a été révisée.