Daniel David Tibi prisonnier Equateur

Crime

Comment se sortir d'une prison à l'autre bout du monde ?

Incarcéré en Équateur pour une fantaisiste histoire de trafic de drogues, le Français Daniel David Tibi a passé près de trois ans à clamer son innocence – tout en essayant de rester en vie.
Pierre Longeray
Paris, FR

Chaque jour en se levant, de sombres souvenirs qui datent de plus de 20 ans viennent embrumer l’esprit de Daniel David Tibi. L’enfermement, la crasse, les cadavres qui traînent, les bagarres, les tortures… Tout cela vient immanquablement encombrer les pensées de l’ancien négociant en pierres précieuses, enfermé en septembre 1995 dans la pire prison d’Équateur, celle de Guayaquil, pour une fantaisiste histoire de trafic de stups. Pendant près de 900 jours et 900 nuits, le Français va essayer d’y réaliser deux choses peu aisées : rester en vie, puis prouver son innocence pour se sortir de cet immonde cloaque.

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Deux décennies plus tard, Tibi est assis dans un café près de la gare Montparnasse, L’Atlantique, un océan qu’il a retraversé l’année dernière pour aller se porter partie civile auprès de l’État équatorien, enfin décidé à punir les juges, matons et policiers responsables du calvaire du Français. Un chapeau sur la tête, les traits creusés par un cancer qu’il combat depuis plus d’un an, Tibi a les yeux d’un homme qui en a vu d’autres. Il aimerait pouvoir enfin tourner cette page de sa vie, ouverte contre son gré et qui lui a coûté ses relations familiales et professionnelles. Aujourd’hui jeune sexagénaire, Tibi reprend seulement contact avec ses enfants – dont sa fille, née pendant sa détention à Guayaquil.

À l’occasion de la sortie de son bouquin, Dans l’enfer d’une prison équatorienne, on est allé lui demandé comment il avait fait pour se sortir de cette taule paumée au milieu de l’Amérique latine.

« J'ai commencé à étudier le Code pénal équatorien, la loi sur les stups, ce qui me permettait de faire avancer mon dossier en présentant des recours auprès des instances supérieures »

VICE : Comment fait-on pour survivre dans cette prison, où les problèmes semblent se régler uniquement par les meurtres ou la corruption ?
Daniel David Tibi : Ce qui m’a sauvé la vie, c’est sans doute ma profonde aversion pour l’injustice, qui a agi comme un moteur. Puis je savais que j’allais être papa. Je me disais que j’allais me sortir de là pour remplir mon rôle de père. Enfin, ça, c’est bien pour tenir bon dans la tête. Après pour rester en vie, il faut modifier complètement sa façon d’analyser les choses et de se comporter. Vos échanges se font avec des gens pour qui la vie ne vaut rien. Il faut donc agir en conséquence. Quand on vous provoque, il faut se battre, au sens propre du mot. D’autant plus qu'en tant qu'étranger, c’est comme si j’avais une cible dans le dos. L’espérance de vie d’un prisonnier équatorien n’est pas grande, mais celle d’un étranger est encore moindre.

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N’y a-t-il pas un moment où vous avez eu envie de lâcher, de vous laisser mourir ?
Il y a eu plusieurs moments où j’ai perdu la niaque, parce que physiquement j’étais vraiment très affaibli. J’avais perdu beaucoup de poids. J’ai eu plus d’une fois la sensation que j’arrivais au bout de mes ressources. Et qu’il se pouvait du jour au lendemain que je ne sois plus en mesure d’assurer ma sécurité. Dans cette prison, je me suis vu mourir. J’ai aussi été torturé plusieurs fois. J’étais à l’article de la mort. On m’a fracassé le visage, on m’a brûlé au fer rouge. Mais le point le plus bas est sans doute quand ma compagne a quitté l’Équateur avec les enfants pour rentrer en France. À ce moment-là, j’étais vraiment seul face au reste du monde.

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Daniel David Tibi se fait une injection de morphine dans la prison.

À quoi ressemblaient vos journées en prison ?
J’essayais de m’occuper. Je faisais de la menuiserie, je dessinais, je réparais des objets de toute sorte, j’ai même construit une guitare. Puis j'ai commencé à étudier le Code pénal équatorien, la loi sur les stups, ce qui me permettait de faire avancer mon dossier en présentant des recours auprès des instances supérieures. En montant au créneau contre le juge qui m’avait placé en prison, j’ai obtenu petit à petit le respect des autres prisonniers, et donc un semblant de sécurité. J’essayais de leur expliquer que je voulais certes me sortir de là, mais aussi dénoncer les conditions dans lesquelles on était tous. Je voulais leur montrer qu’on était dans la même galère. J’ai alors commencé à recevoir de l’aide des familles d’autres détenus, puis des détenus eux-mêmes.

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« On m’a offert plusieurs fois la possibilité d’organiser mon évasion contre une certaine somme d’argent, mais j’ai toujours décliné. Je tenais absolument à sortir de cette histoire blanchi »

Vous mettiez la pression au juge depuis votre cellule ?
Les journalistes équatoriens ont rapidement commencé à relayer la joute médiatique à laquelle on se livrait avec le juge. À force de travailler sur mon dossier, et d’étudier le droit équatorien, je l’attaquais sur ses incohérences et mensonges, qui étaient nombreux. Je le prenais donc souvent à défaut, parce que mon dossier était vide, il n’avait rien contre moi. Puis un journaliste français du Monde, Alain Abellard, a été le premier en France à parler de moi et décrier l’incurie du système judiciaire équatorien qui se permettait de détenir un ressortissant français sans aucun chef d’accusation, sans preuve… Puis la diplomatie française a pris le relais, notamment en coupant les relations diplomatiques jusqu’à ce que je sois libéré.

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Daniel David Tibi et sa fille venue lui rendre visite en détention.

Il n’y a pas un moment où vous perdez patience ?
J’aurais très bien pu organiser une évasion. Ce n’était pas compliqué. Cela coûtait de l’argent, mais cela pouvait se mettre en place assez facilement. Les évasions dans les prisons équatoriennes étaient fréquentes. On m’a offert plusieurs fois la possibilité d’organiser mon évasion contre une certaine somme d’argent, mais j’ai toujours décliné. Je tenais absolument à sortir de cette histoire blanchi, même si je savais pertinemment que cela allait prendre plus de temps.

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Vous vous souvenez du jour de votre libération ?
C’était un grand moment. Un jour, le consul de France est venu me demander de faire ma valise, qu’on allait sortir sur le champ. J’y croyais qu’à moitié et je redoutais cette sortie. Je m’étais tellement habitué à vivre dans ce climat complètement ubuesque. Je me disais « Je vais sortir et qu’est-ce que je vais faire ? » Ma famille n’était plus là, tout ce que je possédais était en Équateur. J'allais devoir recommencer à vivre selon un code que je ne maîtrisais plus du tout. Bref, je me résous à sortir de la prison, et là je tombe sur les journalistes qui étaient venus m’accueillir. Ils m’ont alors demandé « Alors, qu’est-ce que vous allez faire ? » J’ai expliqué que j’allais récupérer mes possessions – mes biens, mes terrains… – avant de quitter de ce pays. Mais le directeur de la prison m’a alors répondu que ce n’était pas possible dans l’immédiat, à cause « de procédures à suivre ». La moutarde m’est montée au nez et je lui ai mis un coup. Je me suis alors retrouvé en détention pendant quelques heures, avant de pouvoir quitter le pays.

Comment fait-on pour se défaire du comportement que vous avez dû adopter en prison ?
Il faut se reconstruire. D’abord physiquement, parce que j’avais beaucoup morflé en prison. On m’avait fracassé la moitié du visage à coups de batte de baseball. J’avais la moitié du visage enfoncée, un œil qui était descendu, le plancher de l’orbite qui était affaissé. J’avais les dents cassées, on m’avait brûlé au fer rouge. J’avais des trous dans les parois abdominales. J’avais aussi des problèmes neurologiques, qui ont mis du temps à disparaître. Les médecins étaient estomaqués de voir qu’on pouvait subir autant de sévices, mais apparemment j’ai une résistance hors norme. Puis, il faut redonner du sens à sa vie. Moi, je suis reparti dans le négoce de pierres précieuses, ce que je faisais avant mon incarcération.

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Des émeraudes de Daniel David Tibi, qu'il n'a jamais pu récupérer.

Pour redonner du sens à votre vie, vous avez aussi choisi d’attaquer l’État équatorien devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme – qui vous a donné raison – avant de vous porter partie civile aux côtés de l’Équateur qui attaque les responsables de vos galères…
Choisir ce chemin me permet de sortir par la grande porte, même si cela n’est pas facile. L’été dernier je suis retourné en Équateur pour le début de la procédure de l’État équatorien. Ce voyage m’a replongé d’une façon assez brutale dans le contexte dans lequel j’ai été il y a des années de ça. Cela m’a mis une gifle monumentale. Le fait de faire des reconstitutions, de revoir les gens qui faisaient partie de cette mésaventure… cela a été très fort en émotion. Puis, ce n’est pas forcément très prudent puisque je ne me suis pas fait que des amis là-bas avec ces procédures. Du coup pour mon retour dans le pays, je faisais partie d’un programme de protection des témoins avec une équipe de policiers spécialement détachés pour cette fonction. La corruption a atteint de telles proportions, que des gens se permettent tout. Ils peuvent agir en toute impunité tellement ils ont le bras long. C’est une réalité, on ne peut pas perdre ça de vue.

On pourrait se dire que vous ne devez rien à ce pays, qui vous a amené pas mal de soucis. Pourtant, vous avez vraiment envie que la situation judiciaire s’arrange là-bas.
Quand j’ai été libéré, j’ai promis à mes codétenus de les aider au moment où j’en aurai la possibilité. Je tiens absolument à tenir parole. Puis, on voit déjà des améliorations. Suite à ma victoire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les gardiens de prison équatoriens sont désormais formés en France. Je n’ai aucune haine contre ce pays, je veux simplement rétablir quelque chose que j’estime être important : la défense des droits de l’homme.

Dans l'enfer d'une prison équatorienne de Daniel David Tibi est disponible aux éditions Mareuil.

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