Avani Rai, 27 ans, me raconte sa visite au village d’Adkhara, dans le district de Shopian, dans le sud du Cachemire, il y a quelques mois. Elle évoque une maison incendiée dans l'une des zones les plus touchées par la violence dans cette région, où Lateef Tiger, un militant pro-pakistanais de l’organisation Hizbul Mujahideen, a été abattu par les forces de sécurité indiennes au mois de mai.Là-bas, elle a croisé une bande de garçons qui, en la voyant, ont commencé à lui expliquer, avec beaucoup d’enthousiasme, comment utiliser des armes et des munitions. « C’étaient des enfants âgés de sept à dix ans, qui comprenaient les armes, les explosions et la violence mieux que vous et moi à nos âges, dit-elle. Quand j’ai sorti mon appareil pour les prendre en photo, ils ont levé les mains et mimé des tirs en direction des impacts de balles dans le mur. Qui vont-ils devenir en grandissant ? »
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À travers ce souvenir, Rai évoque l’image forte d'une zone de conflit qui fait actuellement la une des journaux parce qu'elle a fait l’objet d’un manque de communication inédit depuis que le gouvernement indien a décidé de supprimer l'article 370 de la Constitution au début du mois d’août, révoquant ainsi le statut spécial et l'autonomie dont jouissait auparavant l'État. Selon divers rapports, les conséquences immédiates sont les couvre-feux, les restrictions de déplacements et des incidents violents.
Dans cette atmosphère, où les différents reportages diffèrent dans leurs récits (certains disent qu'il y a la paix, tandis que des organisations comme la BBC et Al Jazeera rapportent des heurts) et où les rumeurs abondent en raison du blocus des communications, le travail de Rai, qui est photographe depuis quatre ans maintenant, est très parlant. Le mois dernier, à l'occasion du Jour de l'indépendance – le 15 août–, l'artiste, qui fait la navette entre le Cachemire et Mumbai (elle passe environ huit mois au Cachemire chaque année), est à l'initiative d'une exposition intitulée Exhibit A à la Method Contemporary Gallery à Kala Ghoda, à Mumbai, afin de présenter son travail dans la région. L'exposition s'intéressait à « la douleur et à la souffrance d'un peuple dont les voix ont été étouffées, prises entre des frontières et des destins incertains ».
Le travail de Rai, que ce soit dans son exposition ou sur son Instagram (où elle documente fréquemment ses observations et ses visuels de la Vallée), est résilient, silencieux et poétique dans son exécution, et capture, principalement en monochromes, un autre récit de la région. Alors que nos écrans sont inondés d’images de conflit, sa perspective s'inspire fortement de la vie quotidienne des civils pris au milieu de ce siège. « J'ai l'impression que le Cachemire est tellement mal interprété et mal compris. Le conflit a été nationalisé et n'a pas été humanisé », explique Rai, qui est aussi la fille du photographe Raghu Rai, de l'agence Magnum, connu, entre autres, pour son travail pendant la catastrophe de Bhopal en 1984.
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En fait, Rai s’est rendue pour la première fois au Cachemire pour tourner un film sur son père. « Après ça, j'ai dû y retourner. Aujourd'hui, quand je dis aux gens que j'ai besoin de "rentrer", je parle du Cachemire, plutôt que de Mumbai, où je vis aussi. J'ai tellement voyagé au Cachemire que je connais sa géographie mieux qu’aucun autre endroit où j'ai grandi », dit-elle.
« Si les médias indiens et internationaux ne sont pas autorisés à se déplacer librement et à faire des reportages au Cachemire, c’est parce que nous ne voulons pas que cette "preuve" de notre histoire soit enregistrée. Mon travail est donc comme une preuve de la douleur que ces gens subissent », dit-elle. Alors que les reporters et photographes nationaux et internationaux continuent de faire des reportages sur le Cachemire, Rai montre comment les conflits finissent et se déroulent réellement : une personne à la fois.