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Food

La street food mexicaine qui se bouffe en attendant de passer la frontière

Dans une caisse surchauffée au milieu des embouteillages, on a claqué nos 300 derniers pesos en tamales, churros et aguas frescas.
Churros Frontière Mexicaine
© Rebecca Holland pour Munchies Fr

Le port d’entrée de San Ysidro, à la frontière entre Tijuana et San Diego, est l’un des passages frontaliers les plus fréquentés du monde. Chaque jour, 70 000 véhicules et 20 000 piétons l’empruntent en direction du nord. La traversée en voiture prend environ quatre heures et demie, ce qui est déjà assez pénible en soi, mais qui l’est bien plus encore quand il manque une vitre à votre caisse parce que quelqu’un l’a brisée pour voler vos effets personnels.

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On est donc assis dans la bagnole, sous le soleil brûlant de juillet qui cogne à travers ce qui aurait dû être une portière avec fenêtre. La température grimpe tellement qu’on est obligé d’arrêter la clim’ pour ne pas faire exploser la caisse. Du coup, on s’occupe comme on peut.

On se demande à quel point il va être difficile de traverser la frontière sans passeports, on pleure la perte de nos affaires, on sort se dégourdir les jambes, on jette un œil aux étrangetés que les gens vendent sur le bas-côté de la route – qui diable va acheter une énorme horloge en forme de tortue ? – et on se demande combien rapporterait la première levée de fonds d'une start-up de toilettes portables.

Pendant ce temps, des bacs de bouffe font leur apparition le long de la route. « Délicieux ! » clament les vendeurs, tout en se penchant pour aguicher avec des churros fumants. « Fruits frais ! Hyper frais ! » crient-ils en portant des plateaux entiers d'aguas frescas en train de fondre.

« On pourrait se faire tout un repas rien qu’en attendant de traverser la frontière », se dit-on. Et c’est exactement ce qu’on décide de faire.

« On pourrait se faire tout un repas rien qu’en attendant de traverser la frontière », se dit-on. Et c’est exactement ce qu’on décide de faire. Plutôt que de se plaindre des embouteillages et des affaires perdues, on choisit de dépenser nos derniers 300 pesos, soit environ 13,70 euros, dans ce qui s’avérera être l’une des meilleures expériences culinaires du voyage.

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On commence par des fruits parsemés de tajin – un mélange addictif de piment, de citron vert et de sel. Ce n’est pas très pratique à grailler sur le frein à main, mais c’est succulent, comme l’avait promis le vendeur. Le prix de ce rafraîchissement à la mangue, au melon vert, à la banane et à la papaye ? 100 pesos, soit 4,60 euros.

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Fruits frais. Toutes les photos sont de l'auteur.

Ensuite, on opte pour des chips de pomme de terre toutes fraîches, saupoudrées de sauce piquante et de citron vert, servies dans un sac en plastique bourré à craquer. Les chips sont chaudes, grasses et un peu molles. En un mot : excellentes. Pour seulement 35 pesos (1,60 euro), on est à deux doigts de commander quatre autres sacs.

La musique et les conversations des autres voitures résonnent. Les gens se penchent par la fenêtre pour tenter d’apercevoir la fin de la file. D’autres vont et viennent le long de la route, pour faire passer le temps. Je sors pour aller aux seules chiottes disponibles près de la frontière. Il y a tellement de monde hors des voitures qu’on se croirait à une fête de quartier. À pied, je mets seulement dix minutes pour parcourir la distance qui prend des heures en bagnole.

Les tamales sont difficiles à manger sans table, mais on tient fermement les sachets et on enfonce du mieux qu’on peut les fourchettes en plastique dans la masa.

De retour dans la caisse, on discute, on bouquine et on décide quel sera notre prochain plat : des tamales. Je m’approche du stand pour jeter un œil dans la grande cuve en métal. De la vapeur s’en dégage, et l’odeur de maïs et de piment prend vite le pas sur celle des pots d’échappement. J’hésite entre le poulet et le porc. Manifestement, je suis trop longue, parce que la femme qui s’occupe du stand commence à se moquer de moi. « Croyez-moi, prenez le poulet ! » me conseille-t-elle. J’en prends donc un au poulet et un autre au fromage - pour la forme.

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« C’est tous les jours comme ça ? » je lui demande en montrant la queue. « Tous les jours, dit-elle. C’est peut-être encore pire maintenant ! » Je lui demande si par « maintenant » elle entend depuis l’élection de Trump et elle acquiesce catégoriquement. « De très, très longues files, tous les jours ». Je la remercie et retourne à la voiture, qui a cessé de vibrer et semble un peu plus fraîche. Les tamales sont difficiles à manger sans table, mais on tient fermement les sachets et on enfonce du mieux qu’on peut les fourchettes en plastique dans la masa, dévorant allègrement chaque bouchée pimentée.

tamales

Tamales.

À ce moment-là, le choc causé par la perte de nos affaires, du maquillage aux soutiens-gorges – ce qui n’est pas pour déplaire aux trois hommes avec qui je voyage – jusqu’aux papiers d’identité et l’argent, commence à être digéré. Avec le seul téléphone qui n’a pas été volé, on a appelé les banques pour faire opposition sur nos CBs. On a appelé nos chefs pour les prévenir qu’on ne serait pas au bureau l’après-midi. On a porté plainte et on s’est souvenu de l’existence des assurances voyages pour les cartes de crédit. À ce stade, on est juste repu. La seule chose qui manque, c’est un dessert.

Puis, les choses bougent enfin. La file avance à toute allure – c’est l’impression que donne le fait de rouler à huit kilomètres heure sans s’arrêter une seule minute. « On n’a pas eu de churros ! » s’insurge un de mes accompagnateurs. Je sors en acheter. Ils sont mous et couverts de cannelle et de sucre. La voiture derrière nous se met à klaxonner, mécontente, comme si le fait d’attendre 10 secondes de plus allait changer quelque chose. La file s’arrête à nouveau ; on en profite pour manger. Les churros sont si bons. Ce sont vraiment les meilleurs que j’ai jamais mangés. En plus on distingue enfin la frontière au loin.

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Le sucre roux sur nos doigts et l’odeur des tamales dans la voiture permettent d’oublier nos éventuels regrets à propos du voyage et la perte de nos affaires.

Quelques minutes plus tard, un groupe d’hommes se fait arrêter. On leur demande de sortir de leur voiture. Il y a eu un hold-up et la police semble vouloir les arrêter. Les gens sont à la fois curieux et furieux. Ils sortent de leurs voitures et certains se mettent à prendre des photos de la scène. Un homme d’âge moyen qui conduit un camion à côté de nous hurle « Mettez-les tous en prison ! », puis se tourne vers nous et éclate de rire. On le regarde, un peu surpris, même si on ne devrait pas l’être. Après tout, il s’agit de la frontière qui sert d’outil politique au président Trump, qui affirme que « les murs, ça marche ».

Notre tour arrive. « Passeports », lance le douanier. « Eh bien… c’est le hic : on ne les a plus », lui dit-on tout en expliquant la situation. Il a l’air blasé, comme s’il avait entendu cette excuse une centaine de fois. Il cherche nos noms dans son système et nous libère, un processus beaucoup plus rapide que ce à quoi on s’attendait probablement parce qu’on est tous très blancs. « Vous ramenez quelque chose avec vous ? » demande-t-il, pas sarcastique pour un sou, avant de nous laisser passer.

On arrive sur l’Interstate 5 où l’on atteint rapidement la vitesse éclair de 112 km/h. Le lendemain, on s’occupera de la question de récupérer nos affaires, mais pour l’heure, le sucre roux sur nos doigts et l’odeur des tamales dans la voiture permettent d’oublier nos éventuels regrets à propos du voyage.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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