Le guide VICE des vins nature
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Les guides VICE

Le guide VICE des vins nature

Petite introduction non exhaustive à la révolution vinicole.

J’étais récemment invité à un dîner chez ma tante, à la toute dernière minute. N’ayant pas le temps de rentrer à la maison avant d’y aller afin de prendre un vin dans mon cellier, je suis passé à la SAQ pour y acheter une bouteille de l’Iconoclaste, du domaine Fouassier. Ma tante est, comme toute bonne tante, friande du p’tit verre de vino occasionnel, mais elle m’a regardé bizarrement lorsque je suis arrivé avec cette bouteille-là à la main. Mais, servi frais, avec divers saucisses et légumes grillés, il convenait parfaitement. « Il est bon, ton vin! » s’est-elle d’ailleurs étonnée. « On s’y attendrait pas, avec la bouteille weird pis la couleur pâle. Mais on dirait qu’il y a des mottons dedans. »

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Pour probablement la cinquième fois cette semaine-là, j’ai dû expliquer que le vin qu’on buvait était un vin dit « nature », et ce que ça veut dire.

Certes, je vis dans une espèce de bulle où à peu près tout le monde connaît le vin nature. J’en bois presque tous les jours et je me tiens surtout avec des gens qui en consomment également. Mais je rencontre constamment des personnes qui n’ont absolument aucune idée de ce que c’est. Et, bien que j’y aie souvent fait référence dans d’autres articles, je me suis rendu compte que je n’avais jamais pris le temps d’écrire sur ce qu’est le vin nature.

Un mouvement, un culte ou une mode?

Il faut en premier lieu préciser que la vraie difficulté quand on parle du vin nature, c’est que c’est un peu comme le punk. Tout le monde sait ce que c’est, mais pas nécessairement ce que ça veut dire. La définition claire du vin nature n’existe toujours pas, et c’est une grande source de tension, même à l’intérieur de la communauté du vin.

En bref, il s’agit de vin sans intrants ni produits chimiques. Tu prends tes raisins, tu les écrases et tu les laisses devenir ce qu’ils veulent devenir. That’s it.

Mais en réalité, ça implique beaucoup plus que ça. Idéalement, les raisins devraient avoir été cultivés sans pesticides, le vin ne devrait pas être filtré et rien ne devrait y être ajouté ou enlevé. Ça peut sembler radical, mais c’est en fait un retour vers une méthode traditionnelle de faire du vin qui vise, avant tout, à faire un vin agréable à boire et qui reflète l’expression du fruit et du terroir le plus fidèlement possible. On parle ici d’une éthique d’intervention minimale.

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Le vin nature est accusé par ses détracteurs d’être un culte ou une mode, mais pour les adeptes, c’est plutôt une philosophie.

La guerre contre le conventionnel

Tout comme le punk, le vin nature est avant tout réactionnaire. L’éthos de base n’est pas très différent du mouvement de la bouffe bio : les gens veulent savoir ce qu’ils consomment et tentent du mieux qu’ils le peuvent de ne pas ingérer de la merde.

La révolution a été lancée dans les années 80, dans le Beaujolais, lorsque le chimiste et œnologue Jules Chauvet a rencontré Marcel Lapierre. Sous les conseils de Chauvet, Lapierre commence à élaborer un vin de plus en plus épuré, traditionnel et naturel. Tranquillement, d’autres vignerons du beaujolais et amis de Lapierre, Guy Breton, Jean Foillard et Jean-Paul Thévenet, adoptent la même philosophie. Pas seulement par souci de faire attention à ce qu’ils boivent, mais surtout, comme le rapporte Alice Feiring, car ils se sont rendu compte que le vin nature ne donnait presque pas la gueule de bois. Ces vignerons, qui étaient buveurs avant tout, pouvaient donc picoler toute la nuit sans trop de conséquences le lendemain. Lapierre, Breton, Foillard et Thévenet ont ainsi lancé un mouvement, et ont été surnommés par l’importateur et critique américain Kermit Lynch le « Gang of Four ».

Si on parle de vin nature, plutôt que de vin naturel, c’est parce qu’étant (dans le meilleur des cas) du jus de raisin, le vin est toujours naturel. C’est comme avec les chips. Il y a un million d’assaisonnements possibles, mais les chips nature, ce sont des pommes de terre avec sel. C’est une expression à peu près pure du produit transformé.

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Le vin conventionnel, quant à lui, n’est pas exactement ce à quoi peuvent s’attendre les gens. Des pesticides utilisés dans les vignes qui peuvent rendre presque stérile le terroir et tuer tout le micro-habitat aux ajouts de produits chimiques qui permettent de changer la texture, la couleur et le goût du vin et assurer sa stabilité lors du transport, des milliers de produits chimiques sont autorisés dans la fabrication du vin dans votre verre. Comme avec des chips all-dressed, on est bien loin de la saveur de base de la pomme de terre. Essentiellement, tout cela est fait dans un effort d’uniformité : que la récolte soit bonne ou mauvaise, le produit aura toujours à peu près le même goût, année après année. Et encore, on parle ici d’un vin de qualité moyenne vendu à la SAQ. Croyez-moi, vous ne voulez vraiment pas savoir comment est fait votre vin de dépanneur.

Quelle est la différence avec le vin bio?

Beaucoup de gens ont été induits en erreur et pensent que le vin biologique, c’est la même chose que le vin nature. Pourtant, la différence est assez grande. Les vins bios sont élaborés de la même manière que les vins conventionnels, le procédé est à peu près le même. Ce qui les distingue, c’est que les raisins sont le fruit d’une agriculture biologique. Les vignerons bios peuvent donc irriguer leur terre, utiliser des pesticides et produits certifiés bio, cueillir les fruits mécaniquement et y ajouter des intrants comme des tanins ou des acides. Aux États-Unis, on compte près de 300 ajouts possibles dans les vins bios. C’est un peu comme si on disait d’un Big Mac qu’il est bio parce que la laitue dedans est cultivée biologiquement.

Donc, un vin nature est un vin bio, mais le contraire n’est pas vrai. Au très strict minimum, les raisins d’un vin nature doivent être issus d’une culture biologique (la plupart du temps, les vignerons nature travaillent en biodynamie). Par contre, dans les vignes, aucun produit chimique, aucun pesticide et surtout pas d’irrigation. On s’organise avec ce que nous donne la terre et la nature, sans tenter de les manipuler ou de les changer.

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Le plus grand problème des vins nature en ce moment, c’est qu’il n’y a pas nécessairement de définition claire de ce que ça devrait être, et mis à part quelques organismes de certification, il n’y a aucune agence gouvernementale qui régit et vérifie les vins nature et la manière dont ils sont faits. Cela amène plusieurs de ses détracteurs à dire que le vin nature, ça ne veut rien dire. Beaucoup y voient aussi une régression, un mouvement de hippies qui ne demandent qu’à courir pieds nus dans les champs (ils n’ont pas forcément tort sur ce point-là).

Il est vrai que beaucoup d’avancées technologiques ont aidé à la stabilisation, la constance et la conservation du vin. Mais les adeptes du vin nature sont d’avis que le strict minimum en matière d’intervention donne le meilleur résultat. Comme dans tout mouvement, on en arrive parfois à des cultes de personnalité, et certains vins sont populaires davantage pour leur histoire que pour leur goût.

Personnellement, j’ai été éduqué de manière classique dans le vin. Malgré mon amour pour le vin nature, je garde dans mon cœur une tendresse pour les grands crus de Bourgogne et les châteaux bordelais. Je suis donc d’avis que les deux devraient pouvoir coexister. De la même manière qu’il est possible d’aller à l’opéra en semaine et de se défoncer dans un rave dans les bois le week-end, il n’est pas anormal de militer pour un vin plus pur tout en restant fan des classiques.

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La bonne nouvelle, c’est que de plus en plus de grands vignobles se tournent vers une agriculture biodynamique et reviennent aux vendanges à la main. Les plus aventureux ont même effectué un retour vers un labourage avec des ânes et des chevaux.

Ça a quel goût?

La critique la plus courante des vins nature faite par les incultes, c’est que, comme on n’a pas recours au soufre ou aux intrants chimiques, le vin est, au final, bourré de fautes. Et c’est vrai que plusieurs vins nature souffrent de fautes majeures. Notamment, des bactéries peuvent changer le goût du jus. Cela peut causer une surabondance d’acidité volatile, qui peut faire que le vin sent le vinaigre. Une levure naturelle qu’on appelle communément le Brett peut conférer au vin un côté animal, d’une odeur de cuir à celle de la ferme. D’autres bactéries peuvent aussi donner un « goût de souris ». Mais pour beaucoup d’amateurs, ces fautes, lorsqu’elles sont dosées et contrôlées, ajoutent une couche de saveur qui donne au vin un charme et une particularité reflétant l’environnement dans lequel a été élevé le fruit. C’est d’ailleurs le côté funky que recherchent beaucoup de gens dans un vin nature. Il faut aussi savoir que ces fautes se retrouvent surtout dans les vins jeunes, et qu’avec le temps, un vin bien construit perdra ces arômes.

Quant à moi, en tant qu’acteur dans le milieu, je tente de mon mieux de juger les vins nature de la même manière que je juge les vins conventionnels. Ils doivent avoir du caractère, refléter le cépage, montrer l’expertise du vigneron et surtout déclencher une émotion. Il n’y a rien de pire qu’un vin qui ne provoque rien chez le buveur. Dans le meilleur des cas, le vin doit créer une expérience pour les gens qui le boivent. Dans le pire des cas, un vin est insignifiant et on ne s’en souvient plus quelques jours plus tard.

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On trouve ça où?

Trouver des vins nature au Québec reste ardu, mais on a fait beaucoup de progrès. La SAQ ne présente que huit de ses produits comme étant nature. Il faut toutefois mentionner que la société d’État adhère à une définition très stricte du vin nature. En vérité, bon nombre (quoique pas une tonne) des vins en succursales pourraient profiter de cette dénomination. Il faut savoir que ces vins n’ont pas non plus le sceau biologique à la SAQ, car beaucoup de vignerons nature n’ont pas de certification bio (souvent par souci financier, mais aussi, parce qu’ils n’en voient pas l’intérêt).

Le moyen le plus simple de boire ces vins au Québec, c’est de les commander au resto. Un nombre grandissant de restaurants et bars à vin de la province convertissent leur carte des vins au vin nature. Demandez simplement au sommelier de vous conseiller, et surtout laissez-vous guider par son expertise.

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Les agences d’importation privée sont aussi une bonne référence. Plusieurs agences québécoises comme la QV, Œnopole, Glou, Les Deux Caves ou encore Les importations du Moine se spécialisent dans l’importation de vins d’artisans, nature et à intervention minimale. Vous pouvez soit commander ce que voulez directement auprès d’eux, soit repérer leur logo sur les bouteilles qu’ils vendent à la SAQ. N’hésitez pas à leur poser toutes vos questions, ces gens-là sont des passionnés qui travaillent très fort pour promouvoir un vin vivant, souvent sans faire beaucoup d’argent.

Pourquoi je devrais en boire?

En fait, le vrai but de choisir un vin nature, c’est de partager un moment avec ceux qu’on aime autour d’une bonne bouteille, mais avec, avant tout, un produit accessible. La plupart du temps, ces vins ne sont pas très chers (quoiqu’ils peuvent le devenir une fois arrivés ici, à cause des fortes taxes qu’impose la SAQ, mais ça, c’est une autre histoire), ils sont simples et agréables à boire et, surtout, vos hangovers du lendemain seront bien moins pénibles.

On vit à une ère où la Terre se porte très mal, d’un point de vue écologique. Ce qu’on consomme est bourré de produits chimiques imprononçables et nous avons largement perdu notre connexion avec ce qu'on mange et ce qu'on boit. Le vin nature est un bon moyen de découvrir des artisans passionnés et de rétablir son lien avec la nature tout en se faisant plaisir, sans honte.

Billy Eff est sur internet ici et .