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Food

« J’ai servi une quiche lorraine à Denis Podalydès tous les soirs pendant 7 semaines »

Le quotidien d'un restau de théâtre – raconté par le gérant du bar du Vieux Colombier.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Le bar du théâtre du Vieux Colombier.

Qui s'est déjà tapé une tragédie en cinq actes au théâtre sait à quel point la question de l'alimentation peut devenir un casse-tête. Faut-il manger avant le spectacle ? C'est prendre le risque d'arriver à la bourre. Pendant l'entracte ? C'est une solution mais il faut accepter de bouffer en vitesse et à l'arrache. Après ? À l'heure où vous sortirez, tous les restaus seront fermés.

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La bouffe et les soirées théâtre sont finalement intimement liées et toute salle qui se respecte possède un bar et son propre service de restauration plus ou moins rapide. À Paris, le bar de la Comédie-Française (salle Richelieu, 1 Place Colette dans le 1er arrondissement) est réputé pour sa sélection de sandwichs au pain de mie particulièrement étouffe-chrétiens et la possibilité qu'il offre d'attendre la sonnerie autour d'une coupe de champagne de bonne facture – enfin, ça dépend pour qui :

Et puis, il y a le bar du Vieux Colombier, un théâtre classé monument historique qui est aussi la seconde salle de la Comédie-Française. Sa particularité - quand ce n'est pas un avantage ? Son zinc est stratégiquement positionné sur le chemin de la salle. « Ici, on est clairement privilégié : le spectateur est obligé de passer devant nous, raconte Gilles Friot, le maître des lieux, il y a beaucoup de théâtre où ce n’est pas le cas. » Seul inconvénient ? « On se fait parfois engueuler par les gens qui sortent avant la fin. Quand les pièces ne plaisent pas, c’est clairement plus facile de s’en prendre aux personnes derrière le bar qu’aux acteurs. »

Au milieu du théâtre, des tables et des chaises comme dans n’importe quel bistrot accueillent spectateurs ou passants qui veulent casser la croûte. Un service de restauration sur mesure qui est proposé le midi, en dehors des représentations, et le soir. « Le défi, c’est de fonctionner comme un restaurant mais sans cuisine. C’est un challenge, mais on ne dit pas non à la Comédie-Française. Et ça nous oblige à trouver des parades, des idées. Tenez, Yves Camdeborde, il fait bien de la cuisine de bar, non ? »

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Même s'il ne compose pas avec le même matos, Gilles Friot tient le discours d’un chef : « Ici, on fait de la cuisine de restauration normale. C’est peut-être bio – et on m’a traité de hipster à cause de ça – mais ce n’est pas plus cher et ce n’est surtout pas de la forfanterie. Vous avez toujours la possibilité d’aller en face chez Cassette (rue de Rennes) mais… ce n’est pas le même prix. »

Le Vieux Colombier se mue alors en café où vous pouvez siffler un simple express au bar, mater des photos d’époque accrochées au mur ou même rester assis à ne rien faire

Ce midi, il y avait donc du potiron au menu. « Cuit à la vapeur, c’était une tuerie. Il vient de chez un maraîcher de Marcoussis. » Le soir, c’est planche, quiche ou salade sur le pouce pour les spectateurs qui ont un petit creux avant la pièce. Sa seule crainte ? Qu’un abonné lui commande la même chose que la dernière fois. « Il y a des gens qui viennent à tous les spectacles, alors au bout d’un moment, on les reconnaît. Une dame âgée est même revenue voir 20 000 lieues sous les mers à sept reprises avec un membre de sa famille différent à chaque fois. Mais pour me rappeler le goût de la quiche commandée… »

Gilles ajoute qu’il y a moins de touristes qu’à Richelieu et qu‘en journée, la clientèle ressemble au quartier. « C’est un lieu culturel fréquenté par des gens du monde de l’édition, des universités, de l’Institut catholique, de Sciences Po ou du cinéma l’Arlequin. » Le Vieux Colombier se mue alors en café où vous pouvez siffler un simple express au bar, mater des photos d’époque accrochées au mur ou même rester assis à ne rien faire.

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Avant de débarquer ici en 2007, Gilles avait déjà géré la restauration d’une autre institution culturelle de la rive gauche : le théâtre de l’Odéon période Olivier Py. « Là-bas, j’avais le concept mais je n’ai pas été suivi. » Débauché par la Comédie Française, il assure que sa venue tient presque de l’accident : « Avec ma femme, on a fait des études de lettres, mais c’est le hasard de la vie qui nous a menés ici. » Ancien agent immobilier, il connaît le quartier de Saint-Germain-des-Près comme sa poche. Il est capable de raconter l’histoire de tous les vieux cinés du coin retapés depuis en magasins ou des locaux bourrés de suffisamment d'amiante pour « tuer un passant ».

Il est 15 heures. On est interrompu par un accordeur à qui on a demandé de retaper un vieux piano. « Ils cherchaient un instrument avec un effet casserole. Un piano chinois ça sonne toujours mal. Juste, mais mal. Vous marquerez que l’accordeur a fait de cette casserole une casserole extraordinaire, OK ? ». Il ne reste qu’une poignée de mangeurs qui attaquent ici un dessert, là un verre de pif – « Un côtes-de-castillon en biodynamie. Tous les vins que je sers sont naturels, sinon ils sont bourrés de pesticides et, aujourd'hui, personne ne veut s’empoisonner. »

Après le spectacle, le Vieux Colombier se métamorphose une dernière fois. « J’essaie d’en faire un bar de théâtre, précise Gilles , un peu sur le modèle du Clown Bar à côté du Cirque d’Hiver. La troupe sait qu’elle peut rester sur place, inviter des amis ou des connaissances pour boire un verre, discuter ou refaire le monde ».

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Je ne vais pas dire que je suis le Scapin des lieux parce qu’il est fourbe, mais j'essaie d’être discret. J’ai l’impression d’avoir rempli mon rôle quand j’ai totalement disparu

Gilles préfère jeter un voile pudique sur ces soirées. Tout juste apprendra-t-on que, parfois « c’est blindé de monde » et que d’autres fois « ils ne sont que 10 » – ce qui ne les empêche pas de rester jusqu’à pas d’heures. « Ils sont généralement encore dans l’excitation de la pièce, ajoute-t-il, comme il y a un piano et qu’ils chantent très bien, ça donne des moments chouette. »

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Par curiosité, on lui demande s’il a parfois fait un plat pour les besoins d’une scène. Gilles répond par la négative. « C’est du théâtre donc ils ne mangent ou ne boivent jamais vraiment hein ». Et puis, en fouillant ses souvenirs : « Dans un Gogol, ils font semblant d’avaler un gâteau de semoule – qui est en fait un gâteau à l’eau. On jouait ça à Noël et un soir, je l’ai remplacé par un vrai gâteau. C’est Stéphane Varupenne qui a pris une première bouchée qui a fait 'hm'. Je ne sais pas comment il l’a dit aux autres mais on s’est bien marré. »

Gilles ne tient pas trop à parler des petites habitudes alimentaires des acteurs – « si vous voulez tout savoir, j’ai servi une quiche lorraine à Denis Podalydès tous les soirs pendant sept semaines. Il la trouvait très bonne ». Une question de confiance et de discrétion. « Au départ, on nous a un peu vus comme des intrus. Il y avait eu deux personnes avant nous avec qui ça n’avait pas spécialement marché donc tout le monde était un peu sur la défensive, rappelle-t-il, je ne vais pas dire que je suis le Scapin des lieux parce qu’il est fourbe, mais j'essaie d’être discret. J’ai l’impression d’avoir rempli mon rôle quand j’ai totalement disparu. »


Le théâtre du Vieux Colombier, 21 rue du Vieux Colombier, 75006 Paris.
J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce, du 24 janvier au 4 mars.