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Pourquoi vous ne trouverez qu'une seule table dans mon restaurant

Le concept est le suivant : pour chaque service, douze invités qui ne se connaissent pas viennent partager une table dans mon restaurant éphémère. C’est comme aller à un mariage : au début on ne se connait pas forcément, mais on finit éventuellement...

Martin Milesi est un Chef d'origine argentine qui a bossé dans les meilleurs restaurants d'Espagne comme Le Berasategui ou El Celler de Can Roca, avant de lancer son propre projet : créer le UNA, un restaurant qui ne comporterait qu'une seule table et 12 couverts. Situé tout en haut d'une tour de style gothique à côté de la station Saint Pancras, à Londres, le restaurant pop-up de Martin Milesi est dédié à la cuisine latino américaine et à la notion d'intimité. Il nous explique ici comment il s'est lancé dans cette aventure.

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J'ai toujours adoré Buenos Aires. C'est comme si cette ville était une petite-copine à qui j'aurais déclaré un jour : « Je t'aime mais j'ai rencontré Londres et maintenant je vais commencer une nouvelle relation avec elle. » Je tombe toujours amoureux des villes et pas des femmes — c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles je suis encore célibataire.

J'ai grandi en Argentine, à Santa Fe. À 18 ans, je suis parti vivre à Buenos Aires pour suivre des cours de cuisine. À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de jeunes qui choisissaient cette profession. Depuis, je n'ai pas cessé de faire ce métier. J'ai vécu une grosse partie de ma vie en Argentine, j'ai fait quelques séjours au Brésil et en Uruguay et puis j'ai débarqué à Londres.

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Après quelques années passées à bosser dans différents restaurants, ma carrière a pris en quelque sorte un virage le jour où j'ai commencé à enseigner les « arts culinaires » à l'université. Pendant les sept années où j'ai donné des cours, j'ai commencé à réfléchir au concept de l'UNA. J'étais obsédé par l'idée de créer un restaurant avec une seule table. Tout seul, j'ai commencé à écrire et à faire des dessins pour développer mon idée. Je sentais qu'il était encore trop tôt pour lancer le projet.

Puis, j'ai arrêté d'enseigner pour pouvoir me consacrer exclusivement à la restauration et lancer mon propre business. J'ai ouvert un restaurant, avant de devoir le fermer seulement trois mois plus tard parce que les investisseurs m'avaient lâché. Ce fut une expérience tellement traumatisante pour moi que j'ai décidé de prendre une année sabbatique pour voyager et me faire une idée plus précise de ce que j'avais envie de faire et de l'endroit où je voulais le faire. Quand je suis arrivé à Londres, Nuno Mendes, du Chiltern Firehouse, m'a invité à venir cuisiner chez lui quelques jours. Je garde un souvenir spécial de ce moment. Après ça, je suis parti en Italie où j'ai obtenu la citoyenneté italienne et — vu que j'étais devenu par la même occasion un citoyen européen — j'ai pu venir m'installer à Londres. Depuis, tout roule assez bien pour moi !

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À la base, le concept d'UNA était de créer un restaurant permanent qui ne serve qu'une seule table de clients par service. Mais avec du recul, on s'est rendu compte que ça allait être très difficile de rendre le projet rentable si on ouvrait en dur et toute l'année. Entre-temps, j'ai eu l'opportunité de rencontrer le propriétaire de la tour du clocher de St. Pancras et lorsque j'ai vu l'espace, j'ai immédiatement pensé à UNA. C'est à ce moment-là qu'on a eu l'idée de faire un restaurant pop-up.

Avec le concept de table unique, j'ai de la chance de pouvoir tisser plus liens avec mes invités : je les salue, j'introduis chacun des plats servis. Ce genre d'échange serait inimaginable dans un restaurant plus grand où il n'y a aucune interaction entre les cuisines et le client.

Je cuisine environ cinq dîners par mois. Le concept est le suivant : pour chaque service, douze invités qui ne se connaissent pas viennent partager une table dans mon restaurant éphémère qui offre une vue panoramique de Londres de nuit.

Je me souviens du premier dîner du premier service. Ça m'a rappelé l'époque où je commençais à cuisiner et que je préparais des petits plats pour ma famille et mes amis. Quand je cuisine pour des gens, j'ai l'impression de connecter avec eux, je me sens inclus dans une communauté. Avec le concept de table unique, j'ai de la chance de pouvoir tisser plus liens avec mes invités : je les salue, j'introduis chacun des plats servis. Ce genre d'échange serait inimaginable dans un restaurant plus grand où il n'y a aucune interaction entre les cuisines et le client. Normalement, le Chef cuisine et les clients mangent ; ils paient et puis ils s'en vont.

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Crédits photo : restaurant UNA.

J'étais persuadé que l'aspect social du concept plairait. On vit dans une société où en général, on a toujours un peu peur d'adresser la parole à des inconnus. Mais dîner à l'UNA, c'est comme aller à un mariage : vous ne connaissez pas forcément les personnes avec qui vous êtes assis à table, mais vous devenez tout de même de bons amis en partageant une expérience pendant quelques heures. L'an dernier, je me souviens d'un groupe de gens qui se sont tellement bien entendus qu'ils ont continué à se voir ensuite.

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L'idée de UNA est de mettre en avant les saveurs et les ingrédients qui font la richesse de la cuisine argentine.C'est la nourriture qui m'inspire le plus.J'accorde autant d'importance à la création et à la composition des plats qu'à la cuisine en elle-même. C'est un peu comme quand on est musicien, on peut choisir de jouer de la guitare ou de composer carrément la musique — moi, j'aime composer des assiettes. Un autre point positif qui m'a conforté dans l'idée d'ouvrir un restaurant pop-up qui ne propose qu'une seule table, c'est l'absence de gaspillage alimentaire : je sais à l'avance que je n'aurai pas plus de douze invités, alors j'achète de la nourriture pour douze, et pas un gramme de plus. Les gens aiment manger quelque chose qui leur a été pensé exclusivement pour eux, ils aiment pouvoir s'approprier un produit. C'est la raison pour laquelle je sélectionne les ingrédients moi-même pour chacun des rendez-vous.

J'aime mon boulot parce que la restauration ce n'est pas seulement préparer des recettes, mais aussi créer des concepts. Quand l'on goûte à quelque chose d'innovant et de surprenant, cela provoque une excitation agréable qui fait que vous allez encore plus savourer ce que vous êtes en train de manger.

Propos recueillis par Sarah Phillips.