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La distillerie qui passait du Bowie en boucle pour donner bon goût à son brandy

Dans les caves de Joe Heron, les fûts de brandy sont bercés au son des hauts-parleurs qui crachent de la musique 24H/24 et contribuent ainsi à la « bonification sonique » des spiritueux.

Quand on se ballade dans les allées de la distillerie Copper & Kings, l'œil est inévitablement attiré par des objets assez inhabituels dans ce genre d'endroit, bien planqués entre les fûts : des grosses enceintes.

Le propriétaire des lieux, Joe Heron, venait de m'ouvrir les portes de sa cave et déjà, je ressentais les vibrations des basses traverser l'air pour venir parcourir mon corps. Dans l'enceinte de cette distillerie de Louisville, Kentucky, la musique tourne 24h/24 et s'enchaîne au rythme d'une playlist aléatoire. Certains jours, elle joue les morceaux en fonction de la date de naissance des interprètes. Les autres jours sont dédiés aux nouveaux styles et genres musicaux que les employés de la distillerie ont récemment découverts. « Est-ce que tu avais déjà entendu parler du hip-hop de Houston ? » me demande Joe, qui n'écoute que ça depuis qu'il est rentré d'une virée au Texas.

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La distillerie n'oublie pas de célébrer aussi la fête nationale américaine, le 4 juillet. Pour l'occasion, c'est Springsteen, Hendrix, Kravitz et Bowie qui se relaient dans la programmation spéciale « Independance Day » : l'occasion de faire bonifier les alcools américains qui vieillissent dans la cave sur un fond d'accord patriotique. Mais la plupart du temps, la playlist est programmée de façon plus arbitraire, dans le seule et unique but de faire plaisir aux oreilles des maîtres distillateurs – une douce cacophonie qui mélange morceaux de jazz, de death metal ou du groupe My Morning Jacket.

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En réalité, le style de musique importe peu du moment que les morceaux joués ont un rythme bien puissant. Pas fous, les distillateurs s'imposent quand même une limite : Katy Perry.

S'il y a tout ce brouhaha dans la distillerie, c'est simplement parce que Joe veut mettre en application une méthode qu'il a lui-même mise au point : la « bonification sonique ».

Joe explique que « si une eau-de-vie a vieilli dans la joie, elle sera bue de la même manière ». Il pense que les douces vibrations que la musique diffuse dans la matière liquide aident à faire vieillir ses propres productions : absinthe, eaux-de-vie, spiritueux. Grâce à cette fréquence pulsée dans les tonneaux, le liquide n'est jamais complètement stagnant et entre ainsi davantage en contact avec la surface des tonneaux en bois de chêne. Contrairement au bourbon qui est régulièrement changé de fûts pour faire varier son goût, les eaux-de-vie de Joe sont plus délicates et requièrent donc plus de finesse et de doigté.

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« Je ne parle pas vraiment en termes de vibration, nuance Joe en touchant de la main le dos d'un tonneau peint en orange vif, comme les 1 300 autres qui remplissent la cave. C'est un processus très romantique. Il s'agit plutôt d'une caresse. »

Alors que nous démarrons notre balade au milieu des fûts – une odeur fruitée et boisée dans notre sillage – Joe m'explique les bases de la distillation. Le brandy est un alcool distillé. Depuis la création de Copper & Kings en 2014, celui de Joe est fait à base de pommes et de raisins. La réglementation veut que le brandy américain (celui distillé à partir du vin de raisin) soit vieilli en fûts de chêne pendant au moins deux ans. Pendant cette période, les tonneaux sont roulés et soumis à la « bonification sonique ». Avant cela, l'eau-de-vie jeune – qui n'est pas encore vieillie – est appelée « immature ». Le procédé de bonification est très délicat pour le brandy. Joe ajoute que faire vieillir cet alcool est une affaire de promiscuité : il s'imprègne de toutes les saveurs qui l'entourent.

« Les alcools à base de céréales, il faut vraiment les forcer si on veut leur donner la forme aromatique que l'on souhaite, explique Joe. Le brandy, en revanche, doit se faire cajoler – d'où l'idée de la bonification sonique. Cette méthode reflète bien l'identité de notre distillerie. On s'appelle Copper and Kings pour sonner comme le nom d'un groupe de musique, comme les Kings of Leon. »

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Et effectivement, la musique joue un rôle central dans le travail de Joe à la distillerie. Par exemple, quand nous nous sommes rencontrés au rez-de-chaussée de la distillerie, juste au dessus de la cave, Joe m'a montré directement ses alambics charentais en cuivre brillant. Il y en avait deux gros et un plus petit.

« Voici Sara, là, c'est Magdalena et enfin : Isis. Elles portent le nom de femmes qu'on trouve dans les chansons de Bob Dylan. Le plus petit alambic s'appelle Sara, qui est aussi le nom de sa plus belle épouse. »

Il suffit d'écouter Joe parler pour se comprendre que l'emploi de toutes ces références musicales n'est pas qu'une stratégie de com' – elles s'inscrivent tout à fait dans la culture de cette distillerie et surtout dans son savoir-faire.

Je traverse la cave avec Joe, glissant entre les étagères qui maintiennent les fûts. Il m'encourage à marcher encore pour m'approcher des enceintes alors que lui fait marche arrière vers le bouton qui sert à régler le volume. Avec mon accord, Joe monte le son au maximum pour que je puisse ressentir ce que le brandy vit durant sa bonification sonique : il n'y a pas à dire, c'est intense. Mon pouls augmente et vient se caler sur le rythme des basses. Je mets ma main sur l'un des tonneaux et je sens que ce beat fait aussi battre le bois.

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« L'un de mes meilleurs souvenirs a été de descendre les escaliers et de voir les gars rouler les tonneaux tout en écoutant 'Roadhouse Blues' des Doors », me confie Joe après avoir baissé le volume.

Il continue : « 'Let it roll, baby, let it roll.' C'est là que j'ai su que j'avais tout ce que je pouvais désirer. Pour moi, c'est le meilleur job du monde. »

Vous voulez savoir à quoi peut ressembler un 4 juillet dans la cave de Copper & Kings ? Allez écouter la playlist de la distillerie par ici.

Cet article a été publié à l'origine sur la version anglophone de MUNCHIES en 2015.