Cour d'appel de Nancy, avril 2017. Une dizaine de personnes âgées se précipitent vers l'accusé pour le serrer dans leurs bras, heureux du verdict qui vient de tomber. Le petit homme qui siège aux côtés de son avocat depuis le début de son procès ne sait manifestement pas où il est. Il semble hagard. La présidente est obligée de s'adresser à lui et de lui expliquer ce qu'il vient de se passer. Rémo Cipriani, 87 ans, vient d'être condamné à cinq ans d'emprisonnement assortis d'un sursis de trois ans pour avoir tué sa femme malade en 2015 à Gélacourt, en Meurthe-et-Moselle, conformément aux réquisitions de l'avocat général l'après-midi même. « Vous êtes reconnu coupable mais vous n'irez pas en prison Monsieur, vous avez déjà effectué votre peine », lui explique, en articulant, la présidente de la cour d'assises. Ils s'aimaient depuis 59 ans, mais l'octogénaire, livré à lui-même, ne supportait plus de voir son épouse perdre la mémoire et la raison. Un matin, il l'a étouffée avec un sac en plastique dans la salle de bains.
Que devient l'amour que l'on s'est promis, à la vie à la mort, lorsque la maladie s'invite dans le couple ? Aime-t-on toujours la même personne lorsque celui que l'on a choisi comme conjoint est altéré par la souffrance et par la déchéance ? Est-on d'ailleurs soi-même toujours la même personne au fil cette épreuve ? Il arrive que par désespoir, par lassitude, voire par amour, ceux qui ont endossé le costume de l'infirmière finissent par enfiler celui du bourreau – à l'instar de Cipriani.
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En 2014, 900 000 Français souffraient de la maladie d'Alzheimer, selon un rapport de l'Inserm. La pathologie qui touche 2 à 4 % de la population de plus de 65 ans et 15 % de la population de plus de 80 ans est devenue la quatrième cause de mortalité. Dans une tribune parue dans l'édition de Libération du 2 juillet 2012, Cécile Huguenin, auteure d'Alzheimer mon amour, raconte l'enfer du quotidien d'une femme dont l'époux est atteint par la maladie. « Nos malades s'obstinent à ne pas guérir. Pour finir par devenir exigeants, agressifs, insupportables », rapporte-t-elle dénonçant l'extrême solitude et l'absolu désarroi dans lequel sont livrés ceux que l'on appelle « les aidants ». Elle explique comment, à bout de souffle, certains conjoints peuvent en arriver à nourrir des desseins criminels à l'encontre de leur moitié. « C'est à nous que ces malades sont chers. Là où on veut aimer, continuer d'aimer, on ne nous laisse comme choix que la guerre et, parfois, le crime. Et on voudrait condamner ceux qui n'en peuvent plus quand personne ne les a aidés ! ».
Ce désespoir est le même pour toutes les maladies qui atteignent les personnes âgées, ces pathologies dégénératives qui les emportent à petit feu. Il n'est pas rare que le conjoint meurtrier tente de mettre fin à ses jours sitôt l'homicide accompli, et qu'il y parvienne. Lorsque le conjoint criminel se suicide dans les 24 heures qui suivent le meurtre, les psychiatres parlent de « suicide assisté » ou de « suicide concerté ». Une réalité remarquablement portée à l'écran dans le film Amour de Michael Haneke. Quand il n'y a pas de survivant, l'affaire est classée. Le cas contraire, le survivant doit répondre de ses actes devant la justice. Voici une brève sélection d'homicides ayant impliqué des couples en fin de vie en France.
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« J'ai mis fin à tes souffrances » : deux ans avec sursis
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