Comment l'art du café-croissant œuvre pour la paix au Congo
Croissants at Au Bon Pain in Goma. All photos by the author.

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Comment l'art du café-croissant œuvre pour la paix au Congo

À Goma, la boulangerie de Vanessa Jodas offre en plus des viennoiseries, une dose de normalité et d'espoir dans un pays ravagé par des décennies de guerre civile.

Vanessa Jados a toujours aimé les bonnes boulangeries et les croissants frais – à tel point que lors de sa seconde grossesse, elle rêvait de ces viennoiseries croustillantes et pleines de beurre. Mais à Goma, ville touchée par la guerre à l'est de la République démocratique du Congo. Impossible de trouver un café, une bonne boulangerie ou un croissant.

« Mon mari a dû traverser la frontière jusqu'au Rwanda pour me trouver des croissants. C'était compliqué », lâche dans un euphémisme Vanessa, 29 ans.

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Face à ces contraintes et aux envies liées à sa grossesse, la jeune femme a répondu par l'entrepreneuriat. Peu de temps après son accouchement, en mai 2014, Vanessa ouvre Au Bon Pain – la toute première boulangerie de Goma.

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Vanessa Jados au comptoir d'Au Bon Pain. Toutes les photos sont de l'auteur.Je suis fière de Goma et je veux que les gens passent un bon moment dans ma ville

L'établissement est paumé dans un grand immeuble sur une des rues principales de la ville, mais n'a pas besoin d'affiche ou de publicités pour signaler sa présence : l'odeur singulière de boulang' révèle facilement sa présence. Alors que des hélicoptères de l'ONU découpent le ciel et que des camions de l'armée sillonnent occasionnellement les rues, la boulangerie et son café joliment décoré, offrent un tout autre univers.

Entre l'interminable conflit armé et les éruptions volcaniques du Nyiragongo, la ville de Goma – autrefois idyllique bourgade en bord de lac – s'était transformée en cauchemar pour tout entrepreneur. À mesure que la guerre se calme, la scène culinaire de Goma commence à bouger grâce aux initiatives locales, comme celle de Vanessa. Ces dernières années, on a vu s'ouvrir plusieurs cafés et restaurants d'inspirations occidentales, libanaises, indiennes, thaïlandaises, d'Afrique de l'Ouest et même d'Amérique du Sud.

« », ajoute celle qui est née et a été élevée à Goma. Vanessa a été envoyée en Belgique à l'âge de 12 ans pour ses études. Elle n'est revenue chez elle qu'à l'âge de 23 ans. Pendant les onze années qu'elle a passées en Europe, beaucoup de choses sont arrivées à Goma. En 1994, conséquence du génocide rwandais, des rebelles se sont emparés de la ville et ont recruté des enfants-soldats. En 2002, c'est une éruption qui a détruit un tiers de la ville, forçant 400 000 personnes à déménager.

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Tout cela n'a pas découragé Vanessa qui aurait pu retourner en Belgique si elle l'avait souhaité, mais a préféré rester « chez elle » pour améliorer la situation.

« L'endroit est magnifique. On a un très beau lac, une nature merveilleuse et même des montagnes. Quand on parle de Goma, c'est souvent à propos de la guerre. Avec ce café, j'ai envie de lancer d'autres discussions à propos de la ville et du Congo. Je veux que les gens aient des choses positives à dire », dit-elle rayonnante.

Pour mettre toutes les chances de son côté, Vanessa a acheté tout le matériel de boulangerie en Europe et a formé son personnel avec l'aide d'un boulanger français.

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Babby Waliso Ndume mange Au Bon Pain.

Au Bon Pain et la plupart des restaurants de Goma sont surtout fréquentés par des expatriés, des agents de l'ONU ou des volontaires d'ONG et d'associations humanitaires, mais les gens du coin commencent eux aussi à apprécier l'offre florissante. Alors que de plus en plus de Congolais parviennent à grimper l'échelle sociale pour former une classe moyenne locale, la clientèle d'Au Bon Pain ne cesse d'augmenter.

« Il n'y a pas que les Européens qui ont le droit d'avoir de bons croissants, les Congolais aussi » argumente Vanessa qui assure que le nombre de Congolais fréquentant son établissement ne peut qu'augmenter dans les prochaines années.

Babby Waliso Ndume est l'un des Congolais de Goma qui apprécie la bonne bouffe et qui fréquente l'adresse de Vanessa.

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« J'adore ici. La nourriture est plus chère qu'ailleurs en ville mais ça vaut le coup. C'est délicieux », justifie-t-il.

Même si Vanessa fait son possible pour trouver des ingrédients locaux, elle n'arrive pas encore à faire tourner sa boulangerie sans importer certains ingrédients comme la farine complète et le chocolat qu'elle fait venir de Belgique. Gérer une entreprise dans une zone de guerre amène son lot de difficultés.

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« La bureaucratie est un vrai fardeau. Les infrastructures sont peu nombreuses ici au Congo donc il est fréquent d'avoir des pannes de courant ou des coupures d'eau. Quand on additionne tout, ça rend les choses compliquées et moins rentables. J'ai dû acheter un générateur pour les coupures de courant, ça a coûté très cher », explique Vanessa.

À Goma, les restaurants et les cafés comme Au Bon Pain sont bien plus qu'un endroit où manger. Ils offrent une dose de normalité et d'espoir dans une ville ravagée par la guerre et fournissent également un espace public où les gens peuvent se rassembler et discuter.

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Pas mal de mouvements qui ont changé le cours de l'histoire ont commencé dans des cafés. À Goma, même si les conversations risquent d'être interrompues par le bruit d'un hélicoptère de l'armée de temps à autre, une révolution pacifique est peut-être en train d'être discutée en ce moment même dans ces cafés. Parce qu'après tout, tout le monde a le droit de manger un bon croissant.

_Didem Tali est membre de l'African Great Lakes Initiative lancée par l'International Women's Media Fondation._