Dans les catacombes de Paris repose l'hydromel

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Dans les catacombes de Paris repose l'hydromel

Quelque part sous les pavés de la capitale, l'hydromel d'Audric de Campeau fermente gentiment grâce au miel récolté dans les ruches sur les toits.

Filou ouvre la voie dans le petit escalier qui descend à pic. Quelques pas derrière ce Beagle d'une petite dizaine d'année, Audric de Campeau, son maître, raconte : « Quand j'ai découvert que 30 mètres sous terre la température ne variait pas, j'ai tout de suite pensé que c'était idéal pour installer des fûts ». Dans ces catacombes situées rive gauche et dont l'adresse est farouchement tenue secrète, Audric ne fait pas vieillir du vin ni du champagne, mais de l'hydromel : un alcool à base de miel, reconnu pour être « la boisson alcoolisée la plus ancienne de l'humanité ».

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Dans un flot de paroles quasi ininterrompu, Audric se raconte, se gratte la tête, soulève son chapeau tourne, retourne, hésite, avant de se lancer : « Allez on va les goûter ! » Il ouvre ses fûts, y plonge une pipette, et en vide le contenu dans des verres à fond plat. Il est 9 heures du mat' et la dégustation du premier – et du seul –hydromel produit de bout en bout à Paris se tient dans une galerie sombre. Les arômes, le sucre et l'alcool - un peu plus de 15 degrés – frappent le palais encore mal réveillé. C'est plutôt très bon, même sans croissants.

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Il y a là deux versions différentes de l'hydromel d'Audric, l'un vieilli en fut de chêne, l'autre en sherry. « J'ai voulu faire un grand hydromel. J'ai d'abord décidé du taux de sucre résiduel, autour de 120 g/litre, l'équivalent d'un liquoreux comme le Sauternes. Le second facteur c'est l'élevage en fûts, le chêne donne le tanin et plus tard la brioche et le cuir, alors que le sherry donne les notes de cerise de griottes macérées qui étaient déjà dans le miel. »

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Audric est content du résultat de cette première vraie cuvée, qui a passé 16 mois dans ces quatre fûts. Il installe les tubes et remplit des bidons de 25 litres qu'il va ramener chez lui pour parachever son breuvage. « La question que je me pose c'est si je dois faire un assemblage. Mais ça, on le décidera autour d'une table plus tard avec les copains œnologues et spécialistes des whiskys », tranche le producteur.

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L'idée de produire de l'hydromel germe dans la tête de ce grand dadais en 2014, à force de voir les pots de miel s'entasser dans son placard. Parce que le garçon n'est pas un novice dans le miel et les abeilles.

En 2008, il apprend qu'il existe des ruches installées au cœur de Paris, sur le toit de l'Opéra ou au Luxembourg. Ni une ni deux, il sollicite des toits prestigieux : le Musée d'Orsay, les Invalides.

À 15 piges, l'âge ou ses potes collégiens rêvent d'un scooter ou de la dernière Playstation, lui réclame 15 pieds de vigne à Noël pour produire son propre champagne. Il les plante dans la maison de ses parents en Champagne et s'y attelle tout seul. « Mes parents ne sont pas vignerons, mais le terrain était bon, y avait du soleil et puis c'était un trip, je me disais si j'arrive à faire une bouteille c'est cool ! » L'année suivante il double la production à 30 pieds de vigne, puis 50 et ainsi de suite jusqu'à en posséder plus de 400 aujourd'hui. « Selon les années, j'arrive à sortir entre 300 et 400 bouteilles par an. Je fais tout de A à Z. »

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Mais la maison des parents De Campeau n'a pas fini de voir fleurir les projets d'Audric. Un potager, un poulailler, un arboretum (une collection d'arbre, près de 250 variétés) et bientôt, une autre lubie lui vient : avoir une ruche. Léger obstacle, son père est allergique aux piqûres d'abeille. Mais l'ado est déjà tenace et obtient gain de cause. Il installe sa première ruche au fond du jardin. « J'ai appris en autodidacte, comme la vigne, sur Youtube et dans des bouquins. Je suis un gros angoissé et quand tu es sur une ruche tu ne peux pas être nerveux sinon elles le sentent de suite elles te bouffent, donc j'ai été obligé de me détendre. Bon, je me suis quand même fait bouffer la gueule quelques fois parce que je faisais des conneries. Mais quand tu es piqué, tu ne peux plus t'arrêter ».

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Étudiant en philosophie médiévale à la Sorbonne, le jeune parisien passe ses week-ends à la campagne à s'occuper de sa vigne, de ses légumes ou de ses abeilles. On est en 2008 et il apprend qu'il existe des ruches installées au cœur de Paris, sur le toit de l'Opéra ou au Luxembourg. Ni une ni deux, il sollicite des toits prestigieux : le Musée d'Orsay, les Invalides. Au culot. Presque un peu trop, le boss du gouvernement militaire de Paris n'a jamais répondu à sa première missive, croyant à une blague d'un officier. « Je paye un petit loyer », explique Audric en montant les étages qui mènent à ses ruches et en tirant Filou qui commence à traîner la patte.

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Une fois sur le toit, à quelques encablures de la Tour Eiffel, il présente ses ruches en s'excusant déjà de ne pas pouvoir les ouvrir : « Ce week-end je les ai sorties mais là avec le froid ça peut les abîmer. » Ses abeilles parisiennes bossent bien, mieux qu'à la campagne. « La diversité florale est incroyable ici. C'est grâce aux marronniers d'Inde, aux buissons d'oranger du Mexique, aux sophoras du Japon et à toutes ces fleurs plantées entre le XVIIe et le XIXe siècle qui n'ont rien à foutre à Paris. Surtout, on profite des fleurs dès février avec le romarin et jusqu'en novembre sur le lierre. La pollution est moindre, il n'y a aucun pesticide. Et puis cette vue est un tel privilège (en montrant la Tour Eiffel) que je ne compte pas mes efforts, j'ai mal au dos donc je paye mes potes en miel et hydromel ».

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En 2011, un changement de boulot arrache Audric de sa capitale. « Tag-Heuer m'a proposé un poste en marketing en triplant mon salaire, mais le tout basé en Suisse. J'ai dis oui évidemment, mais maintenant je me tape des allers-retours de mille bornes tous les week-ends dès le printemps. Au bout d'un moment je me suis dit : faut choisir, soit faire la belle carrière, soit se lancer dans sa passion ». Il plaque le marketing et dès 2013, il commence à se consacrer à plein-temps à ses activités apicoles. Il produit les premiers pots de son Miel de Paris et commence à fournir quelques tables prestigieuses comme celle de Guy Savoy.

Entre-temps, il continue à vivre en Suisse où l'apiculture urbaine prend de l'ampleur. Il y développe sa dernière idée, Citizen Bees, pensée pour faciliter la culture des ruches au XXIe siècle. Il s'agit, entre autres, d'une appli qui permet aux apiculteurs (professionnels ou amateurs) de surveiller les ruches à distance. On peut contrôler le poids, la température extérieure ou intérieure de la ruche et on a accès à un accéléromètre et des micros. « Je me suis dit qu'un jour tout le monde saura mettre une ruche sur un toit et gérer les risques inhérents à l'apiculture urbaine, donc il fallait trouver une valeur ajoutée : un an et demi de développement et 50 000 euros d'emprunt plus tard, je propose la première ruche connectée en temps réel – je suis le seul à le faire dans le monde. J'ai déjà des clients et je suis persuadé que ça va exploser », s'enthousiasme-t-il. Pas encore d'application pour éviter les piqûres, mais de quoi faciliter quelques vocations.

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À Paris, son Hydromel est vendu en exclu à la Grande Épicerie, à côté de son Miel qu'on trouve aussi chez Fauchon, ou dans quelques boutiques plus confidentielles. « J'y tiens, c'est pas du bla-bla marketing, je me fais chier avec ma femme à tout coller et numéroter à la main, c'est une vraie production artisanale, rien d'industriel. C'est avant tout une histoire de passion ».

Audric saute dans son 4X4 rempli de bidons et parfumé à l'hydromel, Filou sur les genoux, « Bon les amis faut que je file j'ai de la route je rentre en Suisse, on a des invités ce soir et j'ai promis que je ne rentrais pas trop tard ».


Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES FR en mai 2016.