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Food

Dans la peau d'un pique-assiette parisien

On les appelle « PA », squatteurs de soirées ou « incrusteurs ». Ils vivent d'open bars et de petits-fours. On les a suivi le temps d'une soirée.

Un mercredi vers 18h30. Temps glacial. J’ai rendez-vous du côté de Belleville dans le studio de François, chômeur, la quarantaine fringante. Dès mon arrivée, après les courtoisies d’usage, je constate que son smartphone vibre, sans arrêt, sur le meuble de l’entrée. Les messages WhatsApp tombent toutes les deux minutes. « Les affaires reprennent », se réjouit mon interlocuteur. Quel est le contenu de ces messages ? « Des plans de soirées à incruster », m’explique François. En vrac : une présentation presse au Bristol, une inauguration de statue au Musée Grevin, un after-show de défilé au Grand Palais ou encore une soirée au Pavillon Cambon. « Ce soir, on a l’embarras du choix », salive le garçon, un large sourire sur le visage. Mon programme du soir, c’est de suivre cet homme qui va « infiltrer » des soirées aux quatre coins de Paris… sans la moindre invitation. En route.

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Les quidams ne le savent pas forcément mais chaque soir à Paname, des dizaines d’événements privés sont organisés : défilé, lancement presse, prix littéraire, vernissage ou soirée corporate. À chaque fois, c’est champagne et petits fours à volonté ! Et certains ont flairé l’aubaine… Un petit groupe s'invite (sans carton) dans les soirées mondaines les plus prisées de la capitale.

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Opération discrétion

On les appelle pique-assiettes, « PA », squatteurs de soirées ou incrusteurs. Ils sont artistes, intermittents du spectacle, étudiants, photographes, fonctionnaires, chômeurs voire même avocats. Ils constituent une curieuse entité informelle d’une centaine de personnes. Ces intrus tentent de franchir les portes de soirées qui ont lieu dans des palaces, des salons de réception, des restaurants huppés ou des galeries d’art. Dans ce petit milieu, la discrétion est de mise. On ne rentre que par cooptation. Beaucoup de pique-assiettes ne veulent pas témoigner, même anonymement. J’ai donc essuyé plusieurs refus : « pas envie de me faire cramer ! » m’indique l’un d’eux, par texto. Dégoter des contacts n’est pas chose aisée. Après tractations, quelques-uns ont accepté de lever le voile sur cette pratique très confidentielle.

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Mission : Open Bar

« J’ai découvert cet univers des soirées au début des années 2000, me raconte François, dans le métro, sur le chemin de notre premier plan de la soirée, en direction du Bristol. À l’époque, pour m’amuser, j’aimais fréquenter les vernissages. Je me suis rendu compte que je retrouvais souvent les mêmes tronches. J’ai commencé à discuter avec certains qui m’ont initié à cette pratique intrusive. J’ai essayé et j’ai rapidement kiffé. Ce que j’aime c’est l’adrénaline qui existe au moment de rentrer dans une soirée. Du lundi ou jeudi, j’enchaîne quotidiennement trois à quatre soirées, détaille notre homme. J’ai mon petit réseau d’informateurs. »

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Que viennent chercher ces « PA » ? « La motivation première des pique-assiettes, c’est de s’amuser, explique Pascal, un autre incrusteur de 40 balais, une coupe de champagne à la main, dans un salon privé du Bristol. Je viens profiter des beaux buffets : champagne, plats aux truffes, foie gras… Des mets que je ne pourrai jamais me payer ». Il est 20 heures et je remarque un étrange manège, dans le salon de ce palace dans lequel se déroule une présentation de montres de luxe. Des personnes qui semblent se connaître, se font des petits clins d’œil et ne quittent pas les places près du buffet. Les pique-assiettes sont bien là.

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L’autre motivation des pique-assiettes est tout simplement le défi de franchir une porte solidement gardée. Un plaisir en soi pour de nombreux incrusteurs, une forme de transgression. D’autres, viennent pour les cadeaux donnés aux invités en fin de soirées. « Il peut y avoir une bouteille, un livre, un parfum, parfois même un appareil photo », énumère François. Certains les revendent même sur le Bon Coin pour se faire un peu de thune. Enfin, quelques-uns viennent aussi pour draguer. « On a l’occasion de croiser beaucoup de jolies jeunes filles », explique Philippe, 27 ans, qui squatte les soirées depuis deux ans.

Pique-assiettes, bottes secrètes

Quelles sont les ruses pour infiltrer ces soirées mondaines ? Les incrusteurs sont peu diserts et ne dévoilent pas facilement leurs secrets. A 21 h 30, devant l’entrée du Pavillon Cambon, François m’explique : « La technique la plus courante est de lire la liste à l'envers et de balancer un nom. En espérant que la personne ne soit pas déjà à l’intérieur. » Planté devant l’hôtesse munie de la liste, François exécute, avec une grande agilité, ce tour de passe-passe. Il rentre sans même transpirer. De mon côté, je ressens de l’excitation, en rentrant par effraction. À l'intérieur, les buffets sont copieusement garnis et le champagne coule à flots. C’est une soirée de lancement de parfum, on croise même quelques personnalités.

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D'autres, se font passer pour des journalistes avec un aplomb à toute épreuve. De nombreux attachés de presse à Paris se méfient d’ailleurs, de plus de plus et ne laissent plus rentrer les personnes qui n’ont pas confirmé leur présence par mail. D’autres pique-assiettes que j’ai pu observer, à l’entrée, tentent d’accompagner une personne seule, certains débarquent une coupe à la main et disent qu’ils sont justes sortis fumer une clope. Les pique-assiettes ne mettent d’ailleurs jamais de gros manteaux, mais plutôt de petites vestes et ne passent que très rarement par la case vestiaire. Même en plein hiver. Histoire de ne pas se faire griller.

Les pique-assiettes ne mettent d’ailleurs jamais de gros manteaux, mais plutôt de petites vestes et ne passent que très rarement par la case vestiaire.

Une fois à l’intérieur, la plupart des incrusteurs débriefent la soirée à leurs contacts par SMS : la marque du champagne servie ce soir-là, le cadeau donné aux invités. En fonction de ces informations, certains rappliquent ou pas. Pour entrer, les pique-assiettes ne manquent pas d’imagination.

Parfois, certains vont jusqu’à pénétrer par les cuisines en se faisant passer pour un serveur, une serviette blanche posée sur l’avant-bras. « Plus c’est difficile d’accès et plus c’est excitant », me glisse Pascal. Le prix de Flore ou celui de la Closerie des Lilas sont par exemple très compliqués à incruster et certains s’y prennent de cette manière.

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La course à la pochette-surprise

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Rentrer sur certains événements relève du grand art. Parmi ses grands faits d’armes, François me révèle qu’il a réussi à accéder à la soirée Carmignac, en octobre 2012. Cette banque d’affaire avait organisé à Paris, au théâtre Mogador, un concert privé des Rolling Stones pour 1 600 invités triés sur le volet. « Tout Paris avait envie d’assister à cet événement. J’ai réussi à franchir les 3 filtres de sécurité, jubile notre homme. Je me suis fait une soirée à 4 millions d’euros. Le prix du cachet des Stones pour leur prestation ».

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Les pique-assiettes cumulent les récits étonnants, certains ont pu trinquer avec Paris Hilton, d’autres se faire prendre en photo avec Catherine Deneuve. Certains ont d’ailleurs un ego assez développé. La motivation de certains pique-assiettes est de fréquenter le temps d’une soirée des célébrités et de pouvoir poser à leur côté. « Une soirée, c’est un peu comme une pochette-surprise, estime Pascal. Tu ne sais pas sur quoi tu vas tomber à l’intérieur. »

De la peur d'être refoulés

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Face à ces oiseaux de nuit qui n’ont pas froid aux yeux, se dressent des agents de sécurité. Ceux qui ont du métier arrivent à le repérer et à les exfiltrer. Mais la plupart des pique-assiettes viennent pour boire et manger, donc ils essayent de se faire discrets. Ils n’aiment pas être pris en photo par le photographe officiel de la soirée par exemple. « Le fait de se faire éjecter d’une soirée n’est jamais agréable. On le vit comme une forme d’humiliation. C’est une grosse frustration. On se sent comme un joueur qui vient de perdre au casino. Heureusement, on enchaîne assez rapidement sur un autre événement », détaille François, à 22 h 30, au cœur du Grand Palais, après être rentré à une autre soirée avec un carton d’invitation jeté dans une poubelle. « Lors de certaines soirées, les attachés de presse sont parfois contents de nous avoir, se marre Pascal. Les pique-assiettes sont là pour mettre un peu d’ambiance dans un événement un peu clairsemé. Je me définis d’ailleurs comme une sorte d’animateur de soirée. »

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La plupart des pique-assiettes viennent pour boire et manger, donc ils essayent de se faire discrets.

Aujourd’hui l’un des points de repère dans la galaxie des pique-assiettes est le site de Germain Pire. Un mystérieux personnage qui met en ligne un agenda très précis des événements mondains de la capitale. Les attachés de presse parisiens s’agacent de cette pratique qui fait le bonheur des pique-assiettes. De nombreux incrusteurs viennent aussi s’abreuver sur les réseaux sociaux. « Instagram et Twitter sont des ressources de choix » m’avoue Philippe, pique-assiette bien connecté. Il y a une dizaine de comptes de personnalités parisiennes qui sortent beaucoup et que je regarde régulièrement. En plus ils se geo-localisent, c’est vraiment pratique »

Seuls et tristes

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Minuit. La soirée prend fin, c’est l’heure des confidences ! Derrière cette activité qui semble assez fun, se cache une forme de mal-être. Dans ce petit milieu, la majorité des pique-assiettes sont des hommes, souvent célibataires avec une situation sociale précaire. Pour plusieurs PA, cette pratique relève même de la pathologie. Certains sont vraiment accros et ne peuvent pas décrocher. « Il m’est déjà arrivé d’annuler un repas en famille ou une soirée avec des amis pour aller incruster des événements privés, confesse Pascal. Ton réseau relationnel a tendance à se rétrécir. Et puis, tu as de plus en plus de mal à payer un dîner car tu es habitué à ne plus dépenser pour sortir ».

Entre les pique-assiettes, ce n’est pas forcément la grande camaraderie. Il existe des clans et de fortes antipathies entre certains. « Tout le monde se connaît mais personne ne s’entend. Les bons plans sont souvent distillés au compte-gouttes » déplore Pascal. Jusqu’à quand ces fêtards vont continuer leurs activités ? « Cela fait plus de 10 ans que je fais ça et j’aimerais raccrocher. Si je nouais une relation sérieuse avec quelqu’un, j’arrêtais tout de suite ! », lâche François. Cette vie nocturne est difficilement compatible avec une vie de famille. « Je n’en parle pas à mes proches, il ne comprendrait pas ma démarche. Quitter Paris me ferait arrêter, explique Pascal, pour l’instant je continue, j’ai ça dans le sang. »

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