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Comment parler de Bourbon sans passer pour un jambon

En vrai, que l’on perçoive des notes de caramel ou pas, on gagne toujours à la fin. Parce que devinez quoi ? On vient de boire un verre de whisky.
Comment parler de Bourbon sans passer pour un jambon
Photo via FlickrInvaluable Official


Une petite bouteille vide de I.W. Harper trône toujours sur mon bar. Non pas parce qu’elle vaut 9,99 dollars sur eBay, mais parce que, de temps en temps, j’aime en dévisser le bouchon et en respirer l’odeur. Celle d’un vieux livre relié de cuir enrobé de caramel. C’est un de ces bourbons qui vous saisissent et vous rappellent que vous ne retrouverez plus jamais ce goût-là.

Mais si je garde cette bouteille, c’est aussi parce que le bourbon qu’elle contenait, à la différence de tous ceux que j’ai pu goûter avant et après, diffuse son ADN exceptionnel dès l’ouverture. C’est vraiment comme un bouquin ancien que l’on aurait pris sur l’étagère d’une bibliothèque. Les lattes du plancher craquent à chaque pas que l’on fait. L’ouvrage au cuir usé, aux pages jaunies et craquelées, dévoilerait une écriture dont on aimerait qu’elle soit encore à la mode. Tout ça enveloppé dans du caramel. Aucun bourbon ne m’avait livré ses secrets aussi facilement.

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Je vis à Louisville, dans le Kentucky. Au cœur même du pays du bourbon. Dans cette ville, la seule chose qui occupe les gens autant – si ce n’est plus – que de boire du bourbon, c’est d’en parler. J’ai passé des jours – voire des semaines – dans les distilleries et les bars, à écumer les dégustations et les sélections de fûts. Pour moi, rien ne vaut l’odeur d’un chai, un jour de grosse chaleur, quand l’air est saturé de bourbon. J’ai fait mon devoir de journaliste avec le plus grand zèle en prenant un cours pratique sur l’art du whisky et je suis rentrée chez moi avec 100 % de réussite au test et un nouveau titre à ajouter à mon CV : sommelière certifiée du bourbon.

J’aimerais savoir ce qu’une personne devrait dire quand elle trouve qu’un whisky est facile à boire, moelleux et agréable. Lorsqu’il descend le long du gosier et vous réchauffe l’estomac.

Mais lorsqu’il s’agit de s’asseoir pour parler bourbon en véritable connaisseuse, je reste paralysée. J’en sais plus qu’un individu lambda mais ici, je suis une amatrice comparée aux gens avec lesquels je déguste souvent notre breuvage préféré.

Mes complexes ne se sont pas arrangés à la lecture d’un post Facebook de Chuck Cowdery, auteur et expert sur le sujet (qui est aussi un ami que j’ai rencontré lors d’une excursion professionnelle autour du bourbon).

« Conseil pro », écrivait-il. « Ne dites jamais d’un whisky qu’il est ‘souple’. ‘Souple’, c’est l’adjectif qu’on utilise quand on n’a rien à dire sur un whisky. »

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Si on laisse de côté le fait que c’est ce genre d’élitisme qui a tendance à dégoûter les gens de notre petit univers, j’aimerais savoir ce qu’une personne devrait dire quand elle trouve qu’un whisky est facile à boire, moelleux et agréable ; de façon générale, lorsqu’il descend le long du gosier et vous réchauffe l’estomac.

Je suis allée trouver Cowdery. Et j’ai aussi convaincu l’experte en dégustation de la maison Old Forester, Jackie Zykan – qui gagne littéralement sa vie en décrivant les whiskys qu’elle boit – de m’expliquer comment manier les mots pour parler du bourbon.

Tout d’abord, revenons au commentaire sur le mot « souple ».

« Si j’ai critiqué cet emploi du mot souple, répond Cowdery, c’est parce que quiconque s’y connaît un minimum en whisky te prendra pour une abrutie si tu dis ça. Si tu ne veux pas avoir l’air d’une abrutie, tu sais ce qu’il te reste à faire. »

« Je pense que c’est parce que les gens ont entendu ça de la bouche d’autres personnes et qu’ils ne savent pas quoi dire, poursuit-il. La plupart du temps, quand les gens disent qu’un whisky est ‘souple’, ils veulent dire qu’ils le trouvent bon. Ils feraient aussi bien de dire ‘Hum, c’est bon’. »

« Le problème avec ce mot, poursuit Chuck, c’est qu’il ne dit pas grand-chose. Ça revient presque à dire : ‘Oh, je pensais que j’allais m’étrangler en le buvant, mais ça n’a pas été le cas, donc il est souple’. C’est peut-être une information utile, mais il me semble plus intéressant d’essayer d’approfondir la description. »

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« Une fois que la graine est semée, on ne peut plus l'ignorer et se faire sa propre idée. S’il est écrit ‘cerise et cardamome’ sur la bouteille, c’est fini. C’est ça que vous allez sentir. »

Et c’est justement là que les choses peuvent coincer. Quand tout est sujet à l’analogie, où doit-on se positionner ?

C’est là que Zykan entre en scène. Ses dix ans d’expérience derrière un bar, son cursus en biologie et en chimie ainsi que son talent pour dégoter une histoire dans un verre de whisky lui ont permis d’obtenir son plus beau rôle chez Old Forester. La première chose à savoir, c’est qu’elle déplore l’existence même des notes de dégustation.

« Sincèrement, j’aurais préféré qu’on ne les ait jamais écrites et imprimées, dit-elle. Elles ne représentent qu’une infime partie de l’ensemble. Et une fois que leur graine est semée, on ne peut plus les ignorer pour se faire sa propre idée. S’il est écrit ‘cerise et cardamome’ sur la bouteille, c’est fini. C’est ça que vous allez sentir. »

Mais comment arrive-t-elle à tirer ce genre de conclusion ? Comment isole-t-elle le goût de mandarine grillée dans le cas de leur toute dernière offre, President’s Choice (Le « Choix du Président » qui, pour info, a été baptisé ainsi car il provient de fûts sélectionnés par le président de l’entreprise et était à l’époque disponible uniquement pour les présidents de grandes entreprises, rien avoir avec qui-vous-savez.)

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J’ai goûté un échantillon de cette offre limitée – qui s’est écoulée en cinq minutes après l’ouverture des portes du magasin de leur nouvelle distillerie dans le centre de Louisville – et je n’ai pas trouvé de mandarine grillée dans mon verre. Juste une excellente version du Old Fo que j’ai sur mon bar à la maison.

Pour commencer, dans le club des spécialistes du bourbon, Jackie n’est pas une madame je-sais-tout (« Il y a toujours quelqu’un qui va me sortir la liste de tous les goûts possibles »). Deuxièmement, je ne devrais pas me flageller. « Il ne s’agit pas d’un concours qui vise à récompenser celui ou celle qui décèle le plus de notes, m’explique Zykan. Parfois, je ne trouve qu’une seule note, parfois j’en trouve des centaines. »

« J’explique aux gens que ça va être un peu gênant, mais que je vais me taire parce que je veux qu’ils trouvent par eux-mêmes. Le silence est d’or, et c’est particulièrement vrai lors d’une dégustation. »

« S’il y a un truc qui se démarque et qui confère au produit quelque chose de particulier ou d’inhabituel, ce sera votre note totem pour ce whisky et vous la sentirez immédiatement », ajoute-t-elle. Si vous êtes toujours bloqué sur « souple », elle a quelques tuyaux pour vous.

Décomposez-le

Les arômes peuvent probablement être rangés dans une de ces catégories. Voici la liste de celles que Zykan utilise. Pensez-y lorsque vous ferez une dégustation et cela vous aidera peut-être à mieux reconnaître les parfums :

  • Les aromatiques doux comme la vanille, le caramel au beurre, le caramel tout court, la mélasse, le miel, le chocolat.

  • Les notes vertes associées aux herbes ou aux herbacées.

  • Les épices comme le poivre ou les épices de cuisson (noix de muscade ou clou de girofle, par exemple).

  • Le fruit est toujours présent, mais il faut spécifier, dit Zykan. Les fruits noirs, la pomme ; si c’est du citron, est-ce le zeste ou la pulpe ; est-ce du citron de Meyer ?

  • Les notes florales peuvent correspondre à des nuances plus profondes comme la rose ou une fleur blanche.

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Apprenez son histoire

Les distillateurs recherchent avant tout la constance. Pour une professionnelle comme Zykan, toutes les distilleries de renom ont une signature qui leur est propre. Prenez par exemple le Four Roses. « Leur marque de fabrique, c’est une forte présence d’aneth et de chêne grillé, dit-elle. Une fois que vous savez ça, vous avez les éléments de base pour établir des comparaisons avec un nouveau produit. » Apprenez tous les grands classiques – Maker’s, Beam, Turkey et compagnie – et « une fois que vous aurez retenu les bases pour les produits phares, vous aurez plus de facilités à faire des parallèles », explique-t-elle.

Quand vous rejoignez un groupe pour une dégustation, « trouvez quelque chose que tout le monde a déjà goûté, mettons un Maker’s Mark ou un Old Forester, peu importe la marque, faites-en votre référence puis présentez quelque chose de nouveau par-dessus. La conversation sur les différences entre ces deux produits vous aidera à identifier des catégories, au lieu de centrer la discussion sur un seul verre. Les comparaisons sont d’une aide précieuse. »

Arrêtez de vous parfumer

Sérieusement. « Vous ne pouvez pas mettre du parfum et déguster du bourbon. Désolée. Vous devez partir sur une base neutre, raconte Zykan. J’étais accro aux cosmétiques mais ils ne doivent pas être parfumés. » Du baume à lèvre, aux lotions en passant la laque : pas d'odeur.

Taisez-vous

« Goûter en silence. À la seconde où quelqu’un vous expose sa vision, vous êtes fichu », jure Zykan. Quand Jackie anime une dégustation, les gens attendent qu’elle leur dise ce qu’il y a dans leur verre. Surprise. « J’explique aux gens que ça va être un peu gênant, mais que je vais me taire parce que je veux qu’ils trouvent par eux-mêmes. Le silence est d’or, et c’est particulièrement vrai lors d’une dégustation. »

Le b.a.-ba de la chimie

Il y a une raison pour laquelle on sent une odeur de vanille, de mandarine grillée ou n’importe quel autre arôme, lorsque l’on goûte un bourbon : la science. C’est à ce niveau-là qu’a eu lieu pour moi la grande révélation.

« Prenez un seau de distillat, dit-elle. Si vous ajoutez une gousse de vanille dans un seau d’eau, ça sentira l’eau parfumée à la vanille. Et ce que vous sentez, c’est la vanilline. Qu’elle provienne d’une gousse de vanille, du parfum synthétique d’une bougie ou qu’elle émane de la dégradation des sucres dans un fût quand vous le brûlez. C’est le même composant. Elle provoque la même réponse du même récepteur. Votre cerveau vous dit ‘je reconnais cet arôme, parce que la dernière fois que j’ai mis une gousse de vanille dans ma bouche, j’ai eu la même sensation’. ». Même si le bourbon commence par de l’eau, des céréales, de la levure et un fût de chêne (sans aucun ajout artificiel), « tout ce que vous percevez dans ce verre est cent pour cent chimique. »

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« Que l’on perçoive quelque chose de particulier ou pas, devinez quoi ? On gagne toujours à la fin, parce qu’on a bu un verre de whisky. »

Pas de panique. Vous aurez beau avoir loupé – séché – tous vos cours de sciences (comme je l’ai fait), votre cerveau reconnaîtra malgré lui ces composants chimiques. « Tout est là, dit Jackie. C’est simplement un élément chimique qui se connecte à un récepteur et qui réveille un souvenir dans votre cerveau. »

Je vous en donne un autre. Imaginons que vous trouviez dans votre bourbon des notes de pop-corn au caramel – celui que vous bouffez dans une salle de cinéma par exemple. Rien de surprenant. C’est le diacétyle, une molécule qui vient du maïs.

Ce vieux bouquin que je sentais dans le I.W. Harper ? Qui dit livre, dit papier. Qui dit papier, dit bois et sucre qui s’est altéré. Zykan assure que, quand elle perçoit cette note, ça lui évoque l’intérieur du tiroir d'une commode dans une boutique d’antiquités.

Ce n'est que du whisky

Bien sûr, c’est formidable de pouvoir énumérer les notes improbables qu’on a découvertes dans un bourbon à la fin de la journée. Mais « ça n’arrive pas toujours », précise Zykan.

« Je pense que les gens se mettent en tête qu’ils doivent absolument avoir la réponse, dit-elle. Lisez bien ce qui suit. « Je suis payée pour ça et j’y passe à chaque fois une journée entière dans le silence, avec de nombreuses pauses durant lesquelles j’ingère tout un tas de glucides pour arriver finalement à écrire les notes de dégustation exactes. Et en toute honnêteté, une fois que j’y suis parvenue et que mes notes figurent sur la bouteille, je goûte le produit et là, je me dis souvent que je me suis trompée. »

« Il n’y a aucune raison de complexer – vraiment, absolument aucune, me rassure Jackie. Il faut se rappeler ce qui fait de la dégustation une activité aussi géniale en premier lieu. Le simple fait de pouvoir parler d’un produit, de le goûter… Que l’on perçoive quelque chose de particulier ou pas, devinez quoi ? On gagne toujours à la fin, parce qu’on a bu un verre de whisky. »


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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