Poké Ball tragique à Burger King : deux morts
Illustration par Lia Kantrowitz

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Poké Ball tragique à Burger King : deux morts

Le jour où des jouets de menus enfants défectueux ont créé un vent de panique au pays de l'Oncle Sam.

Tout le monde est à peu près d'accord sur un truc : la meilleure période pour les jouets dans les menus de fast-food, ce sont les années 1990.

À l'époque, les kids pouvaient parcourir l'autoroute des calories en moonwalk. On s'enfilait du gras, des acides aminés et du sucre caché sans être embêtés par des recommandations nutritionnelles, des tranches de pomme ou des yaourts à boire. En plus du soda, des frites et du burger (voire des nuggets) – cerise sur la malbouffe – il y avait un chouette cadeau à déballer. Pas un truc aseptisé par des commissions de sécurité. Un vrai jouet.

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Si vous avez connu cet âge d'or (et que vous viviez aux États-Unis), vous êtes probablement tombés sur des figurines Disney, des Tortues Ninja ou des Tamagotchi – entre les potatoes et le Coca. Pour pimenter un peu la chose, les chaînes se tiraient la bourre en tentant d'attirer les petits gourmands avec des jouets de plus en plus sophistiqués. C'est ainsi qu'à l'orée des années 2000, Burger King décide de surfer sur une vague de catégorie « rouleau » pour séduire ses petits clients : les Pokémons.

En 1999, la Pokémania est à son apogée. D'habitude plus versé hommes politiques, leaders religieux ou businessmen puissants, le magazine TIME consacre sa couv' du 22 novembre aux petits monstres japonais – Têtarte en gros plan pour les connaisseurs – et plusieurs pages à décrire le phénomène.

« Pour beaucoup d'enfants, Pokémon est devenu une addiction : des cartes, des jeux vidéo, des jouets et maintenant un film. Est-ce mauvais pour eux ? » se demandaient les journalistes tels des Cassandre.

Le ton est un peu parano mais juste ce qu'il faut pour semer le doute dans l'esprit des parents en route vers Toys''R''Us. A posteriori, on peut même reconnaître que l'inquiétude et le ton chevrotant du magazine avait un petit côté prémonitoire.

La couverture du TIME du 22 novembre 1999 annonce la Pokémania.

La préoccupation de l'époque était surtout psychologique : comment Pokémon influence le développement psychologique et le comportement des gosses ? L'injonction « ATTRAPEZ LES TOUS ! », élevée au rang d'obsession, pouvait-elle être dangereuse ?

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Alors que les intellos de tout poil et les parents s'inquiétaient des effets à long terme de cette mode, un autre Pokédanger bien plus terre à terre menaçait leurs têtes blondes. Le 11 décembre 1999, la jeune Kira Alexis Murphy, 13 mois, s'étouffait en Californie du Nord. Principal suspect : un jouet Pokémon de Burger King.

Pour rendre les choses encore plus attirantes pour les kids, les Pokémons étaient même emballés dans une Poké Ball blanche et rouge

La chaîne venait de lancer une grande campagne conjointe avec la sortie du premier film Pokémon – en salles le 10 novembre de la même année dans toute l'Amérique du Nord. L'accident tragique se déroulait un mois tout pile après le début de cette opération de promotion censée durer 56 jours jusqu'à la fin décembre. Il s'agissait d'une des plus longues promos de toute l'histoire du Burger King.

Pendant cette période, les enfants auraient l'opportunité d'attraper 57 Pokémons différents en prenant le menu enfant. Pour rendre les choses encore plus attirantes pour les kids, les Pokémons étaient même emballés dans une Poké Ball blanche et rouge – la même que celle utilisée par les chasseurs assermentés. Burger King avait prévu un stock de 25 millions de ces babioles - gratos pour tout achat d'un menu enfant.

Au final, ce n'est pas la figurine elle-même qui avait causé la mort de la petite Kira mais son emballage. L'une des moitiés de la Poké Ball (plus de sept centimètres de diamètre) s'était collée sur son visage. Les ventouses bloquant son nez et sa bouche.

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Pendant que la petite s'amusait avec la Poké Ball, sa mère, Jill Ann Alto, était en train de prendre sa douche. Quand elle est revenue une vingtaine de minutes plus tard, elle a retrouvé sa fille, morte, entourée de ses deux sœurs âgées de quatre et cinq ans qui avaient assisté impuissantes à la scène.

« Je suis sortie et je l'ai retrouvée avec cette balle sur son visage. J'ai dû la retirer moi-même », explique la mère endeuillée au Los Angeles Times.

Une mort est la preuve qu'il y a un problème. Il ne faut pas attendre qu'il y ait tout un tas de bébés décédés pour demander un rappel de produit.

La Commission en charge de vérifier la sécurité des produits mis sur le marché américain (la CPSC) a immédiatement été saisie. Évidemment, leur avis était clair : cesser tout de suite l'offre de Burger King et rappeler tous les produits préalablement distribués. Mais la promotion se poursuivit.

Ann Brown était à l'époque présidente de la CPSC et elle expliquait en janvier 2000 au Knight Ridder/Tribune Business News : « Une mort devrait être une preuve grave qu'il y a un problème. Il ne faut pas attendre qu'il y ait tout un tas de bébés décédés pour demander un rappel de produit. »

Un porte-parole de Equity Marketing, l'entreprise fabriquant les jouets pour Burger King, commentera plus tard que la Poké Ball incriminé « respecte toutes les règles de sécurité en vigueur, voir plus ». Charles Nicolas, un porte-parole de Burger King, se défendra comme il peut d'un « personne n'a prouvé que c'est la balle qui a causé la mort. »

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La fameuse Poké Ball en question. Photo via Wikimedia Commons.

Dix jours après, le 23 décembre, la Poké Ball frappait à nouveau. Au Kansas, une petite fille de 18 mois, sur le point de s'étouffer avec le jouet, est sauvée par son père qui la libère de la demie sphère. Ses lèvres sont devenues violettes. Après ce second accident, la polémique enfle.

« Quand nous avons entendu parler du premier décès, on a réalisé que ça pouvait être un vrai problème à l'échelle nationale », se souvient Ann qui a démissionné de la CPSC en 2001. Elle continue pour MUNCHIES : « C'était le pire scénario possible : une grande chaîne de fast-food qui distribuait des jouets par millions – pas juste un petit revendeur. »

On ne se demandait pas si un autre accident mortel allait arriver mais simplement quand est-ce qu'il allait se produire.

Pendant que tout le monde flippait, l'offre connaissait un véritable succès : certains Burger Kings vendaient plus de mille menus enfants par jour. Les stocks de Poké Balls se vidaient si vites que de nombreuses adresses étaient inondées de gremlins pleurant toutes les larmes de leur corps – et de parents mécontents.

Bref, on ne se demandait pas si un autre accident mortel allait arriver mais simplement quand il allait se produire. Nombreux furent ceux à critiquer la lenteur de réaction de Burger King. L'opération fut un tel succès que la chaîne était réticente à demander un retour produit.

« Ils se sont faits à cette idée mais on a vraiment dû insister », expliquait fin janvier de l'année suivante Ann au Washington Post.

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Le lundi 28 décembre, Burger King lançait donc une demande de retour produit avec l'aide de la CPSC. Ann est même allée à la télé sur le show de NBC News Today pour parler de cette opération. Son but était de « faire du bruit », se souvient-elle.

La date est importante. Burger King avait publié un communiqué de presse la veille – un dimanche. Pour Ann, c'était clairement une manière de passer inaperçu.

« Ce n'est pas dimanche qu'on relaye le plus efficacement un communiqué de presse. Ça m'a vraiment contrarié », confie Ann à MUNCHIES. La CPSC prévoyait de faire un communiqué de presse conjoint le 29 décembre, ce qui aurait laissé le temps à l'organisation de prévoir une stratégie applicable sur l'ensemble du territoire.

« Ce n'est que ma supposition mais je pense qu'ils cherchaient à éviter une telle publicité morbide. Burger King reste un restaurant familial, ce n'était pas l'image qu'ils voulaient donner. »

Quand la demande de retour produit a finalement été communiquée sur tout le territoire, il était demandé aux clients du fast-food de se débarrasser des deux parties de la Poké Ball – soit en la jetant, soit en la rapportant au Burger King le plus proche. Le fast-food proposait même d'offrir une petite frite pour chaque Poké Ball rapportée. Évidemment, les petits pouvaient garder la figurine à l'intérieur.

56 000 pédiatres ont été prévenus du danger ainsi que 10 000 salles d'urgences. Un numéro vert a même été mis en place. Malheureusement, ces efforts furent insuffisants.

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L'opération fut d'envergure : en plus de l'apparition d'Ann sur un programme national, des affiches ont été placardées dans plus de 8 100 Burger Kings, une publicité a été placée dans USA Today, 56 000 pédiatres ont été prévenus du danger ainsi que 10 000 salles d'urgences.

On trouvait même des messages sur des sites internet « fréquentés par des fans de Pokémon ». La sonnette d'alarme avait été tirée partout : sur les papiers servant de set de table, dans les cantines et sur des packagings de différents produits. Burger King a aussi payé de sa poche des clips sur des chaînes câblées pour informer le public. Un numéro vert a même été mis en place. Malheureusement, ces efforts furent insuffisants.

Le mardi 25 janvier, presque un mois après le début de la campagne de retour produit, un bambin de quatre mois est retrouvé sans vie dans son berceau à Indianapolis. Le petit Zachary Jones est mort comme les autres. « C'est dur de s'imaginer qu'en emmenant les petits manger dehors, on peut rapporter à la maison un jouet mortel », se lamentait le grand-père de Zachary dans le Chicago Tribune. Cette mort fut la dernière attribuée aux Poké Balls de Burger King.

La campagne de retour produit a malgré tout été jugée efficace. Même Ann reconnaît que Burger King a finalement fait de vrais efforts. Et les familles de Kira Alexis Murphy et de Zachary Jones ont trouvé des accords financiers avec la chaîne ainsi que l'entreprise ayant fabriqué les jouets - pour un montant inconnu. Burger King n'a pas souhaité commenter plus en détail cette affaire avec nous.

Un panneau publicitaire proposant d'échanger un jouet contre un cookie (2015). Photo via Flickr user Mike Mozart

Dans les années qui ont suivi cette histoire, Burger King a dû parfois rappeler d'autres jouets, mais cela n'a jamais pris les proportions affolantes de l'affaire Poké Ball. En gros, la chaîne ne s'est plus retrouvée avec des cadavres sur les bras.

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Il semblerait même que Burger King soit de plus plus chaud pour arrêter de distribuer des petits cadeaux dans ses menus enfants. Il est désormais possible de remplacer le jouet par un cookie et l'année dernière, la responsable marketing de Burger King Afrique du Sud, Ezelna Jones, disait que le groupe « voulait arrêter les jouets pour tenter de réduire la production inutile de plastique ».

La Pokémania, elle, était loin d'être finie. Toujours accompagnée de quelques moments tragiques. Depuis l'été 2016 et la sortie de l'application Pokémon Go, plus de dix personnes ont trouvé la mort en essayent de « les attraper tous ».