La dynastie footballistique juive de Los Angeles qui est tombée dans l'oubli

FYI.

This story is over 5 years old.

Football

La dynastie footballistique juive de Los Angeles qui est tombée dans l'oubli

Au Maccabi Los Angeles, il n'y avait pas de stars et pas uniquement de joueurs juifs. Mais, dans un certaine mesure, ce fut une des équipes les plus performantes aux Etats-Unis.

Eric Braeden a vécu une double vie dans les années 60. La semaine, l'acteur portait un uniforme nazi dans la peau du Capitaine Hans Dietrich dans la série The Rat Patrol de la chaîne ABC. Le week-end, il enfilait le maillot bleu et blanc flanqué d'une étoile de David du Maccabi Los Angeles, l'équipe juive de la très ethnique Greater Los Angeles Soccer League.

Un jour, après avoir taclé un peu sévèrement, le futur lauréat des Daytime Emmy [récompenses télévisuelles américaines, ndlr] raconte s'être fait insulter de la manière la plus paradoxale qu'il soit :

Publicité

« Enculé de nazi ! Enculé de juif ».

« J'ai alors répondu : "décide-toi abruti, nazi ou juif ?" »

L'insulte n'a du sens qu'au sein d'une dynastie oubliée du football qui, entre 1973 et 1981, a remporté cinq National Challenge Cup. Le tournoi vieux de plus d'un siècle, maintenant connu sous le nom de US Open Cup, est le pendant américain de la Coupe de France, auquel toutes les équipes de tous les niveaux peuvent participer. Depuis que les équipes de la Major League Soccer l'ont rejointe, elles ont gagné toutes les éditions sauf une. À l'époque du Maccabi, les équipes ethniques avaient du poids. Pendant les années 70 et 80, on retrouvait parmi les finalistes et les champions des équipes comme les Grecs-Américains de New-York, le Sporting Club des Croates de Chicago et les Yougoslaves de San Pedro.

Personne n'a fait mieux que les cinq trophées d'Open Cup du Maccabi. L'équipe du Bethlehem Steel, également disparue, partage ce record. Les Seattle Sounders et les Chicago Fire ont remporté ce trophée à quatre reprises.

Lors de la saison 76-77, l'équipe semi-pro du Maccabi a empilé 35 victoires sur la route du titre municipal, fédéral, puis national. Au milieu des années 80, elle avait disparu. Aujourd'hui, des décennies après les jours glorieux de l'équipe, les souvenirs des joueurs ne sont pas toujours raccords. L'un de ces joueurs, Moshe Hoftman, regrette que son perroquet ait mangé la plupart des notes qu'il avait prises de ces jours-là.

Publicité

Des immigrants européens, dont certains sortaient de camps de concentration, ont fondé l'équipe dans les années 60. L'équipe a commencé à gagner vers la fin des années 60 et pendant les années 70 lorsque les organisateurs ont attiré des joueurs talentueux venus d'Israël, du Mexique, d'Argentine, et d'ailleurs, dans leur club. Hoftman, ingénieur en herbe d'Israël, a décidé de rejoindre l'équipe lorsque le défenseur Eli Marmur et la direction de l'équipe lui ont proposé de payer ses frais de scolarité au San Fernando Valley State College (puis plus tard à UCLA). Benny Binshtock a rejoint la troupe après avoir commencé à travailler dans le coin pour l'entreprise de jouets de son oncle. Braeden, né Allemand, arrivé en Amérique pour devenir acteur, raconte qu'à l'origine il jouait pour le Maccabi parce qu'« il nous a promis un peu d'argent a chaque match. » Bientôt, dit- il, « j'ai commencé à réaliser que j'étais l'Allemand symbolique d'une équipe juive. »

Photo Eli Marmur

Les joueurs du Maccabi racontent qu'ils étaient souvent la cible d'injures de la part de leurs adversaires et du public – et ce malgré la présence de joueurs non-juifs comme Braeden dont le père était un membre du parti nazi, et maire de la ville où Braeden avait grandi (Braeden dit que son père n'a jamais pris part aux atrocités du nazisme). Le coéquipier et colocataire de l'acteur, Michael Meyer, moitié juif et allemand lui-même, se rappelle d'un joueur d'une équipe allemande qualifiant son ami de traître.

Publicité

« On ne se laissait pas emmerder », explique Braeden. Marmur se rappelle avec délectation son rôle de hitman dans l'équipe. Il était chargé de cogner les joueurs de l'équipe adverse. Il raconte qu'après une baston avec une équipe hongroise, lui et d'autres joueurs avaient dû être escortés hors des lieux, dans une voiture de police afin de les protéger d'une foule hostile. « À un moment donné, raconte Marmur, l'arbitre a décidé qu'il était mieux que l'on perde – que c'était plus prudent pour tout le monde. »

Les dires des anciens Maccabi divergent quand à la fréquence et à la sévérité de ces insultes. Meyer, par exemple, dit que ce n'était qu'occasionnel.

L'équipe du Maccabi n'était pas exclusivement juive. On comptait parmi ses acteurs les plus importants des gens comme Braeden, qui a marqué le but vainqueur de la demi-finale lors de la compétition qui les emmènerait à leur premier titre, Chon Miranda venait du Mexique et Tony Douglas était natif de la Trinité-et-Tobago.

Certains joueurs étaient fiers de leur ethnicité, mais pour Meyer ce n'était pas important. « C'est ma mère qui était juive, raconte l'universitaire qui étudiera plus tard l'histoire de la musique et de l'art sous le régime nazi, donc je suis partiellement juif. Mais je ne l'ai jamais revendiqué. Je trouvais ça stupide ces gars du foot qui cherchaient absolument à ce que tu aies les racines ethniques de l'équipe pour laquelle tu jouais. J'ai dit : "J'en n'ai rien à faire." » Il a aussi joué pour d'autres équipes ethniques de la Greater Los Angeles League dont les Scots où il a rencontré Braeden. « Nous les joueurs, on jouait pour beaucoup d'équipe différentes, explique Meyer. Parfois, certaines équipes donnaient un peu plus d'argent que d'autres, mais ça n'avait pas vraiment d'importance. »

Publicité

Cela avait plus d'importance pour Braeden. « C'est devenu une prise de position, indique-t-il à propos de son engagement dans une équipe juive, étant donné son histoire. Je n'ai pas eu affaire à un seul préjugé en Allemagne lorsque j'y vivais et je n'ai jamais entendu la moindre remarque antisémite. Mais en arrivant ici, dans ce milieu-là, j'ai bien sûr entendu plein de mauvaises choses sur les Allemands. Je me suis dit : "C'est mort, je ne suis pas comme ça." »

Photo Eli Marmur

L'équipe du Maccabi n'a jamais affronté les meilleurs talents de son époque en US Open Cup. La North American Soccer League, comptant des équipes intimidantes comme le New York Cosmos de Pelé ne participait pas à l'événement. Marmur dit que leur absence n'a jamais été un problème, car le Maccabi « était loin d'un tel niveau. »

Binshtock n'est pas d'accord. Il dit que les joueurs du Maccabi voulaient un match contre les Aztecs de Los Angeles de la NASL, mais « ils nous ont dit que ça ferait de la mauvaise publicité, car ils avaient peur de perdre. »

L'équipe n'a jamais fait le voyage à la CONCACAF Champions Cup non plus ; Binshtok dit que le problème c'était l'argent. « Il n'y avait pas d'argent, dit-il. [La direction] ne pouvait pas se tourner vers la communauté juive [pour obtenir des fonds] parce que bon, c'est que du foot. Tout le monde s'en tape. »

Le Maccabi ont gagné un cinquième titre en 1981 contre une équipe appelé les Brooklyn Dodgers et, en 1982, ont manqué leur 6e titre lors d'une défaite dans les arrêts de jeu contre le New York Pancyprian Freedoms, encore actif aujourd'hui. Rapidement après ça, ils ont totalement arrêté de jouer et se sont concentrés sur des programmes pour les jeunes. Mike Shapow – un gardien des premiers jours du club qui est resté dans la direction jusqu'à la fin – raconte que la recherche de fonds était devenue très difficile, ralentissant le recrutement de nouveaux joueurs alors que le noyau de l'équipe vieillissait. Maintenant, tout ce qui reste du club sont les fêtes occasionnelles, dont le rendez-vous du mardi soir de quelques-uns des joueurs à Il Forno à Santa Monica.

Bien que beaucoup d'équipes ethniques survivent en Amérique, dont plusieurs équipes juives, elles sont rarement brillantes en Open Cup. La performance la plus mémorable de cette décennie en Open Cup est sans doute celle d'une équipe amateure, le Cal FC, qui a fait tomber les Portland Timbers en 2012. C'est une équipe de bar qui était le chouchou des premiers tours de l'édition de cette année. Marmur pense qu'aujourd'hui, il est mieux que le foot ne soit pas centré sur l'ethnie, mais il garde de très bons souvenirs du parcours improbable de son équipe. « Qu'est ce que je peux vous dire ? Ces jours-là étaient spéciaux. »