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Quand les drag kings travaillaient pour la mafia

Il y eut une époque où les personnes ouvertement homosexuelles pouvaient se faire assassiner – à moins d'être protégées par des mafieux.

Dans un café de Chelsea, l'auteure et historienne Lisa Davis s'est penchée vers moi pour me raconter des ragots vieux de 40 ans. « Corinne voulait s'emparer de toutes les possessions de Lee, a-t-elle murmuré. Du coup, Lee a fait appel à la mafia. Ils ont envoyé Big George à Long Island, et le problème était réglé. Corinne a fini par céder, Big George est rentré chez lui, et Lee a obtenu la moitié des parts de l'entreprise. » Davis s'est arrêté de parler, le temps d'admirer mon expression perplexe. «Et oui », a-t-elle fini par lâcher. « À l'époque, la mafia était très équitable.»

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Bien que cela puisse paraître surprenant de savoir que des lesbiennes travaillaient pour le compte de la mafia, il fut un temps où tous les clubs gay de New-York étaient gérés par des mafieux. Davis est spécialisée sur cette période. Elle a également écrit Under the Mink, un roman policier qui se déroule dans les années 1930 et 1940, et suit des lesbiennes et des drag kings officiant dans des clubs gérés par la mafia. Dans les années 1960, Davis, alors jeune universitaire lesbienne, a sympathisé avec ces femmes, ce qui lui a permis de retranscrire leur histoire dans son roman. J'ai discuté avec elle de son livre, de la mafia et du monde merveilleux des drag kings.

VICE : Votre livre dépeint une époque qui est très peu documentée aujourd'hui. Vous n'avez clairement pas l'âge de l'avoir vécue – qu'est-ce que vous avez appris au cours de l'écriture de votre roman ?
Lisa Davis : Je connaissais une femme qui s'appelait Gayle Krumpkin – elle prenait le nom de scène « Gayle Williams » quand elle jouait au Club 181. C'était en 1964, je crois. Elle et ses amies travaillaient dans des bars. On pourrait penser que c'était du suicide de travailler pour la mafia en tant que lesbienne, mais elle m'a confié que c'était la meilleure chose qu'il lui était jamais arrivée. Elle avait beaucoup de photos à me montrer, et j'ai pris pas mal de notes quand elle m'a parlé de son temps avec la mafia.

À l'époque, les personnes ouvertement gay pouvaient facilement se faire tuer. La mafia était là pour les protéger.

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Vous pouvez me parler des bars de l'époque?
Ces clubs ont été inaugurés à la fin des années 1930. La foire internationale de New York a été organisée dans ces eaux-là, en 1939. Le maire LaGuardia a toujours été très puritain, mais il avait vraiment l'intention de nettoyer la ville. Le souci, c'est que tous les problèmes qui gangrénaient Times Square se sont déplacés à Greenwich Village – quartier dont la police se contrefichait.

Les clubs gérés par la mafia étaient très élégants. On y croisait fréquemment des stars de cinéma. La plupart des bars du Village étaient lesbiens. Les mecs étaient plutôt du côté de la 3 ème avenue, tandis que les filles étaient sur la 6ème. Le Village appartenaient vraiment aux lesbiennes, parce que c'était le territoire des suffragettes.

Comment ces femmes vivaient le fait de bosser pour la mafia?
Buddy Kent [un autre drag king de l'époque] m'a raconté que les mafiosi étaient très gentils envers la communauté lesbienne. C'était juste après la Grande Dépression. À l'époque, les personnes ouvertement gay pouvaient facilement se faire tuer – mais la mafia les protégeaient.

Les filles bossaient souvent en tant que serveuses, mais certaines d'entre elles sont devenues de véritables stars. C'était le cas de Blackie Dennis, une crooneuse incroyable. Il lui arrivait aussi de faire des strip-teases, chez Jimmy Kelly et ailleurs. Mais la plupart étaient des serveuses, certaines des drag kings, et quelques-unes bossaient aussi comme strip-teaseuses ou prostituées. C'était pour ça que la mafia aimait bien ces filles : elles pouvaient facilement tomber dans la prostitution. Mais ça ne semblait pas les déranger non plus ! Il y avait tellement d'argent à se faire.

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Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi les bars ont-ils fermé ?
La politique anti-mafia des années 1950 les ont décimés. De nombreux clubs ont fermé. Comment s'appelle ce type qui a écrit un bouquin sur la mafia, [Peter] Maas ? Il compare ça aux Démocrates et aux Républicains. Mais ils [le gouvernement] avaient besoin de se débarrasser de la Mafia parce qu'ils gagnaient beaucoup trop d'argent et ils ne pouvaient pas les contrôler. Oh, et la télévision. La télévision les a mis sur la paille. C'est la vie [ndt : en français dans le texte].

Buddy Kent, à gauche, et une connaissance

Qu'est-il arrivé aux femmes ?
Eh bien, Gayle a déménagé en Floride. Pour s'y laisser mourir, en gros. Lentement mais avec grâce. Elle a survécu parce que les gens qu'elle avait connu 50 ans auparavant dans les clubs l'ont rejoint. C'était le seul endroit où aller. Et, une fois de plus, tout le monde était réuni. Toni la strip-teaseuse, Sully Sullivan — qui n'était pas une jolie fille, plutôt du genre caricature de butch. Elles étaient toutes là : Toni, Sully, Gayle, une fille qui s'appelait Augusta Cohen (alias Gus Cole), et un Bill ou quelque chose du genre. Tout ce qu'ils faisaient, c'était se réunir et parler des filles qui travaillaient pour la mafia.

Jackie Howe et Buddy Kent géraient un truc appelé le Page 3, à l'angle de Charles Street et de la Septième Avenue. C'était un endroit immense. Maintenant c'est un rade mexicain je crois, mais c'était un vrai club du milieu des années 1950 jusqu'au milieu des années 1960. Les affaires marchaient bien jusqu'à l'arrivée de la télévision, selon Buddy.

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Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Lisa Davis