Dans une salle de lutte féminine, les hommes se font casser la gueule avec joie

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LE NUMÉRO TOUT CE QU'IL Y A DE PLUS PERSONNEL

Dans une salle de lutte féminine, les hommes se font casser la gueule avec joie

Bodybuilders, fétichistes, lutteurs, grands-pères ou soumis : tous viennent se faire défoncer la gueule pour la modique somme de 200 euros.

Les combattantes du club berlinois de lutte féminine prennent du plaisir à étrangler les hommes qui débarquent pour les affronter. Photos : Martina Cirese

Cet article est extrait du numéro « Tout ce qu'il y a de plus personnel »

Trouver l'unique salle berlinoise de lutte féminine n'est pas chose aisée. Lors de mon second rendez-vous avec sa fondatrice, Anna Konda, une musculeuse athlète de 120 kg, je me suis perdue. Tandis que je déambulais dans les rues de la ville, je me suis souvenue de ce qu'Anna m'avait promis par mail : « On va te transformer en lutteuse en quelques jours. » Pour ma première leçon, moi qui ne suis pas vraiment sportive, j'étais censée me battre contre Amethyst Hammerfist.

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En débarquant enfin dans la salle, située par hasard à côté d'un hôpital, j'ai noté la présence de trois combattantes en plein échauffement, vêtues de cuir et de lycra.

Anna et Red Devil, l'autre fondatrice du club, ouvrent leur porte aux femmes désireuses d'apprendre à se battre. Le jour de ma visite, elles accueillaient Amethyst, une lutteuse londonienne. Ces athlètes – capables de soulever jusqu'à 680 kg avec leurs jambes et d'éclater une pastèque avec leurs cuisses – se battent toujours en respectant leur adversaire.

« J'avais beaucoup de mal à canaliser ma colère », m'a précisé Amethyst quand je lui ai demandé pourquoi elle s'était mise à la lutte. Ses problèmes semblaient avoir disparu – adorable, elle me complimentait sur mes bras. « Tu as l'air balèze », disait-elle. Je savais qu'elle mentait.

J'admirais les trois lutteuses en plein combat. Il n'y avait pas d'arbitre ni de règles. Malgré tout, il était interdit de mordre, de griffer ou de tirer les cheveux des autres combattantes. Toutes luttaient avec fair-play, n'hésitant pas à s'arrêter quelques instants pour mettre en évidence un mouvement de qualité. Anna était incontestablement la plus forte. Soudain, ça a été à moi de me battre. J'en ai eu mal au ventre.

Je me suis mise à genoux sur le tapis de lutte, en face d'Amethyst, et ai ajusté ma queue-de-cheval. « OK, bon… », m'a-t-elle lancé en souriant. Le combat a débuté. Au bout de quelques secondes, nous étions déjà par terre, en train de rouler sur le tapis. Même si je n'ai pas beaucoup de force en moi, je me suis surprise à adorer ce moment.

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Pleine de confiance, j'ai accepté la proposition d'Anna de combattre avec elle dans un match « handicap », dans lequel je devais débuter la partie dans une position de dominante. Après m'être mise à cheval sur elle, j'ai tenté de maintenir ses bras au niveau du sol. « Super ! » m'a-t-elle dit pour m'encourager, tout en déplaçant ses hanches pour me faire lâcher prise. J'ai fini par être plaquée au sol, Anna appuyant fermement sur ma poitrine. Un sein débordait de son corset. J'avais du mal à respirer.

« On dit souvent que la lutte est le sport qui se rapproche le plus du sexe », a avancé Amethyst après mon combat. Ça explique sans doute pourquoi de nombreux mecs déboulent régulièrement dans le club d'Anna. « On trouve différents profils », m'a-t-elle expliqué. Si certains sont là pour le challenge sportif, la plupart veulent vivre l'expérience de la domination. Bodybuilders, fétichistes, lutteurs, grands-pères ou soumis : tous viennent pour se faire défoncer la gueule. Les sessions individuelles leur coûtent 200 euros.

« J'imagine que les stéréotypes autour du genre permettent de comprendre ce phénomène. Il est toujours intéressant de vérifier par soi-même si les femmes peuvent être plus fortes que nous, les hommes », m'a dit Paul avant son combat. Il en connaît un rayon sur le sujet : il est marié à Anna, et c'est lui qui l'a initiée aux joies de la lutte. Aujourd'hui, il se contente de gérer les réseaux sociaux de la salle de lutte de sa femme.

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Anna Konda, cofondatrice du club, tient fermement la tête d'un client entre ses jambes. La plupart des hommes qui passent par le club paient pour être dominés par les lutteuses.

Anna m'avait conseillé de faire un tour au musée Heinrich Zille, dans le centre de la ville. Zille a dédié à sa vie à peindre la classe ouvrière berlinoise au tournant du XXe siècle. J'étais à la recherche de toiles évoquant des salles de lutte féminine dans lesquelles des hommes pariaient 15 centimes sur le fait qu'ils pouvaient terrasser les combattantes. S'ils y arrivaient, ils repartaient avec 100 marks.

Les tableaux étaient introuvables mais je suis tout de même repartie avec une carte postale représentant et un homme et une femme en plein combat devant une foule hystérique. L'image datait de 1903.

Avant la chute de la République de Weimar, le statut des femmes en Allemagne était l'un des plus progressistes d'Europe. La montée en puissance du Parti national-socialiste a mis un terme à ces avancées. La femme modèle selon les nazis devait se contenter de rester au foyer.

Dominique a levé son verre pour trinquer « à l'amitié et à la soumission des hommes ».

À la fin de la guerre, l'occupation soviétique du territoire allemand a entraîné la création de la République démocratique allemande (RDA). Anna et Paul ont grandi à Berlin-Est durant la guerre froide. « Les succès sportifs étaient très nombreux à l'époque », m'a rappelé Paul. Les structures officielles ne faisaient pas de différence entre garçons et filles. Les jeunes femmes étaient incitées à développer leur masse musculaire. D'ailleurs, les relations hommes-femmes étaient bien plus équilibrées en Allemagne de l'Est qu'en Allemagne de l'Ouest.

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La réunification a compliqué cet état de fait. Aujourd'hui, l'Allemagne est régulièrement critiquée par le Parlement européen pour son non-respect de la parité. L'écart salarial entre les hommes et les femmes est l'un des plus élevés d'Europe et 40 % des Allemandes ont déjà été victimes d'agressions sexuelles.

Aux yeux des étrangers, une salle de lutte peut représenter un exutoire pour les femmes et un moyen de mettre à mal cette culture inégalitaire. C'est un endroit « où les femmes tiennent les rênes », comme me l'a précisé Anna. Mais les combattantes ne se réclament pas d'une quelconque idéologie. « Je ne m'intéresse pas aux questions de genre », m'a avoué Red Devil qui, dans la « vraie vie », est une chimiste reconnue.

Red Devil, co-fondatrice du club de lutte, pratique également les arts martiaux.

Deux semaines avant mon combat contre Amethyst, alors que j'étais assise sur une petite chaise en plastique située tout près du tapis de lutte, je regardais Anna et Dominique Danger – une haltérophile américano-libanaise ayant participé aux Jeux olympiques – poursuivre Paul autour de la pièce. Ce dernier n'a pas tardé à être rattrapé, puis à être maintenu au sol.

Les deux lutteuses lui tiraient les bras, lui marchaient dessus, le giflaient. Par la suite, Anna a ramené un petit banc en bois et Dominique y a installé Paul, avant de le chevaucher. « T'aimes ça, être étranglé ? » lui a-t-elle demandé en mettant tout son poids au niveau de son estomac. « Je ne sais pas si tu aimes mais moi, j'adore ça », a-t-elle poursuivi.

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Dominique mesure moins d'1m60 et pèse près de 100 kg. Ses longs cheveux rouge écarlate étaient coiffés en natte, afin qu'elle ne soit pas dérangée pendant ses combats. Elle m'a raconté des tas d'histoires incroyables, comme celle mettant en scène le père de Sean Paul, qu'elle a rencontré en Jamaïque lors d'une cure de désintoxication. En plus de prendre part à des combats contre d'autres femmes, Dominique fournit des services non sexuels à des clients masculins désireux de se faire casser la gueule et dominer par une femme. Malgré le fait qu'elle puisse être payée par des mecs pour les frapper, pas mal de gens remettent en question son statut de femme combattante.

« On me demande très souvent si j'ai une bite, et je suis obligée de répondre "non" », m'a-t-elle dit l'air résigné. Anna m'a raconté que des mecs avaient accusé les membres de son club de consommer régulièrement des stéroïdes. Et Dominique de préciser : « Tout cela vient de l'habitude qu'ont les hommes de critiquer les femmes qui auraient le malheur d'être indépendantes. »

Contrairement aux lutteuses berlinoises, Dominique travaille sans posséder de local. Elle se rend dans des chambres d'hôtel afin de délivrer ses services. Elle m'a affirmé que certains clients avaient déjà tenté de la tuer. « La plus grande peur des hommes est de se laisser aller, m'a-t-elle dit. Quand ils comprennent que vous êtes capable de mettre votre pied à l'intérieur de leur cul, ils deviennent méchants. C'est de l'arrogance, tout simplement. »

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Tandis que le combat se poursuivait, Dominique a forcé Paul à se mettre au sol. Anna en a profité pour le menotter puis positionner sa tête contre le banc – avant de s'asseoir sur son visage. À plusieurs reprises, elle s'est relevée et lui a permis de reprendre son souffle, tel un prisonnier soumis à une séance de waterboarding. J'avais beau savoir que j'étais face à des adultes consentants, je me sentais assez mal à l'aise. J'avais envie de tendre un verre d'eau à Paul.

Le combat prenait fin, et Anna a décidé de se relever. « C'est l'heure de la cage, non ? » a-t-elle demandé.

« Oui, s'il te plaît, mets-moi dans la cage », lui a répondu Paul.

Dans un coin de la salle se dressait une cage matelassée entièrement noire, pouvant accueillir sans mal un chien de taille moyenne. Paul a rampé à l'intérieur et s'est assis les jambes croisées, le dos voûté.

« Maintenant, on peut s'amuser », a dit Anna en souriant. Elle a alors ramené une bouteille de champagne et une boîte de cookies nappés de chocolat. Elle et Dominique se sont assises sur la cage et ont débouché le champagne.

Dominique a levé son verre pour trinquer « à l'amitié et à la soumission des hommes ». Puis elle l'a porté à ses lèvres et a vanté la qualité du champagne. « Il vient d'Allemagne ? » a-t-elle demandé.

« Non », a répondu Anna. « Je crois qu'il vient de France. »

Le silence régnait dans la salle. À ce moment-là, une voix a surgi : celle de Paul, installé dans sa cage.

« Je crois qu'il vient d'Espagne. »