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Food

Comment j'ai quitté l'Éducation nationale pour intégrer une brigade

J'étais à fond dans mon job d'instit' mais si je n'avais pas saisi cette opportunité de bosser en cuisine, je n'aurais jamais su que j'étais fait pour ça.
Foto von Olle Svensson via Flickr

J'ai grandi dans une cuisine. Mes grands-parents possédaient différentes tables à Los Angeles et j'ai commencé à aimer la bouffe et le monde de la restauration tout petit en faisant la navette dans les jambes des serveurs et des cuistots.

À seize ans, j'ai naïvement cru être assez mature pour travailler dans une cuisine professionnelle. J'ai été pris en stage chez Lucques mais j'ai détesté ça. C'était prévisible. Il faisait chaud et l'ambiance était méga stressante, je n'étais pas prêt à ce moment-là de ma vie. J'adorais toujours cuisiner et manger chez moi, mais j'avais complètement perdu la foi nécessaire pour en faire mon métier.

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J'ai donc continué ma vie en faisant ce que tout le monde attendait de moi. J'ai eu mes diplômes et j'ai finalement décroché un « vrai » boulot : instituteur en primaire. Je tenais toujours un blog sur lequel je parlais de mes expériences culinaires – j'adore écrire sur la bouffe. À côté de ça, je pensais kiffer mon job : bosser avec des gosses était très enrichissant et j'avais deux mois de vacances chaque été – le rêve. Jusqu'à ce que je me demande un beau jour, « est-ce que je veux vraiment faire ça toute ma vie ? »

Pile au moment où mon cerveau s'interrogeait sur les choix de carrière à faire, j'ai compté parmi mes élèves la fille de Neal Fraser. Pour ceux qui ne le savent pas, Neal Fraser est un des membres du jury de Top Chef Masters aux États-Unis. C'est un chef très respecté à Los Angeles où il a géré plusieurs restaurants. À chaque fois qu'il venait la chercher après les cours, on avait de longues discussions à propos de la gastronomie. Je pense qu'il avait compris à quel point le sujet me passionnait. Un jour, alors qu'il attendait que sa fille ait fini de rassembler ses affaires, il est venu direct me dire : « Tu devrais démissionner et venir bosser avec moi. »

J'avais des responsabilités en classe, mais elles ne ressemblent pas à celles que j'ai en cuisine.

Évidemment, après une telle bombe, je n'arrivais pas à me sortir sa proposition de la tête. Qu'est-ce que j'ai à perdre ? Je savais que si je voulais retenter ma chance en cuisine, c'était le moment ou jamais. J'approchais la trentaine et le temps passe vite. Quelques jours après cette offre alléchante, je posais deux semaines de congés et j'allais le rejoindre. Sans aucun regret.

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Cela fait plus d'un an maintenant que je travaille pour lui.

Au départ j'étais hyper flippé parce que certaines tâches m'étaient inaccessibles, mais chaque jour était composé de petites victoires et ça me suffisait pour évacuer le stress. Travaillant à côté d'autres cuisiniers hypertalentueux, j'avais surtout un gros manque de confiance en moi. Même les trucs les plus simples comme ; me déplacer dans l'espace de travail ou savoir quand crier « Chaud devant ! », ont été compliqués à apprendre. J'ai appris – à la dure – qu'on ne pouvait pas faire de « vraie pause » pendant le service et qu'arriver à l'heure, c'était avoir 30 minutes d'avance sur le planning.

J'ai connu quelques moments gênants. Comme la fois où j'ai fait rire toute la brigade en débitant une pastèque sur la même planche à découper que celle utilisée pour les oignons. Ni le jour où j'ai accidentellement perdu un bout de doigt dans le tranche viande, apprenant du même coup que la blessure est un des trucs les plus égoïstes qui puissent arriver au sein d'une brigade. Malgré tous ces moments désagréables, j'ai appris des choses inestimables.

La plus stimulante ? L'idée de responsabilité. Si un truc pas net sort de votre plan de travail, vous ne pouvez blâmer personne d'autre que vous-même. J'avais des responsabilités en classe, mais elles ne ressemblent pas à celles que j'ai en cuisine. Tous les petits détails que je dois gérer se sont subitement retrouvés dans mon quotidien : faire le tri dans mes déchets, découper mes légumes pour qu'ils fassent tous la même taille. Je suis passé de bordélique invétéré à control-freak organisé et fière de l'être.

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Autre changement drastique avec mon précédent boulot ; le salaire qui a vachement baissé. Heureusement, j'ai pu compter sur l'aide d'amis et de proches qui comprenaient ma passion et voulaient me soutenir financièrement. Je n'ai clairement pas changé de carrière pour me faire du blé. Quand tu bosses avec des types qui se défoncent en cuisine (et qui doivent parfois cumuler jusqu'à trois petits boulots pour joindre les deux bouts), tu apprends à la boucler, à ne pas t'apitoyer sur ton sort et à bosser encore plus dur.

En tant que blogueur, je lisais religieusement tout ce qu'il pouvait s'écrire sur la bouffe et le métier de chef. J'étais d'ailleurs devenu pour mes amis une référence en la matière vu que je m'étais dévoué pour explorer le riche paysage culinaire de Los Angeles et sa région. Mais lire des critiques de restaurants ou regarder des vidéos de recettes, ça n'a strictement rien à voir avec l'expérience de bosser dans le secteur.

la bière bien fraîche après le taf n'a jamais été aussi bonne.

Travailler dans une cuisine a radicalement changé ma façon d'apprécier le fait de sortir au restaurant. Avant de commencer à cuisiner pour de l'argent, manger dehors pouvait parfois ressembler à une sorte d'expérience magique, du genre « wahou ! Mais comment ont-ils pu faire ça ? Qui penserait à combiner ces deux trucs dans un même plat ? ». Maintenant que je suis dans l'envers du décor, c'est toujours aussi cool, mais plutôt du genre « hey, je pourrais réussir à faire ça moi aussi. Peut-être. » J'ai l'impression de découvrir tous l'envers du décor. Après c'est une question de respect. J'arrive beaucoup mieux à apprécier le travail derrière chaque plat et je suis évidemment plus critique sur l'expérience que propose le resto à ses clients ainsi que la dynamique qui existe entre la cuisine et la salle.

Travailler en cuisine a également amélioré ma conception de la popote. Prenons par exemple cette tourte au poulet qu'on sert au restaurant. En apprenant à faire cette tourte, j'ai assimilé plein de petites techniques de pro dont je n'avais jamais entendu parler avant de travailler au sein d'une brigade. Le chef m'avait fait refaire la recette un nombre incalculable de fois, jusqu'à ce qu'il estime que ma tourte était prête à être envoyée en salle. Cuisiner correctement un plat est plus gratifiant que tout ce que je pouvais faire chez moi en amateur.

Ce job comporte de véritables challenges perso, mais on apprend à gérer ça. Ma consommation de café a doublé, et la bière bien fraîche après le taf n'a jamais été aussi bonne. Le principal désavantage, c'est que je suis constamment grognon parce que je ne fais que trop rarement de bonnes nuits de sommeil réparateur. Ce n'est pas très grave puisqu'en cuisine, tout le monde fait la même gueule. Entre grincheux, on se comprend.

La cuisine est un lieu brut où je peux être qui je veux et faire ce que je veux. Je n'ai plus besoin d'afficher une apparence professionnelle. Je sais maintenant que je vais faire ça toute ma vie. Si je n'avais pas pris ce risque, je serais passé à côté de ça. On a beau avoir plusieurs opportunités dans la vie, si on ne saisit pas celle qui compte au moment adéquat, elle risque de ne plus jamais se représenter.

Propos recueillis par Javier Cabral