Comment la France a aidé McDo à dominer le monde
Illustration de Lia Kantrowitz

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Comment la France a aidé McDo à dominer le monde

José Bové, les potatoes, le McDeluxe ou Fabien Barthez : ils ont tous contribué à faire de la France un modèle à suivre pour l'enseigne.

Comment l'irréductible pays gaulois s'est laissé « envahir » par McDo et ses légions pour devenir le deuxième marché du géant du fast-food ? Stanislas Kraland, auteur du documentaire « McDo, une passion française » diffusé sur Arte, revient sur les liens inextricables qui unissent le pays de la bonne chère à la firme américaine.

À la fin des années 1950, si vous demandiez à un Français bouffeur de camemberts quelle idée il se faisait de l'enfer, il aurait probablement évoqué le frometon industriel – celui confectionné avec du lait pasteurisé qui le prive de ses plus belles odeurs et de ses meilleures saveurs.

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Prenez ce même Français un demi-siècle plus tard. Il a cru un temps pouvoir sortir du système en collectivisant la production de Coulommiers (au lait cru) mais tout a basculé. Le mur de Berlin s'est pété la gueule et le bloc soviétique s'est disloqué. À l'ouest, portée par un vulgaire acteur de western, Ronald Reagan, la mondialisation a triomphé.

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La preuve, le 31 janvier 1990, les Russes font, dans ce qu'on imagine être un froid de moujik, la queue à l'occasion de l'ouverture du plus grand McDonald's au monde, place Pouchkine, en plein cœur de Moscou.

Dès lors, sur quel champ poursuivre la bataille contre le grand capital ? À cette époque, Paul Ariès, le Français à qui l'on fait référence depuis le début de l'article a une épiphanie : c'est sur le terrain de l'alimentation que la lutte doit être menée.

Pour cet intellectuel, militant anti-mondialisation et théoricien du combat anticapitaliste, l'ennemi incarne l'antithèse de l'aliment local. Il est américain par essence, industrialisé en vue de servir des dividendes à d'avides actionnaires, mauvais pour le corps et donc pour l'esprit. Bref, cet ennemi tout désigné est un symbole ; c'est le Big Mac.

Personne ne pouvait imaginer que Quick serait placé sous tutelle de l'État et que la France deviendrait le premier marché de McDo derrière les États-Unis.

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Paul Ariès s'attelle immédiatement à la tâche et publie le 1er janvier 1999 un Petit manuel anti-MacDo à l'usage des petits et des grands, véritable réquisitoire contre le géant US. Problème, ce livre, presque personne ne le lit. Et pour cause, la France va bien. L'année précédente, les Bleus ont remporté la Coupe du monde de football pour la première fois de leur histoire.

Les joueurs, Zinédine Zidane, Didier Deschamps ou Lilian Thuram, ont été érigés au rang de héros nationaux. C'est le triomphe de la France black-blanc-beur, l'incarnation par le foot de la réussite du modèle d'intégration républicain. Et puis il y a Fabien Barthez, le gardien de but de l'équipe de France, qui va encore plus loin.

Rajoutez quelques graines de sésames sur son crâne et vous obtenez un bun de Big Mac. McDo saute sur l'occasion et dans un spot publicitaire diffusé à la mi-temps des matchs, rejoue le rituel de Laurent Blanc avec son coéquipier : un pain rond qui devient un crâne, et pour finir le gardien des Bleus qui embrasse le Big Mac sur le bun. L'enseigne américaine n'allait pas se priver, elle est partenaire officiel de la compétition.

En 1998, tous les petits français mangent des Big Mac. La firme, qui mène depuis son implantation en France, vingt ans plus tôt, une politique immobilière agressive pour saisir les meilleurs emplacements a bouté hors du pays son principal concurrent – un certain Burger King. Seul le belge Quick, manifestement plus doué en matière d'investissements, résiste.

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À cette époque pourtant, McDonald's dans une situation précaire. Aux ados qui écoutent du Limp Bizkit en s'empiffrant de Nuggets s'opposent encore quelques vieux schnocks qui croient aux vertus transcendantales de la nourriture. Il se murmure un peu partout et d'une manière presque instinctive chez une bonne partie de la population que McDo, c'est de la merde.

Personne ne peut alors imaginer que dix ans plus tard, McDonald's deviendrait le premier restaurant de France. Que Quick serait placé sous tutelle de l'État et que la France deviendrait, en terme de chiffre d'affaires, le premier marché de McDo, juste derrière les États-Unis.

L'OMC vient d'autoriser les États-Unis à surtaxer les importations de plusieurs produits européens dont le Roquefort, du coup les types en bras de chemise qui sentent la chèvre sont remontés à bloc contre McDo.

D'où cette question élémentaire ; comment ce qui ne devait jamais arriver, arriva ? Pour mieux comprendre les phénomènes qui suivent, il faut s'attarder sur un des principes les plus couramment ignorés par l'humanité. Celui des conséquences inattendues.

D'après ce concept, forgé par le sociologue Robert K. Merton, l'onde de choc de toute décision prise en vue de servir une certaine finalité peut s'étendre bien au-delà de celle-ci, voire se révéler in fine contre-productive vis-à-vis de l'objectif désigné. C'est peu ou prou ce que résume un célèbre adage français selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions.

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En 1999. Le Larzac est un haut plateau karstique situé dans le sud du Massif Central, l'une des principales chaînes montagneuses françaises. D'aucuns diraient que c'est le trou du cul monde et ils n'auraient pas complètement tort. Mais c'est un beau trou du cul peuplé de rochers dolomitiques, de mouflons et de genettes et dont l'un des parcs nationaux, les Grands Causses, est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Le plateau est surtout célèbre pour avoir été le témoin d'un soulèvement pendant les années 1970. L'État français ayant décidé d'agrandir une base militaire, hippies, néo-ruraux, militants anticapitalistes de toutes sortes s'y étaient fédérés pour faire barrage au projet devenu le symbole du militarisme dans un monde qui aspirait à la paix et à l'égalité entre les peuples.

Parmi les leaders de ce mouvement du Larzac, un jeune militant pacifiste, antimilitariste et plus ou moins anarchiste, fait son trou. Il s'appelle José Bové. En 1976, il avait fini par s'installer définitivement sur le plateau pour y élever des brebis, dont le lait servait à fabriquer des fromages, notamment du Roquefort, et des yaourts commercialisés en vente directe.

Les militants de la Confédération paysanne débarquent armés de tracteurs et de tracts appelant au soulèvement contre la MacDomination.

En cet été 1999, les militants de la Confédération paysanne, José Bové en tête, l'ont particulièrement mauvaise. En réponse au refus de l'Union européenne d'importer des steaks hachés de bœuf américain élevé aux hormones, l'OMC vient d'autoriser les États-Unis à surtaxer les importations de plusieurs produits européens dont le Roquefort.

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Dans le Larzac, l'assemblée de paysans se réunit en congrès pour écouter un intellectuel venu leur prêcher la bonne parole, il s'agit de Paul Ariès. Ce dernier les éclaire, les motive et les harangue. Résultat, les types en bras de chemise qui sentent la chèvre sont remontés à bloc contre McDonald's.

Coïncidence, il se trouve qu'un McDo est en cours de construction pas loin, dans la bonne ville de Millau. Ça va faire mal. Ça fait mal. Les militants de la Confédération paysanne débarquent armés de tracteurs et de tracts appelant au soulèvement contre la MacDomination. En quelques heures, le restaurant est « démonté » selon l'élément de langage officiel. En réalité, c'est un saccage. José Bové est arrêté, il passe sur toutes les chaînes de télé.

Imaginez un homme pas très grand, mais vif, malin, engagé et doté d'une belle et ample moustache. Demandez à un français qui cela lui rappelle et il vous répondra peut-être José Bové, et plus certainement Astérix le Gaulois, ce personnage de BD qui vit avec son pote Obélix dans le dernier village qui résiste encore et toujours aux Romains.

Quelques villageois seuls contre un empire qui voudrait les soumettre ? L'affaire du démontage du McDonald's de Millau titille quelque chose dans l'inconscient collectif français. Chez McDonald's France on garde son calme mais on le sait, plus rien ne sera jamais comme avant. Finie l'idylle entre les Français et la malbouffe.

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McDonald's rompt le sacro-saint principe de l'uniformité de la carte pour introduire de nouveaux produits comme le Royal Deluxe, avec sa sauce moutarde « à l'ancienne ».

La terre, elle, ne ment pas, avait affirmé le Maréchal Pétain. Désormais, tout le monde a bien en tête que, McDo, c'est peut-être bien de la merde.

Mais la riposte du géant sera multiple et ingénieuse. Son artisan s'appelle Denis Hennequin. Il a commencé tout en bas de l'échelle comme stagiaire équipier, en 1984 avant de grimper tous les échelons jusqu'à devenir PDG de l'enseigne en France.

Premier chantier, l'offre : McDonald's rompt le sacro-saint principe de l'uniformité de la carte pour introduire de nouveaux produits. Le McDeluxe, depuis rebaptisé le Royal Deluxe, avec sa sauce moutarde « à l'ancienne ». Suivra un nombre incalculable de sandwichs incluant des aliments qui font français dans leur recette : fromage à raclette l'hiver, bœuf charolais, ou encore croque-monsieur.

Un Croque-McDo via Flickr user Richard Allaway

McDonald's France prend même le risque de toucher au mètre étalon, le Big Mac, en en proposant une version au pain complet. Questions frites : à l'inénarrable McCain 5x5 on ajoute les potatoes, des pommes de terre frites toujours, mais avec une forme de pomme de terre et une sauce qui rappelle le goût de la sauce à la crème fraîche de chez Mamie. Leur créateur, le chef de l'innovation, un certain Alain Cojean.

Parallèlement à la recherche et au développement, on fait du marketing, donc des études. Surprise, on se rend compte que les Français ne sont pas comme les Américains. Ils aiment s'asseoir, manger, discuter le bout de gras et non pas engloutir un quarterpounder au volant de leur Chrysler en tachant leur chemise.

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McDonald's entreprend un immense chantier, la réinvention de tous ses points de vente pour les transformer en lieu accueillant et chaleureux. La comparaison avec leurs équivalents US à la lumière blafarde et à l'ambiance morbide ne tient plus. McDonald's veut être… un restaurant.

Exit le logo rouge, terminé les pubs avec Ronald McDonald's, on change l'image pour donner, dans une société crispée, celle d'une marque moderne et ouverte sur la diversité, avec pour seul mot d'ordre : « Venez comme vous êtes ». Un slogan créé par l'agence BETC qui sera repris par l'enseigne à l'international pour devenir « Come as you are ».

Dans un pays en proie à un chômage endémique dans les campagnes, l'ouverture d'un McDonald's, c'est aussi la promesse de dizaine d'emplois pour la commune. Et ça, les maires ont tous fini par le comprendre.

La riposte est également idéologique. Aux militants de la Confédération paysanne McDonald's répond en s'installant en 2001 au Salon de l'agriculture, la grande messe agricole française. Il faut imaginer ce que c'est, des milliers d'animaux et d'agriculteurs déportés de leur campagne vers la plus grande ville de France.

La marque s'y dote d'un stand qui ne fait pas dans la discrétion. Et pour cause, ils ont une vérité à faire savoir : ils sont l'un des premiers clients de l'agriculture française. Surprise. Vos frites et vos biftecks ne viennent pas d'Amérique. Tout est produit à domicile, dans vos campagnes, par vos exploitants agricoles. OK, les graines de sésame viennent du Mexique, mais 70 % des ingrédients sont français. Le reste, européen.

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Dans un pays en proie à un chômage endémique dans les campagnes, l'ouverture d'un McDonald's, c'est aussi la promesse de dizaine d'emplois pour votre commune. Et cela, les maires, qu'ils soient de droites ou de gauche, ont tous fini par le comprendre. Si bien que McDonald's serait aujourd'hui, avec 70 000 employés dont 80 % de CDI, le premier employeur de France.

Avec près de 1400 restaurants, 2 millions de repas servis chaque année, et plus de 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, la France s'est donc imposée comme le modèle d'adaptation à suivre pour l'enseigne.

En témoigne le parcours de Denis Hennequin promu à la tête de la division Europe du géant américain, pour appliquer sa recette – raison pour laquelle on a trouvé, pendant un temps, des hamburgers au parmesan dans les restaus italiens de la franchise.

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Bref, le McDonald's made in France fait recette, au point de dupliquer le modèle dans le monde entier. À quoi ressemblera le McDonald's de demain ? Sans doute à la forme qu'il prend en France, avec ses cafés, ses fruits bios et probablement bientôt, ses hamburgers aux steaks végétariens.

Les actionnaires de McDonald's peuvent donc remercier Paul Ariès et José Bové. Ces deux derniers, auraient-ils été pris au piège d'une conséquence inattendue ? Question de point de vue. Si grâce à eux, la MacDomination s'est un peu plus étendue, ils ont aussi contribué à ce que le géant de la malbouffe devienne… un peu moins américain.