La meilleure huile d'olive d'Angleterre se cache entre les ampoules et les multiprises

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La meilleure huile d'olive d'Angleterre se cache entre les ampoules et les multiprises

Au milieu des halogènes et des fusibles avec Mehmet Murat, électricien londonien accessoirement vendeur de la meilleure huile d'olive du Royaume-Uni.

Il y a un vieux dicton qui dit que c'est dans les endroits les plus inattendus qu'on trouve les plus belles perles. Un adage qui se vérifie dans la petite quincaillerie de Clerkenwell, un quartier du nord-est de Londres.

Au milieu des multiprises, des fusibles et des cartons d'ampoules fluorescentes, l'Embassy Electrical Supplies stocke des bouteilles de la meilleure huile d'olive de Londres. Ce n'est pas du baratin, tout le monde le dit. De Gordon Ramsey au trimestriel local The Jellied Eel en passant par le New York Magazine, pour qui c'est carrément « la meilleure de toute l'Angleterre ».

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Dans les rayons de l'Embassy Electrical Supplies à Clerkenwell. Toutes les photos sont de l'auteur.Elle est devenue célèbre…

D'origine turco-chypriote, Mehmet Murat gère le magasin qu'il a ouvert en 1980. Ses amis l'appellent « Mem » mais les connaisseurs l'ont baptisé « Mister Olive Oil ». Électricien de formation, Murat jongle avec les deux casquettes. Il parle déjà de son business d'huile d'olive – démarré en 2002 – comme d'une institution familiale.

« » dit-il dans un sourire avant d'être interrompu par un client.

« Salut. J'ai besoin d'une ampoule 58 watts à lumière blanche 5-3-5. »

« Je n'ai pas ce modèle. J'ai une 8-3-0. Ce sera plus lumineux. »

« Mais plus cher en énergie aussi, non ? »

« Non, la puissance est la même, c'est juste plus lumineux. »

Une fois la transaction effectuée, on revient à nos moutons : l'huile d'olive. Et l'histoire commence sur l'île de Chypre.

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Mehmet Murat, électricien et propriétaire de l'Embassy Electrical Supplies.Mon père, paix à son âme, était le barbier du village de Louroujina et, à cette époque-là, le barbier faisait aussi office de dentiste. Le genre de dentiste à devoir utiliser des sangles et des grosses pinces. Il voyageait aussi pas mal autour de Chypre pour le compte de la famille du tout premier président turc de Chypre. Il vérifiait les dents des mules qui devaient être vendues à l'Armée Britannique pour aller en Égypte. C'était les années 1940

« », ajoute-t-il en voyant mon regard un peu stupéfait devant cette genèse.

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« Avec cet argent en poche, il est revenu à Louroujina et il a acheté un petit bout de terrain à côté du village. Avec ma mère, ils y ont planté des oliviers. Ma mère était enceinte de moi quand ils ont planté le premier verger. »

Mem n'a vécu à Chypre que cinq ans. En 1955, sa famille émigre à Londres. C'est avec un accent de gentil commerçant londonien qu'il me parle du dépaysement qu'il a ressenti à l'époque. L'écart est assez amusant. J'ai du mal à l'imaginer, enfant, désarçonné par de la neige fondue et les bus à impériale. Les fenêtres étant tellement petites et le chauffeur étant séparé des voyageurs, il pensait que ces bus étaient des paniers à salade.

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L'huile d'olive chypriote en vente dans l'échoppe de Murat.On s'est rendu à la presse avec les olives et on y a balancé les citrons. Les olives ont juste pris l'essence des citrons, on a enlevé la peau et le jus. Dans toute la pièce on sentait le bon parfum des agrumes

Son père a alors exercé les métiers de barbier, de ponceur et d'ouvrier dans une fabrique de fromage. Pendant ce temps-là, Mem finissait ses études et devenait électricien. Il a ensuite acheté le magasin où nous nous trouvons actuellement, pour 1 400 £ (1 500 € environ) en 1979.

Depuis le temps, les oliviers avaient commencé à donner des fruits et les olives des Murat étaient rachetées par une coopérative chypriote qui s'occupait de les presser. La mise en bouteille de l'huile était effectuée en Italie. Quand Mem a hérité des parcelles d'oliviers en 2002, il a saisi l'opportunité, repris le contrôle sur la production et décidé de vendre l'huile lui-même.

La première fournée que Mem a supervisée a été infusée avec du citron. Lorsqu'il se remémore ces récoltes, les yeux de l'électricien brillent de nostalgie.

« . »

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Le matériel électrique à vendre.New York Magazine

Il a ensuite envoyé l'huile en Angleterre, dans son magasin. Elle était alors contenue dans de gros bidons et il lui suffisait de remplir des bouteilles de vin vides si quelqu'un voulait lui en acheter. C'est en 2006 que l'affaire a subitement pris de l'ampleur. Le a sorti le fameux article où l'huile de Mem est décrite comme « la meilleure huile d'olive de toute l'Angleterre ». Aujourd'hui encore, l'appellation est affichée fièrement sur une étagère du magasin. Depuis, les années se suivent et l'huile de l'électricien a toujours autant la côte dans les médias. En 2012, elle est même apparue dans une émission télé de Gordon Ramsay.

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Depuis, les affaires marchent de mieux en mieux. Il vend même d'autres spécialités chypriotes (citrouille confite, paprika doux, confiture de grenade) et fournit des restaurants londoniens comme Oklava. Pour répondre à la demande, il a acheté une ferme de 45 acres à Koycegiz en Turquie, en face de Rhodes, sur laquelle 2 500 oliviers produisaient déjà cinq tonnes d'olives par an. L'exploitation était gérée par son feu beau-frère, Axipa. Son le site internet de l'huile, Mem le décrit comme « un pilier plein de force sur lequel je pouvais m'appuyer. » En se souvenant de tous ces bons moments où ils cherchaient des câpriers ensemble, ses yeux brillent à nouveau.

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Un autre client entre pour acheter des fusibles. Une fois reparti, j'en profite pour demander à Mem s'il préfère vendre du matos électrique ou de l'huile. Mais j'ai déjà ma petite idée de sa réponse.

« Quand tu produis quelque chose et qu'on te dit que c'est bon, c'est… », il s'arrête, le sourire aux lèvres. « J'ai dû être l'un des premiers à rapporter de la bonne huile d'olive dans ce pays et les gens ont pu réaliser ce que c'était. Ça les a surpris. Et maintenant que les gens sont plus au courant, d'autres commencent à commercialiser de la bonne huile d'olive », explique-t-il, éludant son statut de pionnier dans le secteur.

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Je saisis une bouteille pour l'observer de plus près. Je remarque que sur l'étiquette, ce n'est pas une photo de Mister Olive Oil qu'on peut voir mais une photo de ses parents.

Ça doit lui faire tout bizarre de faire remonter l'origine de son huile d'olive aux premiers plants installés par son père et sa mère.

« Ouais, c'est vrai », me dit-il presque timidement. « J'en retire une certaine fierté. »

On dit que rien n'est plus fort que les liens du sang. Mais chez les Murat, ces liens sont intimement liés à un bon filet d'huile d'olive.