Foie gras pour tous : le chef qui voulait rendre la gastronomie moins snobinarde
Foie gras funnel cake. All photos courtesy of Otium

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Food

Foie gras pour tous : le chef qui voulait rendre la gastronomie moins snobinarde

Mon rapport à la cuisine a évolué. Aujourd'hui, je n'ai pas besoin de dix-neuf verres à vin différents ou de douze couverts en argent pour apprécier un repas.

Quand je bossais pour The French Laundry, il n'y avait pas un jour sans foie gras – ou presque.

Pendant ces treize années où j'y ai travaillé, on en a préparé de toutes les façons possibles et imaginables. Quand j'ai ouvert l'Otium, juste à côté du Broad Museum à Los Angeles, j'ai voulu servir un foie gras plus « accessible ». Accompagné de pain toasté, c'est du déjà-vu. Je voulais quand même proposer quelque chose de différent. En transformant le toast en « funnel cake », par exemple.

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Je viens d'une famille nombreuse. C'est probablement pour ça que je pense à mélanger des ingrédients haut de gamme avec des produits plus basiques. J'ai grandi avec des plats « maison », loin de la grande cuisine. Pour vous dire, je n'ai pas mangé de poisson avant mes dix-neuf ans. Le fait d'avoir été élevé avec des choses simples et d'avoir ensuite été formé à un métier aussi technique que celui de chef, voilà les deux inspirations à la source de mon menu mettant à l'honneur la Nouvelle Cuisine Américaine. Je mange des chilaquiles au déjeuner et Coréen au dîner. En tant qu'Américain, c'est l'idée que je me fais de la Cuisine Américaine.

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Poulet rôti

Je propose également du pain perdu – qu'on peut trouver clairement n'importe où. Je sers le mien avec des truffes et je le fais cuire dans un donabe japonais avant d'ajouter de la fumée : c'est donc un pain perdu fumé. C'est un autre exemple de ma vision de la cuisine : j'améliore un classique sans le rendre snob. Je ne cherche pas à me la péter. Je veux juste rendre la bouffe plus simple et fun. Et si jamais vous n'aimez pas ce que je sers, eh bien vous n'aimez pas mon resto et tant pis.

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Tartare de boeuf

J'en ai juste marre de faire des plats tarabiscotés. Je veux toujours travailler avec des ingrédients incroyables, mais pas avec le degré de précision et de folie qui les accompagnent. À la French Laundry, une adresse qui apparaît dans tous les guides, on faisait quatre-vingts couverts chaque soir – mais parmi tous ces gens, qui est vraiment ému par ce que vous cuisinez ? Dans mon restaurant, je veux pouvoir toucher des personnes comme ma famille, donc j'essaye de ne pas proposer des choses qu'ils ne voudraient pas manger. Je ne suis pas le seul chef à réfléchir de la sorte, d'ailleurs.

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Je n'ai pas besoin de dix-neuf verres à vin différents ou de douze couverts en argent pour apprécier un repas.

En résumé, est-ce qu'on peut débarquer en jeans-basket et avoir une belle expérience culinaire avec des truffes, du caviar et du foie gras. Ce n'est pas pour critiquer les restaurants gastronomiques, mais je ne veux plus faire de réservations deux mois à l'avance. Je ne veux plus m'habiller classe. Et j'ai finalement réalisé que trois heures pour un repas, c'est trop, ça me fatigue. J'ai une overdose de bouffe et de boisson avant d'avoir fini.

Little Gems

Petits bijoux

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase, c'est quand j'ai réalisé à quel point j'étais stressé au quotidien parce que j'avais peur de ne pas faire quelque chose de parfait en cuisine. Mais les gens ne remarquaient même pas les ratés. J'ai compris que je pouvais vous servir un plat avec dix imperfections qui ne me plaisaient pas sans que vous ne le notiez. Je me suis rendu compte que je me prenais le chou sur des détails infinitésimaux. Je viens d'une cuisine très réputée avec laquelle j'ai gagné des James Beard Awards et participé aux Bocuse d'Or – j'en sors, donc je ne cherche pas à refaire The French Laundry.

falafel

Falafel

_Quand j'y travaillais encore, je me souviens que je demandais pourquoi le menu changeait quotidiennement. Bien sûr, c'est un challenge qui pousse un chef à s'améliorer, mais je m'interrogeais : _Pourquoi je change tout alors que le menu qu'on a proposé hier était déjà parfait ?_ J'avais trente-trois ans et je faisais mon premier burn-out. Quand j'ai pris la décision de quitter The French Laundry, personne ne m'attendait à la sortie pour me proposer du boulot. J'ai d'abord songé à ouvrir un resto de tacos, mais une opportunité est apparue à l'Otium et je l'ai saisie. Je m'étais d'abord posé quelques questions : qu'est-ce que représente un restaurant, pour moi ? Quel objectif je veux atteindre si j'en ouvre un ?_

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Vivaneau sur du riz

Pour moi, un restaurant c'est à la fois un endroit où des voisins peuvent se retrouver sans se prendre la tête pour manger un bout ou boire un cocktail et à la fois un spot où j'aurais envie d'y emmener ma femme pour fêter notre anniversaire. Pour ça, pas besoin d'avoir dix-neuf verres à vin différents et douze couverts en argent. Je voulais aussi privilégier mon bien être. J'ai pris du recul pour réfléchir à la valeur que j'accordais au succès. J'adore cuisiner, mais j'ai aussi une femme, un bébé et un chien donc j'ai adapté ma vie en conséquence.

Hamachi

Hamachi

La cuisine est quelque chose qui évolue. J'ai quitté le monde de la gastronomie sans faire de vague. J'avais l'habitude de dépenser tout mon argent pour manger dans les meilleurs restaurants – Urasawa, Meadowood, Saison, ils y sont tous passés – et le reste en vin. À une époque de ma vie, je claquais absolument tout mon blé là-dedans. Mais on se lasse vite.

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Timothy Hollingsworth

Si j'avais un conseil à donner aux jeunes chefs qui débutent maintenant, ce serait de se donner à fond. Parce que vous n'allez recevoir qu'en fonction de ce que vous donnez. Et posez des questions quand vous faites quelque chose. Si vous êtes assigné à une tâche précise, approfondissez-la complétement. Si vous découpez les morceaux de viande, renseignez-vous sur l'art de la boucherie au Japon par exemple. Tirez profit de votre poste.

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Otium

Vous apprendrez bien plus vite ainsi et ça compensera le maigre salaire que vous recevrez à la fin. Finalement, débuter en cuisine, c'est comme aller à l'université : on y fait ses classes.

Propos rapportés par Javier Cabral

Timothy Hollingsworth est le chef des restaurants Otium et Barrel & Ashes.