Truffe Tour
Photos : Marine Peixoto pour MUNCHIES FR
Munchies

On est allé caver sur le Truffe Tour

Ma pote Colombe s'est lancée dans la trufficulture en équipe avec sa chienne Juno. Je les ai accompagnées dans leur quête du Diamant Noir.

Colombe est une amie à moi. Elle a 28 ans et, il y a un peu plus d’un an, elle s’est lancée dans la trufficulture en équipe avec sa chienne Juno. L’histoire entre Colombe et le tubercule a commencé avec Bayou, le feu bichon nain de sa mère, qui trouvait des truffes en quantité honorable sur les terres de la famille, des agriculteurs installés dans le Tarn et Garonne.

« On cherchait en sauvage, avec Bayou, sans trop savoir sur quoi on allait tomber. On en trouvait pas mal, surtout de la Mélano [ndlr : Melanosporum ou « Truffe noire du Périgord »] et de la Brumale [truffe musquée]. La Brumale est une variété moins prisée que la Mélano, mais franchement c’est bon aussi ! Catherine, ma mère faisait du beurre de truffes, des œufs brouillés, des soufflés à la truffe, de la poule farcie. On essayait des trucs et on en donnait aux copains, mais malgré tout, on finissait par en perdre. Au prix où ça coûte, je me suis dit que c’était dommage. »

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« Si tu veux récolter des truffes, sème des glands »

Colombe aime à dire qu’elle s’est piquée au jeu de la truffe. Elle a surtout vite compris que, si le sol de ses parents réunissait toutes les conditions pour trouver des truffes en sauvage, il y avait de grandes chances qu’en forçant un peu le sort, elle ait un trésor entre les mains. Il faut savoir que la Melanosporum, qui pousse dans sa région est, avec la truffe blanche d’Alba, une des variétés les plus chères sur le marché – elle peut se vendre jusqu’à 1 000 euros le kg selon les années.

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Colombe.

La truffe pousse toujours sur un sol calcaire mais pas obligatoirement que calcaire, dans un climat chaud et ensoleillé mais pas trop parce qu’il faut de l’eau, plutôt sous les chênes, mais pas que sous les chênes et pas sous tous les chênes non plus. C’est un équilibre fragile qui garde une part de mystère.

« Si tu veux récolter des truffes, sème des glands ». C’est en suivant ce vieil adage que Colombe a construit son « business plan » et planté des chênes truffiers sur les terres de ses parents. Aujourd’hui, Colombe n’hésite plus à se présenter comme une productrice du Lot. « C’est les lové qui me motivent, dans 10 ans j’aurai presque plus besoin de travailler.»

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Juno.

Comme il faut compter environ une dizaine d’années avant que les racines des chênes et les mycosium de la truffe s’accordent à fournir en symbiose des champignons, Colombe occupe le temps en cavant avec sa petite chienne Juno. L’été, elle vend ses truffes et quelques produits transformés sur les marchés de sa région. Le business de la truffe pour Colombe c’est simple : gagner sa vie en ayant un minimum de contraintes et un maximum d’indépendance. Passer ses journées dehors à déterrer des trésors avec sa chienne, ça lui va bien.

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« Je cherche d'abord sur les terres de mes parents. Sur les terrains communaux il faut demander l’autorisation mais généralement ça ne pose pas de problème. Des gens m’invitent aussi à caver sur leurs terres car ils n’ont pas de chien. On partage la récolte, c’est plutôt un bon deal. C’est un peu réglementé comme la chasse. Tu ne caves pas où tu veux comme tu veux et si tu chasses chez quelqu’un, tu lui en donnes un bout. C’est normal. »

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On a visité La Maison de la truffe et du Tricastin de Saint-Paul Trois Châteaux et le musée de Richerenches. Ci-dessus, une reconstitution d’omelette à la truffe.

Le Truffe Tour 2019 a commencé par un constat : cette année, la saison est mauvaise dans le Sud-Ouest car il n’a pas assez plu l’été dernier. Colombe a donc décidé d’aller voir « comment ça truffe » dans le Sud-Est. Après examen géomorphologique des sols, recensement des amis qui peuvent l’inviter à caver sur leurs terres, l’itinéraire et le calendrier sont posés – la Melanosporum se récolte de novembre à février.

« Dans ce genre de région, c’est comme autour de Lalbenque, tu peux pas aller simplement te promener avec ton chien, t’es forcément suspect. »

En équipe, avec son amie Claire et sa chienne Juno, elles ont donc sillonné en Ford Fusion et pendant un mois les territoires calcaires du sud de la France en quête du Diamant Noir. J'ai eu la chance de les rejoindre pour quelques jours. En route d’abord pour Richerenches, dans la Drôme provençale, où se tient tous les samedis matin le marché le plus renommé de France. C’est aussi ici que, chaque année, une messe en honneur de la truffe organisée par la Confrérie de la Truffe Noire est donnée.

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Le marché aux truffes de Richerenches.

Sur la route depuis sa Fusion, Colombe observe le paysage avec intérêt : « Oh la la ça truffe dans tous les sens ! Ils sont fous ici, c’est trop bien, regarde tous ces chênes bien alignés! Par contre celle qui promène son chien là-bas, elle est hyper suspecte. Dans ce genre de région, c’est comme autour de Lalbenque, tu peux pas aller simplement te promener avec ton chien, t’es forcément suspect. »

Après une pause boudins en promo cuits sur le butagaz au cul de la bagnole et une visite du parc Amazonia fermé (sous la pluie), on a passé le reste de la journée à regarder les truffières depuis la voiture et à chercher un abri pour la nuit. La faute aux précipitations. La veille, l’équipe du Truffe Tour s’était fait inviter par un négociant à l’hôtel, « tu vois Juno, ça, c’est une chambre d’hôtel », et au restau pour un repas gastronomique Tout autour de la truffe. Le lendemain, l’ambiance est plutôt chiens mouillés coincés dans une voiture.

Le circuit de la truffe : trufficulteur -> courtier (négociant) -> conserveur -> restaurateur.

Le premier signe de la rareté du produit c’est qu’à l’inverse des marchés classiques ce sont les acheteurs qui attendent les vendeurs à l’arrière de leur véhicule. Il y règne une atmosphère de secret et les transactions se négocient très discrètement. On croise untel et untel. Tiens mais que font-ils ici ? On entend ici et là des rumeurs. On parle d’hectares à louer pour caver sur le mont Ventoux qui coûtent des sommes astronomiques. Ça plaisante aussi sur un pépiniériste qui vend des plans de chênes inoculés. Il les appelle les champions et les super champions. « Ouais, et celui qui les achète, c’est le super con ! ».

On ne voit pas le produit, mais on le sent à plein nez. Même dehors. On ne le voit pas non plus au bistrot où tout le monde s’est réfugié à cause de la pluie – et pour l’apéro – mais l’odeur est prenante. J’essaye d’en savoir un peu plus sur le mystérieux champignon. En réponse, on m’offre une bière et des cacahuètes mais pas plus.

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Yohann, le courtier avec qui Colombe a sympathisé est là. Il lui montre ce qu’il a acheté. « Regarde ça si c’est beau ! Tiens, sens-moi ça ! ». Yohann se présente comme un des derniers vrais courtiers en France. Son père aussi était courtier et il a beaucoup d’anecdotes à raconter sur la truffe. « Le père de Yohan, il savait trouver les truffes sans chien et sans mouche juste en observant les cailloux qui avaient bougé par terre. Une fois, Yohann et son père sont en voiture. Il lui demande de s’arrêter pour aller pisser et il est revient cinq minutes après avec 3 kilos de truffes dans les poches. J’aimerais être aussi forte que lui ! »

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Pour déterrer les truffes sans les abîmer on peut utiliser un picon ou un fer à truffe. Colombe elle, a une fourchette coincée à la ceinture, ça marche aussi.

Pour truffer, faut le sentir quand même. Tu regardes un peu le terrain, les arbres bien sûr, les cailloux, l’ensoleillement. Tu peux observer les ronds de sorcière aussi. La truffe produit un herbicide assez puissant, donc si tu vois un chêne autour duquel est formé un rond sans herbe, je te conseille de creuser, il y a peut-être une truffe dessous. On peut aussi trouver des truffes avec les mouches. Si tu vois des mouches par terre, que tu les fais bouger et qu’elles reviennent au même endroit, il est possible qu’il y ait une truffe dessous, je te conseille de regarder.

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Là, on a été invité à caver sur les terres de notre ami Reno dans les Cévennes.

« Juno c’est un Parson. Je l’ai achetée, mais pas cher. On me l’a conseillée et je regrette pas du tout. Au début, pour la dresser, je lui cachais des petits bouts de truffes dans la maison, sous la tapis, dans le canapé et quand elle les trouvait, je lui donnais une récompense. Et puis, au fur à mesure, on est allé dehors. Tout simplement. Maintenant, elle sait très bien ce qu’elle doit chercher. C’est d’ailleurs grâce à Juno - quand j’ai commencé à la dresser en extérieur - que j’ai découvert qu’il existait de la truffe d’été et qu’il en poussait plein chez mes parents. Et c’est bon aussi la truffe d’été, c’est léger. »

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Contrairement aux cochons les chiens ne mangent pas les truffes, mais faut être à côté parce que le risque c’est qu’elle envoie la truffe en arrière en creusant trop fort. « Juno va super vite. Les Parsons sont un peu trop vifs, c’est ce qu’on pourrait leur reprocher. Mais moi, Juno, je l’adore, et en plus personne d’autre au monde ne m’a permis de m’acheter une voiture ! »

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Ça y est, ça sent enfin la truffe dans la voiture !

« C’est plus ce que c’était la truffe, d’accord c’est une mauvaise semaine mais, il y a vingt ans, c’était dix fois ça une mauvaise semaine ! »

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À Richerenches, la gérante d’une épicerie fine nous avait présenté ses truffes qualité « EXTRA », c’est-à-dire, propres, ayant une bonne taille, une bonne forme et pas de trous. On entendait déjà que « de toute façon c’est une mauvaise semaine, le marché ne sera pas formidable demain ». Même son de cloche sur le cours Mistral. « C’est plus ce que c’était la truffe, d’accord c’est une mauvaise semaine mais, il y a vingt ans, c’était dix fois ça une mauvaise semaine ! ».

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« Des truffes, il y en avait beaucoup il y a cinquante ans. Les anciens disent qu’on les trouvait qu’en sauvage, mais c'est parce qu'ils avaient tous des bêtes à faire pâturer et connaissaient leur coin. Ils savaient reconnaître les brûlés. Ils connaissaient les truffières et les entretenaient. Surtout, ils allaient les ramasser leurs truffes ! Puis, il y a aussi l’urbanisation, le réchauffement climatique qui fait des étés très secs et des années moins régulières, la qualité de l’air, etc… Tout ça fait qu’il n'y en a plus beaucoup. »

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Colombe a raccordé un congélateur à la batterie de la voiture. Elle peut finir son Truffe Tour sans craindre de perdre sa récoltes. « La truffe se congèle très bien, tu perds rien ». Je l'ai recroisée à la Fête de l’Ours dans les Pyrénées Orientales quelques semaines plus tard. Là, c’est de la Brumale. Il faut s’y connaître pour faire la différence avec la Melanosporum. Elle a moins d’arômes, elle sent un peu moins fort, mais c’est quand même quelque chose. Le musc justement fait partie de ce qui rend la truffe si spéciale. C’est un arôme que l’on retrouve par ailleurs seulement dans le règne animal.

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Le Truffe Tour, c’était pour « voir comment ça truffe » mais aussi pour s’instruire et comprendre comment on parle de la truffe à des novices. Il y a un aspect touristique à la trufficulture qu’il serait dommage de négliger. Le mystère autour du champignon rare intrigue les gens qui sont prêts à payer pour visiter des truffières et capter un peu mieux comment ça fonctionne.

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Aujourd’hui, le Truffe Tour est terminé. À l’heure qu’il est, Colombe est rentrée dans son laboratoire pour tester de nouvelles recettes à vendre cet été. Si vous passez du côté de Saint-Antonin-Noble-Val, vous la croiserez sûrement sur les marchés des alentours.

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