Une histoire du « stargazy pie », la tourte étrange des Cornouailles
Photo via Flickr user Aune Head Arts

FYI.

This story is over 5 years old.

Food

Une histoire du « stargazy pie », la tourte étrange des Cornouailles

Chaque année à Noël, le sud de l'Angleterre célèbre cette spécialité locale aux origines lointaines et à l'allure intrigante.

Le Stargazy Pie est une invention assez étrange : des têtes et des queues de sardines transpercent une croûte en pâte brisée et ressortent de la tarte à l’air libre. Les corps des poissons se trouvent quant à eux sous la couche supérieure, à l’intérieur de la tarte, et trempent dans une épaisse sauce blanche. Expression de la plus pure tradition du repas de Noël en Angleterre, cette recette est ensuite assaisonnée à l’aide de sel, de poivre noir grossièrement moulu et de persil.

Publicité

À l’intérieur de cette tarte fumante, une préparation à base d’œufs durs râpés vient apporter une touche de protéines ; un bouillon terreux fait office de base. C’est un plat copieux, idéal pour survivre aux froides nuits d’hiver – celles des petits villages pittoresques que l’on trouve dans les Cornouailles, par exemple. L’odeur qui s’en dégage oscille entre celle de la mer et du beurre, et le goût nous laisse devant le même duo improbable.

Mais le Stargazy Pie est bien plus qu’un simple plat à l’allure intrigante. On raconte qu’elle aurait vu le jour pendant une période de famine, dans le tout petit port de Mousehole, en Cornouailles. Il y a bien longtemps, nul ne sait exactement à quand cela remonte. Ce que l’on sait, c’est que les tempêtes hivernales abattaient sur le village toute la violence de leur colère, comme d’habitude. Mais à l’époque, de telles intempéries coupaient la région du reste de l’Angleterre, et les habitants pouvaient rester affamés comme ça, sans réapprovisionnement, pendant de longues périodes.

star-gazy-man

Tom Bowcock et sa fameuse Stargazy Pie.

Un type du coin, Tom Bowcock, rassemblant tout son courage, aurait alors pris la mer, et serait revenu avec du poisson à profusion. Toute sa pêche aurait terminé dans une tarte et, depuis, chaque année, le 23 décembre, tout le monde célèbre la nuit de Tom Bowcock. Je peux dire, par expérience, que c’est une célébration très heureuse. Les gens des Cornouailles aiment danser, chanter et faire de bonnes tartes.

Publicité

Vous avez peut-être lu un truc similaire dans un célèbre livre pour enfants intitulé The Mousehole Cat, qui s’est inspiré des prouesses de Tom Bowcock. La notoriété du pêcheur est telle que sa vie a fait l’objet de diverses adaptations littéraires. Il aurait été le premier à être proclamé « héros populaire » par le magazine Old Cornwall, dans les années 1920.

C’est pendant « la Nuit de Tom Bowcock », et uniquement ce soir-là, que l’on prépare et déguste le Stargazy Pie. C’est le réveillon de Noël pour Mousehole, et il se fête à la taverne des marins, The Ship Inn, un antre dédié à la boisson et au levé de coude depuis plusieurs siècles, perché sur l’une des murailles du port.

ship-inn

The Ship Inn. Photo de St. Austell.

Chaque année, le pub offre des parts de Stargazy à tout le monde : les marins, les enfants, les hordes de touristes – et chacun goûte aux grandes tartes qui sortent, encore fumantes, des cuisines de l’établissement. Le tout accompagné de litres de bière des Cornouailles et de chansons.

Everyone bellows:

"Merry place you may believe, Tiz Mouzel 'pon Tom Bawcock's Eve

To be there then who wouldn't wesh, to sup o' sibm soorts o' fish

When morgy brath had cleared the path, Comed lances for a fry

And then us had a bit o' scad an' Starry-gazy pie

As aich we'd clunk, E's health we drunk, in bumpers bremmen high,

And when up caame Tom Bawcock's name, We'd prais'd 'un to the sky"

C’est de l’anglais, avec une touche de cornouaillais, une langue ancestrale celte parlée uniquement par des types qui portent une barbe et aiment les pierres branlantes. Tout un tas de fadaises à la sauce au poisson. Vous voyez le délire.

Publicité

Actuellement, Mel Matthews est l’heureuse propriétaire du Ship Inn. Elle tient la baguette de distributrice de tarte des générations qui l’ont précédée.

star-gazy-pie-town-sign

D’après Mel, « C’est un événement fabuleux. Tout a commencé ici. Je ne sais pas exactement quand, mais c’est un truc très important, à Mousehole. Et cette tarte, c’est aussi une espèce de fardeau. C’est notre Noël. »

Quand la tarte arrive, on ne peut plus bouger dans le pub. Un pêcheur du village se déguise en Tom Bowcock et fait le service. C’est gratuit. Les gens donnent un petit quelque chose qu’on reverse à une œuvre de charité. Mais parfois, les touristes sont un peu radins, » ajoute Mel.

Ces dernières années, c’est Jonathan Madron qui a joué le rôle de Tom Bowcock. Il avait déjà fait une apparition dans nos pages lorsque MUNCHIES s’était rendu dans l’Ouest des Cornouailles pour en savoir plus sur les dangers de l’industrie de la pêche. Madron, a.k.a. « Guns, » se promène dans le pub vêtu d’une salopette bleue, et affublé d’une énorme barbe noire, tout en débitant un charabia en grande partie inspiré par la bière.

« Ouais, j’adore le Stargazy Pie, » me dit-il. « C’est génial. Je l’ai toujours connue ici, mais je ne sais pas exactement d’où elle vient, honnêtement. L’histoire, elle vaut ce qu’elle vaut. Mais tout le monde aime rendre hommage à Tom. Vous savez, c’est surtout un truc autour de la pêche. Pas vrai ?

Guns ajoute : « Je me déguise et je leur amène la tarte. On chante tous ensemble, on mange, et il y a de la bière. Évidemment. Sincèrement, je préfère cette fête à celle de Noël. »

Publicité
Moushole-Harbor

Le port de Mousehole

En effet, les Cornouailles sont connues pour leurs festivités et la grande bonté de leurs habitants. Et cela tourne en grande partie autour de la pêche. La Stargazy Pie en est un parfait symbole, avec ses têtes de poissons souriantes qui pointent joyeusement à travers la croûte.

Matthews nous explique que le poisson peut varier de l’aiglefin au merlan, en passant par le maquereau. Mais il doit toujours y avoir des sardines. De nos jours, ce poisson brille par son absence sur les tables du monde entier, mais en Cornouailles, la tarte a gardé son essence, surtout en décembre.

En dehors des sardines et de la pâte, le reste de la préparation est pour le moins trouble. Matthews est incapable de me dire avec exactitude ce qu’il y a dans sa version.

« C’est du poisson, des œufs durs râpés dessus », se lance-t-elle. « Et une sauce classique : du beurre, des oignons, un bouillon, le tout bien assaisonné, et voilà. Un peu de persil. » Certains ajoutent de la moutarde ; et il y a généralement beaucoup, beaucoup de crème pour tenir au corps quand il fait froid.

La première fois que j’ai goûté un Stargazy Pie, c’était en 2013. J’étais en visite à Mousehole en plein hiver. Ses célèbres lumières de Noël illuminaient le port (c’était vraiment monumental, pour le 50 e anniversaire – mais c’est une autre histoire) et le parfum de châtaigne rôtie se mélangeait avec l’air marin.

La tarte, bien que basique, a un certain charme. Et on a rarement exprimé une telle adoration pour quelque chose d’aussi simple. Mon point de vue est biaisé parce que j’ai vécu une année en Cornouailles, partagée entre des reportages sur les pêcheurs et d’autres activités, mais à mes yeux, le mélange entre la gastronomie et la population du coin rayonne d’une chaleur extraordinaire. Et c’est très lié au tissu social de la région. Maintenant, il est vrai que la partie mythologique de cette histoire peut être un peu vague. Des sorciers par-ci, des pêcheurs qui luttent contre des tempêtes monumentales par-là (je me demande par exemple d’où venaient les œufs et la farine en temps de famine). Personne n’est vraiment sûr de tout cela.

Publicité

Jack Guard, 95 ans, vit dans le port de Mousehole depuis des décennies. Je l’ai rencontré dans son salon, et alors qu’il actualisait son Facebook (vrai de vrai !), j’ai pu discuter avec lui de sa femme, aujourd’hui décédée, qui aurait, d’après lui, inventé le Stargazy Pie dans les années 1960. La légende se transmet de génération en génération, mais il en va de même de ce récit au sujet d’un patron de pub assez astucieux qui voulait gagner un peu plus d’argent pendant la période de Noël grâce à une belle histoire pleine d’émotions et de chance.

jack-guard

Jack Guard

« Ma femme Dorothy a préparé la première tarte, » nous explique le vieux Jack. « L’histoire de Bowcock est très jolie, et elle nous vaut une belle fête. J’aime beaucoup voir les enfants se promener sur le port avec leurs lanternes. »

« Bowcock aurait vécu vers les années 1600. Certains y croient, d’autres pas. Mais je me souviens du premier Stargazy Pie. J’y étais, vous savez. C’était au Ship Inn. Le patron, Tom Mitchell, était un ami de ma femme, et il lui a dit : ‘J’ai une idée en tête.’ C’est comme ça que tout a commencé. Dorothy et son ami ont préparé ces tartes avec des œufs et compagnie, d’où dépassaient les têtes et les queues des poissons, et les ont servies le 23 décembre. »

Croyez-le ou non, peu importe. Le fait est que de nos jours, le Stargazy Pie n’est pas juste un plat local, c’est devenu une institution en Cornouailles, et elle a su rapidement trouver une place de choix dans le cœur des habitants de Mousehole, de même que dans son port.

Cette année encore, un peu avant Noël, le Ship Inn sera plein, entre les locaux et les visiteurs venus d’ailleurs, tous heureux et pressés de goûter une part de cette tranche d’histoire de la mer. Les enfants du village lanceront des bateaux en papier dans le port. Et les habitants du village pourront, une fois encore, se délecter de cet air marin au parfum de tarte qui envahira leurs ruelles.

C’est vraiment quelque chose à voir, une charmante tradition de Cornouailles accompagnée d’une histoire à peu près aussi vague que la recette de cette délicieuse tarte. Au bout du compte, la véritable origine de le Stargazy Pie importe peu face à la renommée extraordinaire qu’elle a acquis. À l’image de la sauce qui vient unir les sardines, elle a su créer un sentiment de communauté parmi les gens du village qui se rassemblent autour de ce miracle culinaire et gustatif. La tarte fait partie du tissu social de Mousehole ; elle est leur Noël local. Et quelque part, elle a peut-être sa part de divin.