Dans les Andes, sur les traces de la bière sacrée des Incas

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Dans les Andes, sur les traces de la bière sacrée des Incas

Au Pérou, on brasse encore la « chicha de jora », une boisson issue de la fermentation du maïs qui était servie au XVe siècle lors des cérémonies les plus importantes.

Pour à peine un sol péruvien (25 centimes d'euro environ), on peut se bourrer la gueule dans l'Urubamba, la Vallée sacrée des Incas. Cachés dans les montagnes colossales de la région, plusieurs bars clandestins continuent de servir une boisson antique des Andes, connue sous le nom de « chicha de jora », une bière de maïs fermenté qui remonte à l'époque de l'Empire Inca. Elle est toujours très consommée dans la Cordillère des Andes, les locaux la brassent eux-mêmes en suivant plusieurs étapes méthodiques dont la germination du jora (un type de maïs jaune), céréale vénérée par les Péruviens car elle leur permet de survivre dans des conditions extrêmes.

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La « chicha de jora » était à l'origine une boisson sacrée pour les Incas, souvent réservée aux cérémonies les plus importantes. La boisson était d'abord offerte au pachamama – la Terre Mère en langue quechua – en signe de gratitude pour les terres fertiles où était cultivé le maïs. Après avoir payé son coup à la Terre, l'étape d'après consistait à saluer les montagnes, connues sous le nom d'apus, en levant le kero (calice) vers le ciel. Puis c'était le moment de boire la « chicha » pour transcender l'existence et se rapprocher des dieux.

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La Vallée sacrée des Incas au Pérou. Toutes les photos sont de Marianna Jamadi.

Aujourd'hui, la « chicha de jora » est toujours largement produite dans la Vallée sacrée, et il suffit de passer quelques jours dans l'Inkaterra Hacienda Urubamba pour découvrir son procédé de fabrication. Avec l'aide du guide Angel Layme, je me suis aventuré dans la chicheria de la ferme, en passant devant des rangées de maïs bio. Originaire de la ville de Huayoccary dans la vallée, Angel est loin d'être étranger à la « chicha de jora » et me guide avec bonheur vers le bar de l'hôtel.

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Les locaux attachent souvent des drapeaux de ce genre à leur porte pour indiquer qu'il y a de la chicha de jora dispo à l'intérieur.Tu sais qu'il y a un bar de chicha quand tu vois une maison avec un drapeau rouge

« » me dit Angel. « Et dans la campagne, certains locaux alignent des pétales de fleurs au bord de la route », afin d'indiquer une chicheria, comme une scène tirée d'un Hansel et Gretel version andine. On raconte que si vous buvez suffisamment de ce mystérieux breuvage au maïs, vous faites ensuite partie des meubles dans la Vallée sacrée. Notamment parce que vous n'aurez pas envie de partir. « Il vaut mieux boire juste un verre ou deux de chicha », prévient Angel. « L'ingrédient principal est le maïs, donc on a un peu l'impression de boire une soupe, et ça continue de fermenter dans ton estomac quand tu le bois. C'est vraiment très lourd. »

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Angel Layme.en tout cas l'altitude n'a pas tellement d'effets sur la quantité de chicha que les gens d'ici boivent

Une autre chose importante à garder en tête est l'altitude. La Vallée sacrée culmine à près de 3 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui fait qu'un seul verre de « chicha de jora » (qui contient à peu près 4,5 % d'alcool) provoque un effet équivalent à celui d'une boisson contenant trois fois ce pourcentage. Je demande à Angel ce qu'il pense de ça, et il me répond, impassible : « », dit-il en riant de mes préoccupations de gringo.

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Le maïs violet péruvien.batan

La chicheria de l'Inkaterra Hacienda Urubamba est installée dans une ferme. Angel me raconte comment la bière andine est produite. Tout commence par du maïs, d'abord trempé dans l'eau pour favoriser la germination. Ensuite, il est placé sur une couche de grains de poivre pliés entre deux tissus andins et continue de germer. Puis, le maïs est mis à sécher au soleil et, après qu'on lui ait retiré les sucres de malt, pilé avec un – une lourde pierre utilisée en la roulant d'avant en arrière. Les grains sont réduits en une poudre fine qui est versée dans un raqui, un large récipient en argile. On y ajoute environ 30 % d'eau. Après plusieurs séries de cuisson, on ajoute de l'orge maltée et, avec le temps, le mélange finit par fermenter en une espèce de concentré de bière, appelé upi en quechua. Selon Angel, une seule gorgée de ce mélange pourrait bourrer la gueule de n'importe qui.

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Le maïs est trempé dans l'eau pour qu'il ferme avant d'être mis à sécher au soleil.« On utilise ces très grands verres appelés des

Avant de laisser le mélange se reposer une nuit pour une dernière étape de fermentation, les locaux y ajoutent leur propre touche. Ils l'infusent avec du fenouil, de la camomille, de la menthe ou de la cannelle, des ingrédients connus pour favoriser la digestion. Le lendemain après-midi, une petite fête est organisée pour goûter la « chicha de jora », qui est alors servie dans des verres aussi grands que ma tête. caporales », dit Angel. « D'habitude, je le termine et tu ne devineras jamais le prix - c'est seulement un sol ! » Mais le mieux avec la « chicha de jora », c'est que les locaux la font maison. Du coup, ils contournent les taxes imposées par le gouvernement, raison pour laquelle les drapeaux rouges, qui symbolisent secrètement les chicheria, se multiplient dans la vallée.

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Le maïs est moulu et mélangé à de l'eau pour faire démarrer la fermentation.chicheria

Le jeu des le plus commun est connu sous le nom de sapo, une version andine du « skee ball » (un jeu américain où l'on cherche à envoyer une balle dans plusieurs sortes de cibles), qui consiste à lancer des pièces en or dans la bouche d'une grenouille en métal ou dans les trous ronds qui sont situés tout autour et qui indiquent tous une valeur spécifique. « On ne se bat pas vraiment avec le sapo, parce que tu peux y jouer pendant deux heures maximum », assure Angel. « Après, tu commences à voir trois grenouilles. »

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Un verre de chicha de jora.On commence à boire de la chicha quand on est très jeune, et j'ai appris à en faire quand j'avais 5 ou 6 ans

Après avoir appris comment faire de la « chicha de jora », la fête continue au bar à l'intérieur de l'hôtel, ou le mixologue résident Alfredo Quispctupac Orcowakanka sert sa propre recette de « chicha de jora ». Ayant aussi grandi dans la vallée de Huayoccary, Alfredo a appris à faire la chicha quand il était enfant, en regardant sa mère et sa grand-mère. « », dit Alfredo. « À cet âge, on a le droit de n'en boire qu'un petit peu, mais on le boit cul sec. C'était comme un jus de fruit pour nous. »

Alfredo verse sa bière et nous levons nos verres, pour trinquer d'abord à l'apus puis au pachamama. J'en goûte un petit peu et la boisson opaque et dorée a un goût aigre – impression que doit ressentir un ado quand il boit sa première gorgée de bière. Dans un geste de sympathie, Alfredo m'offre de me servir un nettoyant pour mon palais, et nous concluons notre journée en tombant des shots de pisco infusé à la coca.