Cassoulet Potier
Photos : Robin Jafflin
Munchies

Pour quelques cassoles de plus

Dans l'atelier de la famille Not, on fabrique encore artisanalement le plat de cuisson qui a donné son nom au cassoulet.

Près de Castelnaudary, sur les bords du canal du Midi, se trouve une poterie. Elle est tenue depuis trois générations par la famille Not qui y fabriquent notamment des cassoles. Ce plat de cuisson typique en terre cuite émaillée a donné son nom à la spécialité régionale : le cassoulet.

Le bâtiment est le seul élément du paysage à tenir encore debout. Les grands platanes alentour, touchés par le chancre coloré, tombent comme des mouches. Quand on s’en approche, il n’a, à première vue, rien de spécial : un mélange de mas et de hangar un peu désuet surmonté d’une petite cheminée en briques.

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Une fois la porte principale franchie, ce n’est pas la même rengaine. On zigzague entre des dizaines de poteries, alignées et empilées les unes sur les autres, qui attendent d’être vendues. Au fond de ce qui semble servir de réserve, une petite porte qui ne paie pas de mine et dont la poignée, datant de Mathusalem, est recouverte d’argile en couches successives.

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Ma première rencontre avec un membre de la famille Not a lieu juste derrière. Je rentre et je tombe sur un homme trapu d’une soixantaine d’années. Robert, le pater familias à l’œil rieur et à la moustache digne de Brassens. Après les présentations d’usage, il appelle son fils, Philippe.

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Philippe.

Sa voix, teintée d’un fort accent du Sud-Ouest, résonne dans l’atelier et Philippe, la quarantaine, surgit. L'intéressé est plus grand que son père, ses yeux sont d’un marron profond et il arbore une longue barbe. Il ressemble à un croisement entre Sébastien Chabal et Jon Snow

- « Mais vous n’étiez pas trois ? », je demande.

- « Si mais le troisième est chez le dentiste », répond le père.

Tout ce qui m'entoure paraît figé dans l’argile : le sol, les poutres, les fenêtres, les portes, le téléphone posé près du tour à potier. Seules sont épargnées les « photos coquines » accrochées au mur, pour « donner du courage », dixit Philippe hilare.

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Une odeur douce, humide et épaisse embaume la pièce. Celle de la rencontre entre l’argile et l’eau. Le soleil tape sur les fenêtres. Des rayons traversent la poussière et la fumée des cigarettes, illuminant chaque tour à potier comme s’il était une création divine.

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La spécialité des Not, c’est la cassole, le célèbre plat de cuisson qui a donné son nom à la non moins célèbre spécialité culinaire du Languedoc. Ici, elles sont fabriquées avec l’argile du jardin, « sortie par le grand-père dans les années 1960 ». Les trois hommes les façonnent de A à Z.

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Bercé par le bruit cadencé des tours, j’observe l’atelier. Dans le fond, une petite porte donne sur l’extérieur. Sur la gauche, c’est la « salle des machines ». Un mécanisme datant des années 1930 fabrique les blocs d’argile. Entre les rouages qu’on croirait sortis d’une horloge, émerge Alain, ouvrier d’une cinquantaine d’années. Son rôle ? « Préparer l’argile puis veiller au bon séchage et au vernissage des cassoles ».

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De retour dans l’atelier, je retrouve Robert, Philippe et Jean-Pierre qui vient d’arriver après sa séance chez le dentiste. Les trois hommes se remettent à façonner leurs cassoles. Leurs gestes sont fluides et presque envoûtants. Petit à petit, la matière s’élève, s’arrondit dans un mouvement sensuel pour former le récipient.

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Chaque potier en produit 60 à 80 par jour dans 8 tailles différentes. Vendues principalement aux restaurants gastronomiques locaux, les cassoles représentent 75 % du chiffre d’affaires de la famille. C’est d’ailleurs grâce à elles que les trois hommes ont pu sauvegarder leur entreprise.

« On a passé toute une période où les poteries de jardin étaient boudées à cause de la concurrence venant du Mexique, de la Pologne, etc… », regrette Philippe. Jean-Pierre ajoute : « C’est souvent des produits pas chers qui durent le temps d’une fleur quoi… »

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« Ce qui fait la différence avec nous, c’est la qualité. C’est ça qui nous sauve », analyse Robert. « Alors, on ne roule pas sur l’or, mais on arrive à faire vivre quatre familles. Croisons les doigts pour que cela dure », ajoute Jean-Pierre.

La passion de l’argile est une des clés de la survie de l’entreprise familiale. Robert, malgré ses 65 ans passés, travaille toujours à la poterie alors qu’il devrait être en retraite. Il souhaitait « aider les jeunes » mais avoue très vite au fil de la discussion que c’est surtout parce qu’il aime un peu trop son métier.

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Les Not possèdent-ils un gène de la poterie ? « Je pense que le papa s’est dit : "Si c’est un garçon, il sera potier" », me glisse Philippe dans un sourire. « En plus, l’école, ce n’était pas trop ça, reconnaît Jean-Pierre. Donc on a passé l’apprentissage et on s’est un peu retrouvé potier par la force des choses. »

Depuis le reportage, Philippe est décédé dans un accident de moto, faisant de Jean-Pierre le dernier potier à pouvoir perpétuer le savoir-faire familial.

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