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Choper les meilleurs oursins du monde est une putain de galère

Étape 1 : localiser un pêcheur taciturne au fin fond des Îles Féroé. Étape 2 : vous pointer chez lui et crécher sur son canap'. Étape 3 : négocier.
Oursins Féroé
© Amanda Hjernø

On pourrait croire à un rite initiatique comme celui imposé par Pai Mei à Beatrix Kiddo dans Kill Bill : Volume 2. Une longue série d’épreuves et de péripéties dignes d’un guerrier en quête d’excellence. Mais Beau Clugston, 33 ans, est un chef. Et tout ce qui l’intéresse, c’est d’avoir les meilleurs oursins du monde.

Né en Australie, Clugston a passé la majeure partie de ces huit dernières années à Copenhague, où il a ouvert son restau, Iluka. C’est dans le cadre de son métier qu’il a passé un premier coup de fil à Gunnar, pêcheur des îles Féroé. Il voulait simplement discuter avec lui de ses légendaires oursins.

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De l’autre côté de la ligne, la réponse fut brève et directe : « D’abord, je ne parle pas du produit si je ne vous connais pas. »

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Beau Clugston.

Le deuxième échange a été un poil plus long, Gunnar lui proposant une mission. « Beau, soit je vous rencontre, soit on n’aura jamais cette conversation. J’imagine que vous devriez sauter dans un avion direction Torshavn dès demain pour venir me voir. »

Fauché comme les blés, Clugston a emprunté de l’argent à sa belle-mère danoise et a acheté un billet. Le lendemain, il rencontrait Gunnar. « Je n’avais pas les moyens de me payer un hôtel, donc je me suis invité sur son canap’ », raconte Clugston.

« Je me disais qu’il n’y avait que deux possibilités : soit cette relation était aussi brève que les réponses qu’il me donnait, soit on allait vers une longue et belle amitié. » Jusqu'ici, tout va bien. Les célèbres oursins de Gunnar sont au menu du restau de Clugston.

Le menu d'Iluka est essentiellement composé de fruits de mer qui ne sont pas cuisinés de manière très orthodoxe

Avant de s’installer dans la capitale danoise, le chef est passé par Paris et les cuisines de Noma. S’il a sa propre adresse, c’est grâce à un prêt bancaire et à six longues semaines de débrouille. Il a bouclé son équipe, deux chefs de salle et un second de cuisine, à peine deux jours avant l’ouverture.

Le menu d'Iluka est essentiellement composé de fruits de mer qui ne sont pas cuisinés de manière très orthodoxe. On y sert des gratins de pomme de terre avec un nappage de sauce au jaune d’œuf et des lamelles de poutargue, des coques servies avec de l’huile de feuille de cassissier, des crudités à tremper dans une émulsion de moule et de la ricotta fraîche avec des huîtres et un granité de moule encore.

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Comme l’explique Clugston, il n'y a qu'une idée qui se cache derrière son restau : achetez les meilleurs ingrédients que vous pouvez trouver.

C’est pour ça qu’il est allé sur les Îles Féroé et qu'il a dormi sur le canapé de Gunnar, paumé au milieu de jouets appartenant aux enfants du pêcheur. Clugston et Gunnar avaient navigué toute la journée avant de rentrer faire flamber quelques langoustines dans de l’eau-de-vie et de se la coller au champagne.

Clugston était parti le lendemain à 6 heures du matin pour attraper le premier vol et n’avait pas eu l’occasion de dire au revoir à son hôte. Six semaines plus tard, le pêcheur donnait son accord au chef pour importer ses oursins.

« Les oursins de Gunnar sont incroyablement sucrés, presque comme des carottes. Et ils sont vivants, fraîchement envoyés le matin même. Ils ont cette magie… »

Clugston dit que toute cette histoire – le prêt à sa belle-mère, le vol de nuit vers Torshavn et celle improvisée sur le canapé des gamins – vaut vraiment le coup.

« Les oursins de Gunnar sont incroyablement sucrés, presque comme des carottes. Et ils sont vivants, fraîchement envoyés le matin même », explique le chef. « Ils n’ont pas ce goût iodé que l’on retrouve généralement. Je peux appeler une poissonnerie et avoir des oursins que les gens trouveront bons, mais ça ne va pas changer leur vie. Alors que ceux de Gunnar, franchement, si. Ils ont cette magie… »

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À ce point ? « L’eau est tout le temps à la même température. Autour de 8 degrés », souligne Clugston. « Les oursins grandissent très lentement, et ils ont le temps de développer leur parfum. »

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Pour la plupart des non-initiés, les oursins sont des animaux étranges. Pour Clugston, qui a grandi dans la ville côtière de Sawtell, au sud de Brisbane, ils ont longtemps été des camarades de jeu lors des après-midi surf. D’après lui, les oursins des Îles Féroé sont supérieurs à tous ceux qu’il a goûtés par le passé.

Une partie de la frilosité des consommateurs vient aussi de la façon dont ils manipulent ces mets. « Les gens mangent trop de mauvais oursins. On en a tous bouffé qui avait un goût de nettoyant WC. Quand l’oursin est mort, il prend ce goût iodé, mais quand il est vivant, il ne l’a pas. C’est un tout autre produit. »

« Beaucoup de gens retirent les œufs et lavent tout ça à la saumure, mais je suis plutôt partisan de garder l’oursin dans son jus naturel. Pourquoi s’en débarrasser ? »

Clugston sort un oursin dans la glacière. Il explique que l’animal a été pêché dans la matinée, qu'il a été envoyé par avion de Torshavn à 7 heures du matin et qu'il a passé la douane danoise environ 2 heures plus tard. Là, il remue lentement ses épines sur le plan de travail de la cuisine du Iluka.

Le chef s’empare d’une paire de ciseaux plutôt robustes, passe par le cul du fruit de mer (qui est au sommet de la coquille) et commence la découpe. Il soulève doucement le couvercle qu’il a créé.

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« Et voilà », lance-t-il. « Je ne fais rien d’autre. Beaucoup de gens retirent les œufs et lavent tout ça à la saumure, mais je suis plutôt partisan de garder l’oursin dans son jus naturel. Pourquoi diable s’en débarrasser ? »

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Il sert une cuillère à café de jus d’oursin. Ça a le goût d’un délicieux shot d’huître. Clugston verse l’eau dans le tamis, retire les intestins marron de la coquille et remet l’eau avec les lobes orange pleins d’œufs.

L’oursin cru est servi avec un morceau de pain au levain fraîchement grillé et tartiné de beurre fondu. Les œufs ont un goût sucré qui se fait ressentir immédiatement après le passage de l’eau de mer. Est-ce une expérience marquante ? Peut-être. Surtout pour Clugston, qui a dû souffrir pour parvenir à proposer ce chef-d’œuvre.

« Je les prépare sur commande, parce que le stress entraîne la mort de l’oursin », explique-t-il. « Et plus on le touche, plus on le stresse. »

Pareil avec les langoustines, elles-aussi des Îles Féroé, qu’il plonge dans l’eau bouillante quelques secondes pour détendre leur carapace avant de retirer la chair. Les queues de langoustine crues sont alors glacées dans un vinaigre de fleur de sureau de huit ans d’âge que Clugston avait fait quand il travaillait au Noma. Elles sont servies sur un petit bout de cœur de laitue avec le foie de la langoustine.

Clugston se souvient d’une conversation qu’il a eue avec Gunnar, lors de son voyage à Torshavn. « Il m’a demandé : ‘Si j’accepte de te donner des fruits de mer, que vas-tu en faire ?’ J’ai répondu : ‘Honnêtement, ces oursins, je les servirai simplement avec du bon pain’. »

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« Tu ne mettrais pas de crème fraîche dessus ? » m’a-t-il relancé. « Alors tu es dans le bon état d’esprit pour les utiliser. »

Examen du guerrier passé haut la main.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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