FYI.

This story is over 5 years old.

Food

Bons produits, bonne cuisine et bonne picole : une journée avec chef Fergus Henderson

Ou comment de « petit verre » en « dernier petit verre », le plus épicurien des chefs étoilés anglais parvient à ériger la picole et la gastronomie au rang d'art.

La journée commence par un Fernet Branca : un réveil agréablement amer. Siroter la liqueur italienne est une sorte de signal de départ. Il est suivi d'un Ricard dont le goût anisé est dilué dans de l'eau rafraîchie de quelques glaçons. Après, on enchaîne avec un os à moelle, ça me paraît évident.

Tout ou presque a été écrit sur Fergus Henderson – sur son excentricité, sur son approche totale (« nose to tail ») de la gastronomie, mais aussi, plus tristement, sur la maladie de Parkinson dont il souffre. Encore plus de choses ont été dites sur St.John, le célèbre restau qu'il a lancé au milieu des années quatre-vingt-dix dans un ancien fumoir du Smithfield Markets de Londres. Aujourd'hui, dans l'imaginaire collectif des Anglais, Fergus est ce chef bon vivant qui a ouvert pléthore de restaurants à succès tout en continuant à surprendre les palais les plus aguerris.

Publicité

C'est con à dire mais je n'étais même pas encore né quand certains des restaurants de Fergus ont ouvert et pourtant, je reste toujours sur le cul quand je pense à quel point Fergus Henderson influence encore la cuisine britannique actuelle. L'opportunité de passer une journée entière avec lui était trop belle pour ne pas la saisir – et puis, je le confesse, c'est toujours cool d'être payé à goûter des trucs.

LIRE AUSSI : Des chefs étoilés anglais vous apprennent à boire le thé

On s'est donné rendez-vous au French House, le célèbre restaurant du quartier de Soho qu'il a ouvert avec sa femme Margot peu après le St.John. Fergus me parle de cette époque et de ses débuts en cuisine au Globe, à Notting Hill. Ce jour-là, il aura suffi d'un plat nommé le « Ham in a Duvet of Hay » (Jambon dans un duvet de foin), pour saisir toute la délicatesse de son style de cuisine – une façon autrement plus poétique de vous vendre une saucisse enroulée dans de la pâte feuilletée.

Avant de passer chez Camisa, le traiteur italien qui fournira tout ce dont le chef a besoin pour le repas familial de ce soir, Fergus et moi nous envoyons un godet d'un genre de liqueur herbacée (« une délicieuse façon de commencer la journée », selon lui).

Une fois arrivés chez son traiteur préféré, Fergus attrape une poignée Cipriani et me lance : « C'est les meilleures variétés de pâtes. Elles sont chères, mais j'adore la façon qu'elles ont de glisser sur la langue. » Il ajoute des olives et de l'huile à la truffe dans son panier. Nous goûtons quelques fromages (crémeux et avec des arômes de noix, bref, délicieux) avant de sauter dans un taxi vers notre prochaine destination : le Bread and Wine.

Publicité

Sur la chemin, James Bond s'impose naturellement comme notre principal sujet de discussion.

« J'adore », me dit Ferguson. « Surtout les livres. Bond, c'est quelqu'un qui sait apprécier un bon plat de spaghetti Bolognaise et un Chianti corsé. Il mange bien. C'est ça que j'aime. Dans les films, il prend du caviar et un martini sec. Le martini sec, ça se boit plutôt avant le déjeuner et il suffit d'un ou deux verres. Dans les livres, il prend son caviar avec du Champagne ou de la vodka, c'est quand même plus raffiné ».

Le Champagne, c'est bien pour combler les trous. C'est bien dans l'après-midi, pour garder de l'énergie. Le vin blanc, quant à lui, sert juste à nous rappeler à quel point le vin rouge est bon.

Qu'importe le sujet de discussion, la bouffe revient toujours sur le tapis avec Fergus – c'est impressionnant. Il me révèle alors un détail peu connu : le fameux « crabe entier » présent sur le menu du St. John – Bread and Wine est totalement inventé, il n'existe pas.

« C'est un crabe fictif sorti tout droit de mon imagination », explique-t-il. « Dans l'un des films de la série, Scaramanga [un ennemi de Bond] s'installe avec Bond pour manger du homard et boire du Champagne. Mais au final, ils ne mangent jamais leur homard. Donc je suis parti de là, c'est pour ça qu'il y a du crabe au menu. » Bref, comme Scaramanga et Bond le homard, les clients de Fergus cherchent toujours le crabe. le homard.

Publicité

On arrive au restaurant et Fergus continue d'éduquer mon palais. Il m'explique qu'il a une tradition toute personnelle qui veut qu'il enchaîne les différentes tâches de sa journée avec un remontant et quelques olives.

« Le déjeuner est le moment le plus important. C'est une célébration, on en attend toujours beaucoup de choses. »

st-john-fergus-henderson

Fergus Henderson devant le St. John – Bread and Wine. Photo de l'auteur.

On nous sert des bulles. « Le Champagne, c'est bien pour combler les trous, » note Fergus. « C'est bien dans l'après-midi, pour garder de l'énergie. Le vin blanc, quant à lui, sert juste à nous rappeler à quel point le vin rouge est bon. »

Car Fergus n'apprécie un verre de blanc que si toutes les conditions sont rassemblées – comme « en Italie, pour accompagner du poisson », par exemple.

Le rouge que nous dégustons est bien meilleur que n'importe quel blanc. Il s'agit d'un Bourgogne, Meursault Rouge de 2010, Domaine Matrot. Mais Fergus aime aussi les vins de Bordeaux – c'est d'ailleurs ce que les invités de son mariage avec Margot ont pu déguster.

« C'était un mariage tout ce qu'il y a de plus classique », se souvient-il. « Un blanc de Nouvelle-Zélande, un Bordeaux et beaucoup de Champagne. On s'est envolé pour notre lune de miel tout de suite après le dîner – Margot s'est endormie dans son steak tartare. Elle s'est posée tout en douceur pendant que je mangeais joyeusement mes pieds de porc. »

Fergus peut rester debout même quand tout le monde est KO, c'est un fait établi. Une fois, en France, le bonhomme s'est fait un « double cassoulet » : un à midi et un au soir. « C'était trop. Au dîner, mieux vaut quelque chose de léger comme des tripes », concède-t-il.

Publicité

Quelque chose comme les tripes frites qui sont au menu du jour du St. John, sans doute ? Avec un sourire blagueur, il me dit que ce plat lui évoque « agréablement la crotte ».

Très vite, tous les délices qu'un St. John peut offrir se trouvent devant nous. Avec chaque plat, une assiette de pois gourmands.

« J'adore les petits pois », me confie Fergus en me montrant le petit plat de petit pois frais qui trône, devant nous, au milieu des assiettes d'œufs de canard, d'œufs de cabillaud, d'os à moelle, d'asperges au beurre et de celle qui contient une tourte au lapin.

Mon mariage tout ce qu'il y a de plus classique : un blanc de Nouvelle-Zélande, un Bordeaux et beaucoup de Champagne. On s'est envolé pour notre lune de miel tout de suite après le dîner – Margot s'est endormie dans son steak tartare.

Preuve que, dans les restaurants de Fergus, ce sont les petits détails qui comptent. Par exemple, le beurre n'est pas salé – « comme ça les gens salent exactement comme ils le souhaitent ». La nourriture s'apprécie pour sa texture et ses saveurs et non en tant que forme artistique.

« Regarde cette tourte. Rien n'est meilleur qu'une tourte », commence Fergus. « Quand je parle de nourriture, je vois des ingrédients et un besoin à satisfaire. C'est aussi bon que ça en a l'air. »

Les valeurs de Fergus se retrouvent dans sa façon de mener ses journées, chaque gorgée préparant la suivante. Si l'on suit exactement ses préceptes, boire n'est pas de la débauche mais une façon de respecter la « nature médicinale » des liqueurs, de se fortifier avec un vin robuste et de se réchauffer avec un digestif. Ses journées sont comme un oignon culinaire dont les couches sont en parfaite harmonie les unes avec les autres.

Publicité

LIRE AUSSI : Martin Parr sur la beauté absurde de la bouffe anglaise

Un ginger cake arrive ensuite, accompagné d'une petite part de cheesecake servie sur une assiette blanche. Fergus choisit ce moment pour contempler la salle de son restaurant.

« C'est tellement agréable à voir. Il n'y a rien de mieux que de voir des gens heureux de manger ».

La journée passe. Fergus doit rentrer chez lui. Le lendemain, il doit prendre l'avion pour aller en Grèce s'occuper de la réception d'un mariage. Il dégustera très probablement du Gin Tonic (de quoi « agrémenter » le voyage) tout en préparant du brocoli violet et en faisant bouillir l'eau pour les pâtes du dîner. Pour les accompagner, du Parmesan – « râpé, surtout pas en copeaux » – et du vin rouge.

C'est là tout le sens du détail qu'apporte Fergus à ce qu'il cuisine et sert à boire.