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Food

On est allé se la coller dans un biergarten parisien

De la bière, des currywursts et encore de la bière : un aller-retour à Berlin pour le prix d'un ticket de métro.
Photo : JB Bonaventure

Cet article a été réalisé avec le soutien de Joon.

Quand un rédacteur en chef vous donne pour mission d'aller vous mettre une taule dans un bar allemand au nom de la cause journalistique, la première réaction est naturellement la peur, suivie d'un sentiment de culpabilité. Pas pour moi. D'un naturel courageux, j'ai pris mon plus beau carnet et j'ai convaincu quelques potes de m'accompagner au Kiez Biergarten, un bastion de la culture gastronomique allemande, situé dans le 18e arrondissement de Paris.

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Ceci n'est pas une photo de l'auteur. En revanche, toutes les photos sont de l'auteur.

La mission me semblait d'autant plus intéressante que j'ai toujours admiré le pragmatisme allemand en matière de bonne chère : une cuisine riche et simple, un amour immodéré pour la bière, une passion pour le nudisme qui relève de l'art de vivre, une bonhomie de bon aloi et enfin, l'invention de trucs aussi improbables que le Spezi (une boisson totalement cramée qui consiste en un mélange de Fanta Orange et de Coca). Si ces poncifs ne s'appliquent évidemment pas à tous les Allemands, ils résument, d'une certaine façon, ce que le visiteur curieux peut s'attendre à trouver en débarquant dans un biergarten à Paris. Enfin, à l'exception du nudisme.

Bières, bonhomie et bizarreries teutonnes

Quand je déboule là-bas, un jeudi vers 18 heures, c'est le patron des lieux, Niklas, qui m'accueille. Ce trentenaire hambourgeois s'est installé en France il y a onze ans. Bonne gueule, contact facile et discours de bon vivant, il m'en dit un peu plus sur ce qui l'a motivé à ouvrir ce lieu : devenir le premier biergarten de Paris et « réunir tous les souvenirs de mon enfance en Allemagne ». Et niveau madeleine de Proust teutonne, Niklas n'a pas fait semblant : sur la carte, on retrouve de l'Apfelschorle, un jus de pomme pétillant prisé par les enfants allemands, du Club Maté, la boisson emblématique des hackers berlinois, de la limonade maltée ou encore du Spezi – à croire que tout ce que l'Allemagne compte en boissons cheloues est à la carte du Kiez.

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Au bar, on retrouve aussi vingt références de bières. Par plateaux entiers, elles commencent d'ailleurs à partir vers les tables qui se remplissent doucement. À cette heure-ci, la terrasse accueille les habitués du quartier et la salle est encore calme. Quant au jardin, impossible de le dire d'ici. « On voit passer les gens dans un sens ou l'autre, mais tant que tu ne vas pas voir, tu ne peux pas savoir combien de personnes il y a. C'est peut-être déjà plein », m'explique Niklas. Car oui, de l'intérieur, on ne voit pas le trésor caché du Kiez, son Biergarten, comprendre : son jardin à bière.

En Allemagne, le concept de Biergarten est presque aussi vieux que la bière elle-même : il consiste globalement en un grand espace ouvert où on se remplit de malt, de houblon et de saucisses jusqu'à ce que mort s'en suive. Bon OK, celui qui se cache rue Vauvenargues n'atteint pas la taille de ses grands frères munichois ou berlinois, mais on y retrouve ces grandes tablées sur lesquelles les pintes frappent les tables et se vident dans un flot ininterrompu et régulier.

Perso, pour moi la soirée commence par une pinte d'Astra. Puis, je me laisse guider par mon hôte et je me lance dans une exploration approfondie de la nouvelle vague des producteurs de gins germaniques : « La plupart se sont lancés dans la foulée du succès du Monkey 47 qui a fait pas mal de bruit chez nous », analyse Niklas en me versant une goutte de Tonka Gin. J'enchaîne avec du Kummel, un alcool à base de cumin qui, je l'ignore encore, sera mon bourreau quelques heures plus tard.

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Avalanches de pintes

Il est peut-être 20 heures et la salle du Kiez commence franchement à se remplir. Je décide de faire un petit saut dans le garten : presque toutes les grandes tablées sont pleines et elles débordent de Paulaner, d'Augustiner et d'Erdinger. Un serveur aux cheveux longs surgit derrière moi, les bras remplis de pintes comme s'il venait d'atterrir en vol rase motte depuis Munich. Mon instinct de reporter légèrement bourré m'indique qu'il sort en fait d'un petit recoin du jardin où se cache une tireuse, placée ici pour optimiser le service.

Niklas, en pleine réflexion téléphonique.

Alors que j'erre entre les groupes de Parisiens qui parlent et rigolent fort, le visage de Niklas émerge du passe-plat reliant la cuisine à l'extérieur : « Tu vois, ça, c'est Berlin, c'est l'Allemagne ! » Et en me retournant, je dois bien admettre que l'image est saisissante. Une sorte de grand camaïeu de jaunes où se mêlent bougies, bières et bois, tous fondus ensemble dans un brouhaha extraordinaire. En fait, ne manquent probablement que les légendaires pissotières sous les tables – celles qu'on trouve dans les fêtes de la bière munichoises et qui permettent de boire sans avoir à se lever. Si je n'ai jamais pu expérimenter la réalité d'un tel concept, il m'a toujours secrètement séduit. Mais probablement pas au point de vouloir voir débarquer ça à Paris.

Cela dit, il est clair que la ville ne peut que mieux se porter maintenant qu'elle a un biergarten. Pour Niklas, ça correspond même à une tendance actuelle : « Deux choses ont rendu l'Allemagne sexy ces dernières années : d'abord Berlin et sa culture de la fête, puis l'Oktoberfest où les gens vont de plus en plus. Parmi nos clients, on a pas mal de Français qui reviennent d'un week-end comme ça et qui veulent retrouver cette ambiance. La vie n'est pas si chère en Allemagne, c'est pour ça qu'ici, les bières sont à un prix décent et aucun plat ne coûte plus de 15 €. »

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Passion jarret de porc

Quand on nous offre une currywurst, les pintes ont déjà plu sur notre groupe et la malheureuse disparaît dans les grognements et le craquement des petits pics en plastique qui s'abattent sur les morceaux de viande. Recouverte de ketchup et de curry, cette saucisse typique des nuits allemandes occupe une place particulière dans mon cœur. Et pour cause, accompagnée d'une grande bouteille de Liptonic (la meilleure de ma vie), elle a réussi à sauver une longue soirée hambourgeoise dont la pente s'était avérée glissante dès les premières heures de la nuit. J'en garde encore aujourd'hui un souvenir ému.

Mais qu'importent les valeurs curatives de la currywurst, il est grand temps pour mes potes et moi de mettre la gastronomie allemande à l'épreuve de nos estomacs. La commande sera rapide puisque depuis presque une heure leurs yeux sont habités d'une lumière étrange : celle de ceux qui sont hypnotisés par la possibilité de s'envoyer un jarret de porc de 650 grammes. À ce Deutscher des Monats, AKA « l'Allemand du mois », nous ajouterons deux wurst pour que la fête soit complète.

Les fameuses Spätzle.

Mais la carte ne s'arrête pas aux cochonnailles. En fait, elle explore aussi bien l'ultra classique, avec les spätzle, que le renouveau de la culture germanique de la street food, avec le Kreuzberg Kebab. Elle assume même quelques clichés avec le « Hamburger hambourgeois » et la planche de saucisses « Champions du monde ».

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La bouffe arrive à notre table et le plaisir est total. Les saucisses sont parfaitement grillées, le jarret est jouissif et tout est conçu pour remplir l'appétit d'un homme comme il se doit. Si bien que je dois, à ma grande honte, renoncer à finir ma part. Il faudra que je pense à féliciter Olivier, le cuistot originaire d'une petite ville près de Stuttgart : le mec assure la cuisine toute la nuit avec Boula, son commis de cuisine sénégalais.

Jusqu'à la fermeture du biergarten, ce ne sera plus qu'un enchaînement parfait et continu de bières, de conversations avec les habitués et de shots de Kummel, dont j'ai eu la mauvaise idée de parler à un ami passionné de Jägermeister.

En fait, au moment de partir, je n'ai qu'un seul regret : ne pas avoir joué au baby-foot qui porte les couleurs du mythique club des pirates de Sankt Pauli.

Cet article a été réalisé avec le soutien de Joon.