Vigneron Beaujolais Lantignié
© Aline Roy pour Munchies FR

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À Lantignié, avec les jeunes vignerons qui ont le Beaujolais en héritage

Transition vers le bio, reconnaissance du cru : une nouvelle génération tente d'aller de l'avant sans renier ce qui a été fait par les anciens.

En ce mois de décembre, le givre recouvre les 320 hectares de vignoble de Lantignié, commune du centre du Beaujolais, deuxième vignoble le plus connu au monde derrière la Champagne, situé à quelques dizaines de kilomètres au nord de Lyon.

Frédéric Berne, vigneron de 33 ans, travaille au domaine du Château des Vergers. Une bâtisse imposante construite en 1604 surplombe ses parcelles. Assis devant une table en bois massif, l'enfant du pays raconte ce qui l'a conduit à y adopter trois hectares en 2013.

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Frédéric Berne.

« J'ai commencé à travailler dans une commune voisine en tant que responsable de la partie production et vinification d'un domaine en agriculture conventionnelle. Et puis j'ai eu envie de produire mon propre vin et surtout de le faire de manière plus saine », explique-t-il.

Persuadé qu'il est possible de cultiver différemment, il se met en quête d'un terrain et découvre le Château. Ses propriétaires, très ouverts, lui proposent de reprendre des hectares en métayage. En échange de l'accès à leurs locaux et à la vigne, Frédéric leur donne une partie de ses récoltes.

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Les parcelles qu'il exploite, à l'origine en agriculture conventionnelle, sont dorénavant toutes en conversion, voire déjà en agriculture biologique. Un pari sur l'avenir pour le vigneron. Les précédentes générations, qui ont souffert des baisses de prix de la principale appellation – Beaujolais-Villages – ont pour la plupart privilégié la vente de raisin et de vin en vrac.

« Les négociants se sont servi du Beaujolais pour répondre à des besoins industriels. Ce que l'on oublie c'est que, lorsque l'on utilise des pesticides, les fruits qui poussent doublent en eau et non pas en qualité. »

Petit-fils de producteurs, Frédéric a d'ailleurs vu son paternel quitter une profession qui n’était plus rentable. Un moment difficile qu’il a surmonté. « Pour moi, c’était évident que j’allais travailler dans l'agriculture. J'ai fait des stages en informatique mais j'ai bien compris que ce ne serait pas possible. J'ai toujours aimé le contact avec la nature. », se souvient-il.

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Bien que connu, le vignoble a vu son image pâtir et devenir essentiellement une terre de production. « Avec l'arrivée des produits de synthèse, les négociants se sont servi du Beaujolais pour répondre à des besoins industriels. Les sols ont été nourris aux engrais », assure Frédéric.

« Ce que l'on oublie c'est que, lorsque l'on utilise des pesticides, les fruits qui poussent doublent en eau et non pas en qualité. Or, depuis une dizaine d'années c'est ce que recherchent les consommateurs, à se faire plaisir en achetant du bon vin. »

Une étude réalisée sur les sols du Beaujolais confirme la qualité de celui de Lantignié, essentiellement composé de roche granitique. Frédéric y fait pousser du gamay noir, du rouge et du rosé, majoritairement distribué à l'étranger. « Le marché français est complexe. On est des acheteurs d'étiquettes alors que selon moi, produire et vendre du vin, c'est mettre en avant un terroir et valoriser son histoire », ajoute-t-il.

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Cette histoire peut parfois s’étendre sur plusieurs générations, comme au Château du Basty. À 33 ans, Quentin Perroud est en train de reprendre l'exploitation, marchant dans les pas de ses aïeuls. « La maison familiale date de 1482, je suis la 17e génération à faire du vin », précise le vigneron tout en se tenant face aux 14 hectares de vignes qu'il exploite.

Bien que toujours attaché au travail de la terre, Quentin a débuté par une carrière bien différente de celle de ses ancêtres. « J'ai fait des études de comptabilité parce que j'aimais bien cette logique. J'ai pas mal voyagé à travers le monde. J'ai travaillé au Canada, en Estonie, livré des sushis à la City, je suis revenu un an à Annecy. J'ai aussi travaillé chez HSBC en Suisse et j'ai terminé par Cracovie en Pologne. Une très belle ville », raconte Quentin.

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Quentin Perroud.

Tous les ans, d’où qu'il soit, il revient participer aux vendanges dans les vignes familiales. En 2016, lorsqu'il remarque que, sur place, ses copains commencent à reparler du gamay et du Beaujolais, Quentin décide de rentrer définitivement au pays. Il commence à travailler avec son père qui lui laisse de plus en plus de liberté, tout en restant encore à proximité en cas de besoin.

« Avec l'agriculture conventionnelle, on a toujours eu des vins ‘nickel’ mais pas excellents, ni très originaux, c'est vrai. C'est pour ça que le passage vers le bio est une suite logique. »

« C'est tout de même une exploitation importante. Comme je souhaitais continuer ce qu'avait débuté mon père et passer petit à petit la production en bio, je lui ai dit que j'avais encore besoin de lui », souffle Quentin avant de nous inviter à rentrer, puisque l'heure de l'apéritif a sonné. Dans la maison familiale, le poêle ronronne et la première bouteille de rosé de l'année est débouchée. « Une pure coïncidence », plaisante Gilles Perroud, le père de Quentin.

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Lorsqu’on lui demande si travailler en famille n'est pas trop difficile, il concède que cela n'est pas toujours évident, tout en restant bienveillant avec son fils. « Il y a un conflit de générations et c'est normal. Il y a aussi l'histoire familial qui peut être lourde à porter ». Quentin hausse les épaules : « Ça, franchement, on s'y fait. Mais s'imposer face à son père n'est pas toujours évident », admet-il, les mains dans les poches, à côté de son paternel.

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Malgré leurs différends, Gilles voit la démarche de son fils d'un œil très positif : « Les consommateurs recherchent désormais des vins plus originaux. Je ne veux pas dire ‘meilleurs’, je n'aime pas ce terme. Avec l'agriculture conventionnelle, on a toujours eu des vins ‘nickel’ mais pas excellents, ni très originaux, c'est vrai. C'est pour ça que le passage vers le bio est une suite logique », admet Gilles.

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La prochaine étape pour ces néo-vignerons ? Faire connaître Lantignié au grand public. C’est l’objectif de Frédéric Berne qui a fondé en 2017 une association baptisée Vignerons et Terroirs de Lantignié et veut faire de Lantignié le prochain cru du Beaujolais.

« Je suis allé voir mes voisins pour les inciter à franchir le cap. Pour moi ça n'a pas trop de sens de passer en bio si eux continuent d’utiliser des pesticides. »

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« Il y a aujourd'hui six crus dans le Beaujolais. Le dernier à avoir obtenu la distinction est celui de Régnié en 1988. Lantignié, sa commune voisine était aussi en lice mais ne l'a pas reçu. Le dossier est resté en suspens jusqu'en 2016. »

« En m'installant et en prouvant qu'il était possible de vivre de la production de Beaujolais en bio, je suis allé voir mes voisins pour les inciter à franchir le cap. Pour moi ça n'a pas trop de sens de passer en bio si eux continuent d’utiliser des pesticides », explique Frédéric qui, avec Quentin Perroud, fait baisser la moyenne d'âge du vignoble qui avoisine les 55 ans.

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Ils sont désormais 28 vignerons installés à Lantignié – sur une quarantaine – à faire partie de l'association. Ensemble, ils ont établi un cahier des charges qui prévoit notamment de bannir l'utilisation des pesticides de synthèse. L'association leur offre aussi un moyen de se réunir, d'échanger et de s'épauler, bien loin de l'image d’Épinal du vigneron seul avec sa production.

Cosima Bassouls le répète volontiers, c'est ce projet qui lui a donné envie de reprendre une partie des vignes de ses parents au Château des Vergers. « Je suis en train de m'installer, je pourrais commencer à travailler d'ici le mois de janvier. J'avais d'abord trois mois de stage à réaliser que je viens de terminer », précise la jeune femme qui s'apprête à bosser aux côtés de Frédéric, même si à terme, un vin sortira bien à son nom.

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Formée comme ingénieur en agro-développement à l'international, Cosima ressort un brin désabusée de ce milieu auquel elle reproche d'être en inadéquation avec le terrain. « Je ne comptais pas m'installer aussi tôt. Mais suite au décès de ma mère, je ne voulais pas qu'on vende. Pour moi, hors de question de remettre la sulfateuse sur le dos. C'est pour ça que lorsque j'ai entendu parler du projet de Frédéric pour Lantignié, je me suis décidée », précise-t-elle.

« Il n'est absolument pas question de renier ce qui a été fait par les anciens. Le bio ne représente pas un retour en arrière. C'est de la science à laquelle on ajoute un paramètre environnemental. »

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C'était, selon elle, l'occasion rêvée de reprendre une partie de l'exploitation gérée par sa famille, tout en étant libre d’y apporter sa patte. « J'ai réalisé que je n'avais pas besoin d'aller au bout du monde pour faire du développement. Que l'on pouvait changer les choses au niveau local. »

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Et Cosima de conclure. « Il n'est absolument pas question de renier ce qui a été fait par les anciens. C'est aussi ce qu'il y a d'intéressant dans le projet, on échange avec des vignerons plus aguerris qui peuvent nous faire part de leur expérience. Et finalement le bio ne représente pas un retour en arrière. C'est de la science à laquelle on ajoute un paramètre environnemental. »

Elle n'est d'ailleurs pas la seule à qui ce projet a donné envie de se lancer. « J'ai été contacté par Jonathan qui est actuellement en stage dans mes vignes. Il travaillait dans le secteur bancaire. Comme sa compagne est fille de vigneron, il voulait découvrir la viticulture », sourit Frédéric. Le Beaujolais a de beaux jours devant lui et il y a fort à parier que la jeune génération de Lantignié n'a pas fini d'inspirer.

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